Corthis (André) ... ... ... 1885-1952
pseudonyme d'Andrée Husson,
Un peu de pluie...
Un peu de pluie, un peu d'ombre, un peu de tristesse,
Crépuscule. Des murs, des toits, des voix, des pas.
De tous les livres lus comme nous sommes las !
Comme l'hiver mauvais nous tient et nous oppresse!
Fermons les yeux. Rêvons à l'été qui viendra,
Aux figuiers bleuissant sur les montagnes rousses,
A l'odeur du soleil sur les lavandes douces.
Aux fruits qui mûriront, au vent qui passera.
Aimons des durs midis les couleurs violentes,
L'argent noir des lauriers et l'éclair des roseaux.
Aimons les soirs de brume chaude où les troupeaux
S'attardent au fossé que veloutent les menthes.
Vivons l'été futur du fond de notre ennui,
Je sais... nous n'aurons pas de joie à le connaître.
Mais puisqu'en cet instant son amour nous pénètre
Laissons s'exaspérer notre désir de lui.
Car nous mourons ce soir, d'un besoin « d'autre chose »,
Dans l'ombre, sous la pluie, aux rumeurs du faubourg,
Endoloris d'avoir respiré tout le jour
L'air fiévreux de la chambre où s'étiole une rose.
Ma soeur l'eau
Ma sœur l'Eau, ma sœur chère, oh ! docile extatique
Qui riez du cœur stable et de la vie unique,
Et vous désagrégez et vous recomposez,
Et savourez en vous les reflets imposés,
Et courbez votre ligne à la ligne du vase.
Selon la forme qui s'effile ou qui s'écrase.
Et, changeante à chercher quelle âme vous convient,
Vous saturez de tout et ne conservez rien.
Ma sœur l'Eau, ma sœur molle et forte, insatiable,
Vous buvez le ciel blond et vous faites de sable,
Vous vous faites pesante à boire le ciel gris
Comme un Acte d'amour dont les mots sont appris ;
Votre être, voulant mieux, toujours prêt, semble vide.
Ah ! multiple, si froide et doucement avide.
Avec votre cœur vague et votre ennui chantant,
D'où me peut-il venir que je vous aime tant?
Les toits bas
Les toits bas sont roussis et chauds comme des pains,
Le mûrier bas écrase au sol ses mûres blanches ;
Dans les greniers, le foin gris passe au joint des planches;
Un sac crève, filtrant sa poussière et ses grains.
Du bois sèche. La vigne, au ras du mur, fleurit.
Autour d'un caillou rond tremblote l'herbe mince.
Le vent souffle. Un lambeau s'envole. Un arbre grince.
Dans le seau noir un peu d'eau vaseuse a tari.
La fenêtre est ouverte; au fond, le feu bleuit;
Les verres du repas sont sur la table épaisse;
Le plat fume, un enfant s'assied, quelqu'un se baisse.
— Révérons simplement la bonté d'aujourd'hui.
La robe verte
Parce que j'ai, ce soir, mis sur ma robe verte
Des colliers florentins, larges, d'or émaillé,
Près d'une rose noire au cœur de sang caillé
Epaisse doucement et molle d'être ouverte ;
Parce qu'aussi le ciel est violent et faux
Sur nous, ainsi qu'au fond des anciennes fresques,
Et que montent du parc et nous suffoquent presque
Les sucs évaporés aux brûlures des faux ;
Tu m'as dit: « Le regret des femmes qui sont peintes
Dans les très vieux tableaux, me hante ; le regret
De celles dont le nom est au bas du portrait,
Des anonymes en robe d'ange ou de sainte;
Des femmes qui vivaient dans les chaudes cités,
Entre l'alcôve pourpre et le pourpre oratoire,
Et sanglotaient d'étreindre et sanglotaient de croire,
Tant mordait le beau feu de leurs félicités;
Des femmes qu'amusaient les vengeances ardentes,
Qui, dans l'air onctueux des jardins somnolents,
Riaient que fussent vrais certains contes sanglants...
Des très aimantes, des ferventes, des vivantes !
— La vie aiguë, ô mon amour ! — J'ai le regret
Des femmes dont l'image aux murs froids des musées
S'allonge, dont la bouche est parfois comme usée
Pour avoir trop souri ses ambigus secrets. »
Tu m'as dit : « Mets tes mains ainsi, c'est là leur geste,
Baisse un peu tes cheveux, car leurs cheveux sont bas
Sur les tempes ; et maintenant ne parle pas.
Sois l'une d'elles, pense à cette fièvre, reste... »
Le ciel était celui des fresques d'autrefois.
J'avais le collier large, et la robe effacée.
Et la fleur de sang noir, et tu m'as embrassée.
Et ton baiser ce soir, n'a rien touché de moi.
Mais dans Florence ou Rome, au fond des sépultures.
Sous la dalle sculptée ou sous l'olivier gris,
De fins squelettes ont, ce soir, été surpris
D'un grand frémissement tordant leur pourriture.
Des mâchoires s' ouvrant en un rire, ont craqué ;
Aux flancs capitonnés de somptueuses bières.
Les brocarts ont fini de tomber en poussière
Griffés par le jeu fou des longs pieds disloqués.
Et les bras noirs et durs — les bras qui furent tendres —
Secs, contre le couvercle en plomb, se sont brisés,
Pour avoir voulu faire encor — vers ce baiser.
Avec trop de fureur le geste de se tendre.
Gemmes et Moires.
Sur les belles mains de Madame de Grignan
Je pense à vous — ce n'est pas à votre renom
De précieux savoir et de beauté parfaite,
Non plus qu'à la façon dont vous dansiez aux fêtes
Et qui fit que le Roi vous regarda, dit-on.
Vous me plaisez — non dans les vers de Benserade,
Ni dans les Lettres, dans ces Lettres vous contant
Les ragots de la cour, les foins et le beau temps,
Et que l'on avait mal à votre cœur malade.
Je pense à vous souvent, à cause de vos mains
Si belles, et du bel air dont vous ripostâtes
Au fâcheux qui vous dit, blâmant vos aromates :
« Madame, mais ces mains iront pourrir demain. »
— Que m'importe ! aujourd'hui elles sont encor fraîches.
Vous me plaisez d'avoir continué d'aimer
Ces mains, de les baigner et de les parfumer.
Je les vois, s' amusant de cueillir une pêche.
Je les vois, feuilletant Descartes et Platon,
Ces mains, où la manchette en vieux point faisait ombre.
Et je les vois froissant les cartes du jeu d'hombre
Ou les billets rimes qu'envoyait le Bien Bon.
Sur la terrasse de Grignan, quand, à l'automne,
Vous traitiez les chasseurs et la société,
Je les vois désignant la table du goûter,
Le vin vieux de Jusclan et le miel de Narbonne.
...Je les vois aujourd'hui, cet aujourd'hui, mon jour
A moi, qui suis vivante et ris de mes mains fraîches.
Que disait-il, déjà, le bon faiseur de prêches?
"Madame, ces mains-là pourriront à leur tour. »
Que disait-il? — Ah! ce que sont, dans le silence,
Vos deux mains en cet aujourd'hui, mon aujourd'hui !
L'une en griffe, une encor plus antique et conduit
La ronde cliquetante et marque la cadence,
Mais l'autre, contournée et sèche et qui s'avance,
Qui donc invite-t-elle à entrer dans la danse?
Bibliographie
- Gemmes et Moires, Charpentier, Paris, 1906
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