Cuttoli (Diane de) 1898-?
Diane de Cuttoli
1898-
Il faut lire le débat la concernant sur la page "Pour une littérature corse".
Un coup de coeur et quelques jugements très sévères, spécialement celui de Jérôme Ferrari: "écrit en 1812, ce poème aurait été médiocre... en 1932, il est impardonnable". Jérôme oublie de faire pour les femmes ce qu'il prône par ailleurs, "tenir compte un minimum de l'histoire de l'art qu'on pratique", en l'occurence de l'histoire de la poésie écrite par des femmes. A-t-il vraiment étudié la longue plainte des femmes refoulées du monde de la création artistique par un monde masculin qui l'avait réduite au statut de mineure. L'année 1812 citée par Jérôme renvoie à la longue nuit du 19ème siècle marquée d'entrée par le code napoléonien... Pourquoi si peu de femmes dans les anthologies, dans les rayons de librairie? Pourquoi si peu de Rimbaud dans leurs rangs? Jérôme connaît-il l'essai de John Stuart Mill "L'asservissement des femmes"(1851)? Il est en effet injuste de lire les poèmes féminins avec une grille historique masculine. Les poètes hommes de la fin du 19ème siècle vivaient entre eux et acceptaient difficilement l'intrusion d'une femme dans leur monde. Le cas de Marie Krysinska, à qui l'on refusa d'emblée l'invention du vers libre, est à ce sujet très éclairant. Revenons à Stuart Mill: "même un Mozart ne montre pas sa puissante originalité dans ses premiers morceaux... Il faudra beaucoup plus de temps qu'il ne s'en est déjà écoulé avant que les femmes puissent s'émanciper de l'influence des modèles acceptés et suivent leurs propres impulsions...Chaque femme écrivain prise individuellement a ses tendances propres qui, à présent, sont encore soumises à l'influence du précédent et de l'exemple. Il faudra d'autres générations avant que leur individualité soit suffisamment développée pour s'opposer à cette influence." (Petite Bibliothèque Payot, p. 128-129)
Il faut faire connaître la littérature féminine, tirer de l'oubli ce continent refoulé, même lorsque les productions paraîssent en retard sur celles des hommes. Ce n'est pas forcément un critère de médiocrité. Diane Cuttoli n'est ni Mozart, ni Keats, pourtant Gustave Kahn et Paul Valéry qui ont préfacé certains de ses recueils ont cru en elle. Comment ne pas leur faire confiance à une époque qui s'ouvre à nouveau à la possiblité d'un monde littéraire également habité par des hommes et des femmes?
Bibliographie
L'ardente rêverie, 1920
Le coeur vibrant, poème, préface de Gustave Kahn, 1923.
L'enchantement multiple, poèmes, préface de Paul Valéry, de l'Académie française, 1924.
L'Ame frémissante, poèmes, 1925.
L'Ame fervente, poèmes, 1929
La Houle des Jours, poèmes, 1933
Le chant intérieur
Les grands instants
Framboise ou les Souffles du Printemps (roman), 1956-57.
L'ardeur secrète, poésies, 1960, prix?
2 poèmes extraits du recueil "La Houle des Jours", éd. de "La Revue Mondiale", 1933
O beauté de la chair
La chose la plus digne dont on puisse s'occuper, c'est la forme humaine. (Goethe)
Les jeunes et souples corps
Aux muscles vivaces, forts
Courent dans la lumière
Comme des biches fières;
Ils s'élancent avec transport
Comme l'aigle prend l'essor
Et, tout couverts de soleil,
A de l'or vibrant pareils,.
Ils bondissent farouches
Et les muettes bouches,
Dans les sûres, rouges serres
Des frémissantes lèvres
Retiennent des cris de colère
De défi, de joie, d'espoir,
De doute et de victoire.
Ils courent sans la lumière
Comme des biches fières!
Leurs bras, comme des ailes,
Battent l'air d'azur, de miel
Et, ivres de mouvement.
Plein d'élan comme le vent,
Forts comme de rudes marbres,
Puissants comme des arbres,
Les athlètes vigoureux,
Intrépides, orgueilleux,
Emplissant, comblant leurs yeux
De la vision de leur but,
Bondissent, guerriers éperdus,
Et jettent un grand cri d'ivresse
Quand triomphe leur jeunesse!
O fougueux coureurs
Couverts de moiteur
Au sang de pourpre ardeur
Animant vos coeurs,
Gonflant vos veines
D'une violence saine!
O fougueux jeunes hommes bondissant
Comme des voiliers dans les vagues et le vent!
Jeunes athlètes! O vous dont les pieds divins
Dominent et possèdent l'espace sans fin!
O vous remplis de sève comme le printemps
Qui bouleverse la terre et brûle le sang!
Voici que, silencieuse comme un temple,
Je regarde vos jeunes corps et les contemple!
- Corps des jeunes gens! adorables écorces
Des neuves plantes humaines pleines de force
Voici que j'admire votre élan jubilant
Impétueuxcomme un bondissant torrent!
Voici que je vous aime et que je frémis!
...
O claires baigneuses...
Pour Henri de Régnier
Voici les longs, les bleus jours de l'ample été
Tout gonflé de compact azur et de clarté;
Dans la blancheur plénière de midi,
Dans la lumière du soleil qui irradie
Scintillantes, dorées, vêtues de rayons
Les rieuses jeunes filles bondissent dans l'eau
Et de leurs bras agitent les calmes flots
Avec des gestes vifs et d'un changeant dessin.
Oh! la merveille de leurs corps tendres et fins!
Sont-ils agiles au toucher frais de la mer
Fleurant la neigeuse écume et le sel amer!
Leurs mains, comme de petites rames s'abaissent,
Se soulèvent et leurs bouches rient d'allégresse;
Oh! la grâce de vos jeux onduleux, baigneuses,
Flottant et vous redressant tour à tour, fougueuses,
Doucement balancées et votre chair heureuse
Etroitement enlacée, pressée par les flots!
Oh! le charme de vos joues éblouies, candides!
De vos minces torses criblés d'étincelles fluides
Quand ils jaillissent comme de grandes fleurs radieuses
De l'onde molle qui se noue à vous, baigneuses!
Quand vos corps hardis, sains et ardents se balancent
Et surgissent, droits comme des thyrses de lumière,
Et, enroulés, enserrés de rayons, dansent
Parmi les mouvants et luisants reflets liquides!
- Claires baigneuses des bleus jours de l'ample été
Qu'ils sont beaux vos pieds, vos bras, vos yeux
Quand vous quittez le flot errant et lumineux,
Scintillantes, dorées, vêtues de rayons,
Et courez, impétueuses sur le sable blond!
- O Claires baigneuses
Battant l'eau soyeuse,
Intrépides, braves,
Déliées d'entraves,
O Jeunes nageuses,
Formes harmonieuses,
Beauté transmuée
En vos corps parfaits
Je songe et je vous regarde
Dans l'or du soleil qui darde
Et vous enserre dans ses réseaux
Et vous voile de blancs rayons chauds;
Je songe - ô soeurs, belle comme l'été,
Avec l'ardeur de juillet accordées; -
Je songe à la jeunesse, honneur de la vie;
A la jeunesse éblouie et inassouvie.
- Jeunesse! Jeunesse! ô temps divin d'attente
Où le coeur gonflé comme les bourgeons des plantes
S'enivre de rêves, de désirs, de saisons
Et frémit de joie à l'appel des horizons!
Jeunesse! Jeunesse! Je te chante et je t'aime
Et j'entends mon coeur hautain faire un voeu suprême:
"Mourir avant que s'achève mon clair matin".
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