Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

D. L.-M.:"Le christianisme dans l'athéisme"

Delarue-Mardrus

Le christianisme dans l'athéisme ?

 

Et tes sens douloureux n'oublient pas sans effort

Ce goût de cierge éteint qui pleure et fume encor...  

                                                              (Ferveur, 1902)

 

  "Il devient donc possible d'affirmer que seul un athée peut-être un bon chrétien et que seul un chrétien, à l'inverse, peut être un bon athée" Ernst Bloch, dans la Préface de L'Athéisme dans le Christianisme (1968).

   L'empreinte du christianisme est particulièrement visible dans l'intérêt que Lucie Delarue-Mardrus manifeste vis-à-vis de Thérèse de Lisieux et de Bernadette "de Nevers" Mais un certain nombre de poèmes.... en porte la marque puissante. Aucune posture, le simple et sincère travail de l'utopie chère à Ernst Bloch.

Voici quelques-uns de ces textes.


LAUDES

 

Si je croyais en vous, si je croyais en vous,

      Je serais sans cesse à genoux.

 

Je n'aurais pas assez de ma grande lyre

      Pour tout ce qu'il faudrait vous dire.

 

Je vous dirais : Merci pour le vent, pour la mer,

     Pour le ciel ténébreux ou clair.

 

Merci pour les prés verts rebrodés de corolles,

      Le soleil, les averses molles.

 

Merci pour les parfums, merci pour les couleurs.

      Pour les oiseaux et pour les fleurs.

 

Merci pour les saisons dont chacune m'étonne,

      Et merci surtout pour l'automne.

 

Merci pour la beauté regardée en tous lieux,

      Et de m'avoir donné des yeux.

 

Merci, mon Dieu, merci de m'avoir ainsi faite

      Que je sois sur terre un poête...

 

Merci pour mon amour passionné de l'art,

      Merci pour ma vie à l'écart,

 

Pour cette hypnose unie à la lucidité,

      Pour cet amour de la bonté.

 

Pour ce détachement qui s'affirme sans cesse

      Devant la fin de la jeunesse.

 

Pour la mysticité d'un coeur étrange et fort

      Que toujours a charmé la mort.

 

Pour tout cela merci, pour tout cela louange

      Sur l'invisible luth de l'ange,

 

Et pardon, et pardon jusqu'au fond de mon coeur,

      Mon Dieu, d'aimer tant la douleur !

 

Les sept douleurs d'octobre

 

 

 


Cloches d'été

 

Cloches folles au loin dans le bleu des midis,

Grondeuses d'angelus à l'oreille incroyante,

Quelle mémoire vient en nos coeurs engourdis

Réveiller le regret que votre voix nous mente ?

 

Quel souvenir d'exact, lent cérémonial

Soudain lève un passé d'enfance catholique

Et troue avec un vieux clocher mélancolique

Le blanc pur et les bleus d'un ciel provincial ?

 

Oh ! fuir hors ton enfer où brûle la pensée,

Paris ! parce qu'il chante à travers la croisée

Un peu de carillon avec du vent entré,

 

Et retourner sans bruit vers la messe naïve,

Portant un livre lourd où le doigt sage suive,

Sans comprendre, un latin barbare de curé !...

 

Occident (1901)

 

 

Litanies féminines

 

O Dame souveraine, O Vierge entre les vierges,

Pudique aux bras croisés chastement sur les seins,

Triomphante aux cheveux glorieusement ceints

vers qui montent l'encens et le frisson des cierges !

 

Puisque tant, les doigts joints et les genoux ployants,

Viennent pleurer leur mal aux plis de votre robe,

Moi je ne serai pas qui raille et se dérobe,

Je lèverai vers vous mes regards incroyants,

 

Afin de vous prier, ô refuge des âmes,

O source ! aube ! vesprée et mystère des nuits,

- Pour que Dieu veille mieux le sexe dont je suis  -

D'avoir des oraisons spéciales aux femmes.

 

O dame ! Regardez tout ce monde si cher,

Cette féminité dont vous fîtes partie

Et voyez son enfance honteuse et pervertie

Déjà frôlée aux sens et pêchant en sa chair;

 

O Dame ! regardez la prime adolescence,

Les vierges aux pensers troubles, aux cils menteurs,

Chastement abaissés sur de fausses pudeurs,

Et qui savent déjà la presque jouissance;

 

O dame ! regardez celles qui tournent mal,

Les épouses en qui la chair ne peut se taire,

Qui trahissent sans honte et pour qui l'adultère

Finit par n'être plus qu'un passe-temps normal;

 

O Dame ! regardez ces reines captieuses

Qui dans leurs manteaux d'or emportent les raisons,

Les courtisanes dont absorbent les poisons

Tous ceux qu'ont pris aux nerfs leurs lèvres vicieuses;

 

O Dame ! Regardez au fond des lupanars

Ces rebuts de pavé dites filles de joie,

Marchandant au passant que le hasard envoie

Leur peau triste et fanée où luisent tous les fards;

 

O Dame ! regardez enfin ces raffinées,

Celles qui vont fuyant les baisers masculins,

Pour entre elles unir par des gestes câlins,

Leurs féminines chairs de l'homme détournées...

 

Regardez ! et qu'un peu de votre chasteté

Tombe de votre front étoilé de couronnes

Sur ce monde d'enfants, de femmes, de matrones

Qui vivent dans le mal et dans l'impureté !

 

O Dame souveraine, ô Vierge entre les vierges,

Pudique aux bras croisés chastement sur les seins,

Triomphante aux cheveux glorieusement ceints

Vers qui montent l'encens et le frisson des cierges !

 

Occident, 1901, p. 96-98

 

 

Trilogie du signe de croix

 

      

 

L'innomable, le seul, l'éternel, l'Absolu

Reste immuablement le sommet et la base

De l'être, n'attendant nulle future phase,

Pour qui le temps, jamais, ne sera révolu.

 

Et, vers le grouillement d'êtres qu'il a voulu,

Mal vivant qui parmi l'univers s'extravase,

Il ne peut se pencher que par une hypostase

Qu'entrevoit seulement quelque sublime élu.

 

Cependant que, sans fin, la meute s'exaspère

Des foules qui, devant cette énigme du Père,

Hurlent de désespoir, de doute et de terreur,

 

Et que les pitiés se taisent, infécondes,

De crainte que l'appel infime de leur coeur

Ne se perde à jamais dans le remous des mondes.

 

 

Le Fils

 

Mais voici que, parmi l'horrible bacchanal,

Le Père engendre un Fils infiniment auguste

Dans le but de laisser à l'humanité fruste

L'exemple de son être aimable et virginal.

 

Les yeux levés, au cours de son chemin banal,

Au ciel d'où semble choir chaque hasard injuste,

Il travaille, ridant ses mains, ployant son buste

Voués pour récompense au supplice final,

 

Voulant, hôte du monde haineux, vil, triste, obscène,

Traversant, os et chair, sa scandaleuse scène,

Douer d'âme et de coeur ses vivants mannequins

 

En leur montrant, par sa douceur à leur souffrance,

La part docile prise à leurs labeurs mesquins,

Comment vivre en courage, en bien, en espérance.

 

 

L'Esprit.

 

Mais ensuite, parmi la foule qui proteste,

Raillé sans fin, non cru sauf des douze et honni,

Tout l'être illuminé d'un reflet d'Infini,

Le Fils dit l'ère neuve au monde impie, et teste.

 

Et, joignant à jamais le ciel à l'homme, reste

- Ce pourquoi son époque entière l'a puni, -

L'éclair qui fit divin l'être du rabboni

En passant par sa voix, son regard et son geste,

 

L'Esprit (prière, extase, appel), assomption

De l'âme avant le temps de résurrection

Vers la source promise à la Samaritaine,

 

Dont elle redescend prête à mieux obéir,

Ayant renouvelé dans sa course lointaine

Le vouloir effrayant de vivre sans faillir.

 

Occident (1901), p. 80, 81, 82.

 

 

 

Schola cantorum

 

A ma soeur Georgina

 

Je demeurerai tête basse et doigts joints

A te recueillir en mon coeur solitaire

Et qui souffre et qui se meurt du terre à terre,

O toi par qui les fronts se sentent comme oints,

 

Béatifiante musique chrétienne

Mariée aux rouges et bleus des vitraux

Et qui fais revivre en tes bas et hauts

La si séculaire âme grégorienne.

 

Ton charme hypnotique endort au fond de nous

Ce qui s'y hérisse en chagrin, vice ou haine,

Comme un mauvais Saül sous la harpe amène

Et fait tomber notre orgueil à deux genoux.

 

Et nous oublions tout ce qui nous attaque

Et notre fatigante lutte en champ clos

Et nos secrets et nos peurs et nos sanglots

Au rythme de ta voix paradisiaque...

 

Ah ! viens me faire croire à l'éternité !

Pénètre jusqu'à ce coeur par cette ouïe

Pour lui verser, ô toi ! source de Samarie,

Un peu de ta fraîcheur et de ta pureté !

 

 

 

 

Le Poème de l'éternelle église

 

 

 

A Raymond Berger

 

 

 

En écoutant la Ville, ayant fermé les yeux,

 

J'ai vu, dans la ténèbre intime des paupières,

 

Mes rougeurs d'incendie et les chutes de pierres

 

Du Demain préparé par d'inouïs aïeux.

 

 

 

Le sol crevé tremblait sous les hordes carrées

 

Des esclaves d'hier, blêmes de passion,

 

Levant cent mille bras vers la destruction,

 

Et gonflant d'hymnes leurs poitrines libérées.

 

 

 

Et le rire, tragique et fou comme un sanglot,

 

Y secouait les seins ivres des filles folles

 

Qui, béantes, hurlaient aussi les carmagnoles,

 

Dont se rythmait au vent le sinistre galop.

 

 

 

Mais un grand rêve, issu de cette immense crise,

 

Dans le ciel clair de l'ordre et de la liberté

 

Faisait déjà monter de terre une cité

 

Virginale, sans Tribunal et sans Église.

 

 

 

Et si l'on se heurtait des pieds à quelque bloc,

 

- Survivant oublié de l'ancienne pensée, -

 

La cohue achevait ce vestige, pressée

 

Et dure, et poursuivant son sillon comme un soc.

 

 

 

... Soudain, rompant l'assaut de la ruine grise,

 

Le rauque bataillon recule et reste coi,

 

Écumant de silence et ne sachant pourquoi

 

Un simple mendiant surgi l'immobilise.

 

 

 

Un soleil ignoré brûle dans ses cheveux,

 

Éclairant dans le soir la pierre à l'agonie,

 

Et, géniale, bleue et fixe, l'ironie

 

Tombe des calmes cils du pauvre lumineux.

 

 

 

Il va parler. Il meut sa grâce solennelle ;

 

Et la foule, devant ce fragile rival,

 

Obéit toute, avec des regards d'animal,

 

A l'ordre de l'index qui s'est levé sur elle.

 

 

 

La paix sur vous !... Comment pouvez-vous croire à bas 

 

L'Église ?... Vous dansez sur la tour renversée,

 

Ignorant que le marbre meurt, non la Pensée ;

 

Mais l'Église est, parmi le sang et les dégâts,

 

Tout debout ! Et jamais elle ne fut plus fière !

 

 

 

Pourquoi vomissez-vous, de haine, une chanson ?

 

Ne voyez-vous grandir sa force pierre à pierre ?...

 

O vous tous ! l'heure vient de couper la moisson,

 

L'heure vient de compter les pierres angulaires !

 

 

 

LA FOULE

 

Nous ne comprenons point ce que fixent là-bas, 

 

Plus loin que tous nos yeux tes étranges prunelles.

 

Mais apprends-nous où sont, attendant les truelles,

 

Ces pierres que tu dis et que l'on ne voit pas.

 

 

 

LE PAUVRE

 

Dans vos poitrines!...

 

                                Coeur sanglant, ô coeur de l'homme !

 

Gouffre que n'emplit pas l'océan qu'on te doit,

 

Coeur intact sous le poids de tout ce qui t'assomme,

 

O coeur, écoute-moi quand je te touche au doigt,

 

Quand je te dis : "Tu es pierre et sur cette pierre

 

J'ai bâti mon Église à jamais !"

 

 

 

LA FOULE

 

                                                 Qui es-tu,

 

Toi qui redis les mots d'exécrable vertu

 

Du denier dieu que piétina notre colère ?

 

Avant de t'en aller en lambeaux retrouver

 

Les prêtres abolis de Christ ou d'Iaveh,

 

Expire donc d'abord de honte pour tes dires,

 

Submergé par le fleuve énorme de nos rires !

 

 

 

LE PAUVRE

 

Arrière !... Je connais déjà votre gaîté :

 

Elle vêtit mon corps et couronna ma tête,

 

Et je suis pâle encor du trépas insulté.

 

Mais aujourd'hui mon règne arrive, c'est ma fête

 

Plus qu'à Jérusalem tout en palmes ! Le jour

 

Se lève ! C'est l'aurore en flammes de l'Amour !...

 

 

 

LA FOULE

 

O folie ! O dégoût des anciennes nausées !

 

Qu'il meure sous les coups, la haine et les risées :

 

C'est le Christ ! C'est le Christ lui-même... C'est Jésus !...

 

 

 

LE PAUVRE

 

Vous l'avez dit !

 

 

 

                      LA FOULE

 

                                      A mort !

 

 

 

                                                   LE PAUVRE

 

                                                                        Faudra-t-il que je meure

 

Alors que sont venus ceux de la dernière heure,

 

Virginaux, dépouillés des rites et des us ?

 

Quand voici mûre enfin ma récolte tardive ?...

 

O mes enfants, je vous le dis, mon règne arrive !

 

Car voyez-moi : debout dans mon simple haillon,

 

Ouvrant au ciel du soir ma bouche sans bâillon,

 

En une liberté d'épaules, hors la cangue

 

Des manteaux d'or, je mêle au vent cette harangue !

 

Ah ! c'est la fin, ce soir, des efforts impuissants !

 

Je sens que le plein air me lave des encens,

 

Des cires, des foisons de lis, des girandoles,

 

Et de tout aliment de l'orgueil des idoles !

 

Qu'étaient donc le manteau de pourpre et le roseau

 

Près de la honte d'être, avec le lourd boisseau

 

De la tiare sur ma tête de lumière,

 

Assis près des veaux d'or et des dragons de pierre ?

 

Qu'était la mort, qu'était toute ma passion

 

Au prix de ton horreur, Déification ?...

 

Mais voici !... Délivrant mon ascension claire,

 

Votre geste a brisé le marbre tumulaire,

 

Et, parmi les débris dispersés, je surgis

 

Pour vous redire, libéré des paradis

 

Et des enfers : "Il faut s'aimer les uns les autres !..."

 

- Et c'est là l'Eternelle Église, ô mes apôtres !

 

 

 

LA FOULE

 

 Qui donc est-il ? son front inexplicable luit ;

 

Son manteau, comme une envergure, le soulève,

 

Et nos vierges instincts nous emportent vers lui.

 

Sa parole ressemble à notre plus beau rêve :

 

Franchissant deux mille ans sur elle révolus,

 

Elle dépasse d'un seul coup toutes les bornes,

 

Et les âges futurs ne diront rien de plus.

 

 

 

... O Passant de clarté qui viens en loques  mornes

 

Secouer sur nos coeurs les mots que nous voulons,

 

Toi, prêtre qui n'as point mitré tes cheveux blonds,

 

Dont la main ne tend pas la sébile re Rome,

 

Qui donc es-tu ? Le Fils de Dieu ?...

 

 

 

LE PAUVRE

 

                                                             Le Fils de l'homme !

 

Ferveur (1902)

 

 

 

 

 

A suivre



26/08/2014
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