Daudet (Julia) 1844-1940
Julia Daudet
1844-1940
Miroirs et mirages, 1905
Au bord des terrasses, 1907
- 1920: Lumières et reflets (Extraits)
Réminiscence
D'où venez-vous, notes perdues
Que je chante sans y penser,
Et quand donc vous ai-je entendues
Auprès de moi rire et penser?
O douce mélodie apprise,
Puis oubliée en un seul jour,
Vous me procurez la surprise
Et tout le charme d'un retour.
Pourtant dans sa mélancolie
Mon esprit n'avait pas cherché
Le fil sonore qui vous lie
Et que le temps a détaché.
Mais aux jours d'été clairs et roses
Les fauvettes s'en vont des nids,
Les sons rêveurs des âmes closes,
Tous de la terre aux infinis.
Les notes sont des oiseaux frêles,
Elles prennent la clef des champs,
Et le tumulte de leurs ailes
S'harmonise en de vagues chants.
Tout au fond des bouquets...
Tout au fond des bouquets se cache une tristesse,
Ce qui reste de terre aux rameaux assemblés;
C'est comme le regret d'une vie en détresse,
Les esprits attentifs en demeurent troublés.
Sur les flacons remplis de subtiles essences,
Les sachets de satin, poudreux comme l'été,
Les parfums respirés, malgré leurs réticences,
Gardent l'âme en sommeil des fleurs qu'ils ont été.
L'étonnement de l'aube aux corolles ouvertes,
La hâte des midis si courts et si brûlants,
Et l'effroi de la nuit sous les frondaisons vertes,
Tout se devine en core en ces souffles tremblants.
Chagrins des fleurs, tourments des tiges immobiles,
Encens frêle allumé par des soleils éteints,
Vous survivez longtemps aux pulpes inutiles,
Dont l'éclat colora de rapides destins.
Mais je regrette, auprès du rêve qui subsiste,
Juin, Juillet, Août, comptés aux rayons du soleil,
Les orangers autour de la cour un peu triste,
La candeur des grands lys sur le jardin vermeil.
Et les arômes doux des profondes allées
Où les tilleuls, fleuris jusqu'à leur faîte obscur,
Font monter dans l'élan des branches étalées
Des calices de fleurs à des hauteurs d'azur.
Je voudrais revivre ma vie...
Je voudrais revivre ma vie,
Jour par jour, avec la raison
D'une intelligence asservie,
Que ne tente plus l'horizon;
Relire tout entier mon livre,
Sans me hâter et sans frémir,
De la page où l'on se sent vivre
A celle où l'on se voit mourir.
Plus d'attente ni de surprises:
Et les bonheurs sans lendemain
Feuilles roses, au revers grises,
Ne feraient pas trembler ma main.
Novembre
Arbres parisiens, aux sèves mesurées
Par la pierre, l'asphalte et par le gaz ardent,
Vous portez des oiseaux et des nids cependant,
Et le soleil vous fait des branches empourprées;
Vous êtes la nature au milieu des palais,
Du morne cimetière et du faubourg alerte;
Vous dépassez parfois les murs d'un souffle frais
Où le hasard d'un fruit met une pulpe verte.
Ce soir, contre ma vitre, entre vos noirs rameaux
Où la feuille en détresse a des révoltes d'aile,
J'évoque un fleuve lent à sa rive fidèle,
Et la paix ancestrale où dorment les hameaux.
Paris, dont la rumeur a tinté dans un lustre,
De quelque choc lointain, sur son pavé heurté.
Paris, je l'entends bien, mais, rêvant de l'été,
Je me crois accoudée à quelque vert balustre.
Une abeille bruit, un liseron penché
ferme comme un cornet sa corolle de soie.
Le soir rôde, un parfum pénétrant et séché
Jaillit sous l'arrosoir qui met la terre en joie.
L'heure est divine, ainsi qu'un sursis de bonheur
A tous ceux qu'accabla le mal obscur de vivre.
Souvenir d'oasis à goût d'arbre et de fleur,
Malgré la nuit, l'hiver et l'approche du givre!
Juin
Le coucou décevant chante dans les grands bois:
Il est ici, puis là, jamais il ne s'arrête;
Son vol est un circuit dessiné par sa voix
Sonore, printanière, et pourtant inquiète:
Coucou! le moissonneur dans le cri répété
Compte son blé, son or, les récoltes prochaines,
Le meunier voit tourner son moulin déjeté;
Le bûcheron l'écoute en regardant les chênes.
Précurseur des bienfaits de l'été triomphant.
Il domine et fait taire aux buissons de la haie
Mésanges et bouvreuils au romantique chant,
La fauvette en l'allée et dans la roseraie.
Qu'il chante! Il n'a qu'un jour, une heure de soleil,
Et l'écho pour lequel sa voix semble promise
Avec sa double note au timbre de vermeil
Bientôt, Juillet venant, se taira par surprise.
Octobre
J'écouterai la pluie égale de l'automne
Dans un pays boisé, près d'une eau monotone,
Aux peupliers dorés par la chute de l'an
Et par celle du jour, sur un flot nonchalant:
J'entendrai ce qui tombe avec la lente pluie,
La feuille en tourbillons et la fleur qui délie
Ses pétales derniers et s'ouvre pour mourir;
Le nid vide où la plume est lente à refroidir.
Contournant la toiture et battant les tourelles
Comme pour en user les pierres éternelles,
L'eau descendra bientôt sur les vitres, à flots,
En rayures, mêlant les rides aux sanglots.
Du matin blanc, pâli sous l'abondante averse.
Jusqu'au soir que le ciel charitable nous verse,
Pour y cacher l'ennui des heures sans soleil,
Il pleuvra sur le fleuve et l'automne vermeil.
Rythme ininterrompu, limpide écho du rêve,
J'irai l'entendre et je l'écouterai sans trêve
Tant que le ciel voudra pleurer les jours défunts
Sur le toit sans oiseaux et l'aire sans parfums.
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