Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Delarue-Mardrus : Inédits (publiés dans "Choix de poèmes", 1951

Inédits

(Dans "Choix de Poèmes", 1951)

(Retrouver d'autres inédits extraits du même recueil sur la page consacrée aux "Derniers Poèmes" DOIGT 26.jpg

 

LE COQUILLAGE

 

Le coquillage où luit tant de nacre, et qui traîne

Sur cette table, offert à tes doigts imprudents,

Surtout n'y colle pas ton oreille : dedans

On entend de trop près le chant de la sirène.

 

 

CHAISE LONGUE

 

Je ne sais si je dors, mais je sais que je rêve.

Ma ville est à mes pieds, et l'estuaire bleu.

D'ici, rien n'a changé. je me retrouve un peu

Dans mon enfance longue et ma jeunesse brève.

 

D'ici, je n'entends pas bourdonner les moteurs

Dans les barques, non plus les nouvelles musiques

Dans les maisons en proie aux jouets mécaniques.

Je n'entends que la cloche, ou crier les vapeurs.

 

Je ne descendrai plus dans ma ville, investie

par l'esprit d'aujourd'hui brutal et décevant.

Je resterai chez moi, douloureux ci-devant,

Dans l'odeur du passé, pas encore partie.

 

 

PASSÉ

 

Maintenant j'aime mieux en rêve

Ma maison qu'en réalité.

Trop d'intrus sont venus gâter

Ce qui fut doux comme les rêves.

 

Certains mois de mai dans les roses,

Certains étés fous de grillons,

Certains automnes en haillons...

O souvenirs, défuntes roses !

 

Tant de jours, lents et sans orages,

Seule avec tout ce que j'aimais !

Ce temps ne reviendra jamais.

Partout, maintenant, des orages.

 

Etrangers, avec votre enfance

demeurée au sein d'autres lieux,

Pourquoi vos regards curieux

Parmi mes souvenirs d'enfance ?

 

Mes prés à moi ne sont pas les vôtres.

Vous êtes venus de partout

Pour m'envahir de bout en bout.

Mes secrets ne sont pas les vôtres.

 

Allez-vous en ! Laissez-moi seule !

- Trop tard ! Trop tard ! Ils sont entrés

En foule épaisse dans mes prés,

Jamais je n'y serai plus seule.

 

Aussi vais-je fuir ma demeure

Pour l'évoquer tout bas de loin,

Chassée à présent de ce coin

Où seul mon fantôme demeure.

 

 

ADIEU

 

J'ai vendu ma maison d'où me chassait la vie,

             Et j'ai froid, jusque dans le coeur,

             Il m'arrive ce grand malheur,

            Ma route bifurque - ou dévie.

 

D'autres vont donc hanter le magnifique lieu

           Où je promenais ma tristesse.

           Belle maison aimée, adieu !

           Sois le tombeau de ma jeunesse !

 

L'âge, la malveillance et tout le reste ont fait

          Que je ne pouvais plus y vivre.

          Mais à présent quel chemin suivre ?

          Devant mes yeux tout se défait.

 

Ce fut l'enfance, et puis ce fut l'adolescence

         Et la jeunesse. Maintenant,

        J'en arrive au dernier tournant ;

        C'est déjà la mort qui commence.

 

 

DEPART

 

Une romantique tempête

Aura marqué ce dernier soir.

Je m'en vais, et c'est la défaite,

Et le vent rugit dans le noir.

Je pars demain sans au revoir.

Toute ma maison est défaite.

Caisses, malles... Sur quoi m'asseoir ?

A fond de cale, on choit, je guette

Au creux d'un vaisseau sans espoir.

 

 

C'EST PARIS...

 

Adieu, solitude des prés,

Adieu les grandes galopades,

Les derniers beaux jours enterrés

Reposent sous des bois malades.

 

Autre existence, autre saison :

C'est Paris, ses becs et ses ongles,

Où je vais découvrir des jungles

Au détour de chaque maison.

 

Pourtant, sans craindre ces repères,

Otant mes bottes de mes pieds,

Je vais marcher sur des vipères

Avec de tout petits souliers.

 

 

 

EN MER

 

I

 

Mes hublots sont pleins d'Atlantique

Et je n'y puis plonger la main.

Le bateau va droit son chemin,

Livrant sa bataille nautique.

 

Loin sur les terres, c'est l'été,

Mais sans saisons est le voyage.

Mon esprit tourne dans sa cage,

Prisonnier de l'immensité.

 

 

II 

 

La mer jette sur mes sabords

Des tonnes; des tonnes d'eau sombre,

Une écume en frange les bords,

Subite lumière dans l'ombre.

 

Cette eau glaciale qui bout,

Cette colère incohérente

Qui porte un nom à chaque bout

N'est ici, neutre, indifférente,

 

Que l'Océan, trait d'union

Entre de lointaines patries,

Prêt à noyer dans ses furies

Chaque drapeau comme un haillon.

 

de tous les temps, âge de pierre,

Elément sans cesse bravé

Mais dont nul progrès n'a pu faire

Un nouvel esclave entravé,

 

La mer, la mer, ce monstre libre,

Je l'écoute, du trou profond

De ma cabine, et mon coeur vibre

D'un désir d'aller par le fond.

 

 

ROMANCE

 

I

 

J'ai, dans ma gorge et dans mon âme,

Le sanglot du printemps

Et le souvenir de la femme

Que j'aimais quand j'avais vingt ans.

 

Pourquoi, tandis que refleurissent

Les arbres morts chargés des plus tendres couleurs,

Faut-il que les amours périssent

Et ne refassent plus de fleurs ?

 

 

ROMANCE

 

II

 

L'amour, renié si souvent,

Est sur moi comme une tempête

Me tordant de la base au faîte

Ainsi qu'un chêne dans le vent.

 

Je souffre de sa véhémence

Mais combien j'aime ainsi souffrir !

En proie à cet orage immense,

je voudrais en mourir !

 

 

FORCE

 

Etre faible dans des bras forts,

Pleurer quand j'en avais envie,

Avant de partir chez les morts

Ce fut le rêve de ma vie.

 

Je n'aurai pas connu l'émoi

D'être petite et protégée.

Même pour l'âme plus âgée

La force, ce fut toujours moi.

 

J'ai donné courage et fluides

Chaque fois qu'on en eut besoin,

Et j'enviais mon propre soin,

Tous mes présents dans des mains vides.

 

Je fus si souvent, en secret,

La petite fille qui pleure !

mais ce ne fus jamais mon heure

Car quelqu'un d'autre aussi pleurait,

 

Pleurait, le front sur mon épaule,

Quelque profonde affliction

Et je devais tenir mon rôle

Eternel de protection.

 

Certes, j'étais d'une autre sorte

Dans mes solitudes de nuit...

Je ne fus après tout si forte

Que par la faiblesse d'autrui.

 

 

JE CONNAIS...

 

Je connais et trop souvent frôle

Des vivants déjà morts pour moi.

Ils ont déjà fini leur rôle

Dans mon amour ou mon émoi.

 

Ils ont changé comme moi-même,

L'existence a passé par là.

Il sont dans ce morne au-delà:

L'indifférence, mort suprême.

 

Quand ils ne seront plus, je crois

Que le départ sera moins triste

Que l'habitude qui persiste

De leur sourire quelque fois.

 

 

LE SECRET

 

Je me sens quelquefois encor

Sauvage, bien que si tranquille

Au fond de la petite ville

Où tout ce que je fus s'endort.

 

Je sens alors, moi, dame âgée

Sous des cheveux restés si bruns,

Ma jeunesse et tous ses parfums

Rallumer mes yeux d'insurgée.

 

Et puis je retombe à l'ennui.

Fin de l'ivresse passagère.

L'âme et le regard pleins de nuit,

Je redeviens une étrangère.

 

Alors, mon passé m'apparaît

Comme l'histoire d'une autre âme,

Quelque chose comme un secret

Qu'un jour m'aurait dit une femme.

 

 

TRAVAIL

 

Je suis et ne fus qu'un poète,

mais vivre n'admet pas cela

Et je dois aussi, de ma tête,

Tirer les écrits que voilà.

 

Il faut bien que je vive en prose

Puisque je dois gagner mon pain.

Je n'aurai pas toujours dépeint

Ce que j'avais vu de la rose,

 

Pas toujours écouté la voix

Divine, qui dans l'air frissonne.

D'ailleurs, je suis lasse, parfois,

D'écrire des vers pour personne.

 

 

 

 

 

 



03/12/2014
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