Delarue-Mardrus : Inédits (publiés dans "Choix de poèmes", 1951
Inédits
(Dans "Choix de Poèmes", 1951)
(Retrouver d'autres inédits extraits du même recueil sur la page consacrée aux "Derniers Poèmes"
LE COQUILLAGE
Le coquillage où luit tant de nacre, et qui traîne
Sur cette table, offert à tes doigts imprudents,
Surtout n'y colle pas ton oreille : dedans
On entend de trop près le chant de la sirène.
CHAISE LONGUE
Je ne sais si je dors, mais je sais que je rêve.
Ma ville est à mes pieds, et l'estuaire bleu.
D'ici, rien n'a changé. je me retrouve un peu
Dans mon enfance longue et ma jeunesse brève.
D'ici, je n'entends pas bourdonner les moteurs
Dans les barques, non plus les nouvelles musiques
Dans les maisons en proie aux jouets mécaniques.
Je n'entends que la cloche, ou crier les vapeurs.
Je ne descendrai plus dans ma ville, investie
par l'esprit d'aujourd'hui brutal et décevant.
Je resterai chez moi, douloureux ci-devant,
Dans l'odeur du passé, pas encore partie.
PASSÉ
Maintenant j'aime mieux en rêve
Ma maison qu'en réalité.
Trop d'intrus sont venus gâter
Ce qui fut doux comme les rêves.
Certains mois de mai dans les roses,
Certains étés fous de grillons,
Certains automnes en haillons...
O souvenirs, défuntes roses !
Tant de jours, lents et sans orages,
Seule avec tout ce que j'aimais !
Ce temps ne reviendra jamais.
Partout, maintenant, des orages.
Etrangers, avec votre enfance
demeurée au sein d'autres lieux,
Pourquoi vos regards curieux
Parmi mes souvenirs d'enfance ?
Mes prés à moi ne sont pas les vôtres.
Vous êtes venus de partout
Pour m'envahir de bout en bout.
Mes secrets ne sont pas les vôtres.
Allez-vous en ! Laissez-moi seule !
- Trop tard ! Trop tard ! Ils sont entrés
En foule épaisse dans mes prés,
Jamais je n'y serai plus seule.
Aussi vais-je fuir ma demeure
Pour l'évoquer tout bas de loin,
Chassée à présent de ce coin
Où seul mon fantôme demeure.
ADIEU
J'ai vendu ma maison d'où me chassait la vie,
Et j'ai froid, jusque dans le coeur,
Il m'arrive ce grand malheur,
Ma route bifurque - ou dévie.
D'autres vont donc hanter le magnifique lieu
Où je promenais ma tristesse.
Belle maison aimée, adieu !
Sois le tombeau de ma jeunesse !
L'âge, la malveillance et tout le reste ont fait
Que je ne pouvais plus y vivre.
Mais à présent quel chemin suivre ?
Devant mes yeux tout se défait.
Ce fut l'enfance, et puis ce fut l'adolescence
Et la jeunesse. Maintenant,
J'en arrive au dernier tournant ;
C'est déjà la mort qui commence.
DEPART
Une romantique tempête
Aura marqué ce dernier soir.
Je m'en vais, et c'est la défaite,
Et le vent rugit dans le noir.
Je pars demain sans au revoir.
Toute ma maison est défaite.
Caisses, malles... Sur quoi m'asseoir ?
A fond de cale, on choit, je guette
Au creux d'un vaisseau sans espoir.
C'EST PARIS...
Adieu, solitude des prés,
Adieu les grandes galopades,
Les derniers beaux jours enterrés
Reposent sous des bois malades.
Autre existence, autre saison :
C'est Paris, ses becs et ses ongles,
Où je vais découvrir des jungles
Au détour de chaque maison.
Pourtant, sans craindre ces repères,
Otant mes bottes de mes pieds,
Je vais marcher sur des vipères
Avec de tout petits souliers.
EN MER
I
Mes hublots sont pleins d'Atlantique
Et je n'y puis plonger la main.
Le bateau va droit son chemin,
Livrant sa bataille nautique.
Loin sur les terres, c'est l'été,
Mais sans saisons est le voyage.
Mon esprit tourne dans sa cage,
Prisonnier de l'immensité.
II
La mer jette sur mes sabords
Des tonnes; des tonnes d'eau sombre,
Une écume en frange les bords,
Subite lumière dans l'ombre.
Cette eau glaciale qui bout,
Cette colère incohérente
Qui porte un nom à chaque bout
N'est ici, neutre, indifférente,
Que l'Océan, trait d'union
Entre de lointaines patries,
Prêt à noyer dans ses furies
Chaque drapeau comme un haillon.
de tous les temps, âge de pierre,
Elément sans cesse bravé
Mais dont nul progrès n'a pu faire
Un nouvel esclave entravé,
La mer, la mer, ce monstre libre,
Je l'écoute, du trou profond
De ma cabine, et mon coeur vibre
D'un désir d'aller par le fond.
ROMANCE
I
J'ai, dans ma gorge et dans mon âme,
Le sanglot du printemps
Et le souvenir de la femme
Que j'aimais quand j'avais vingt ans.
Pourquoi, tandis que refleurissent
Les arbres morts chargés des plus tendres couleurs,
Faut-il que les amours périssent
Et ne refassent plus de fleurs ?
ROMANCE
II
L'amour, renié si souvent,
Est sur moi comme une tempête
Me tordant de la base au faîte
Ainsi qu'un chêne dans le vent.
Je souffre de sa véhémence
Mais combien j'aime ainsi souffrir !
En proie à cet orage immense,
je voudrais en mourir !
FORCE
Etre faible dans des bras forts,
Pleurer quand j'en avais envie,
Avant de partir chez les morts
Ce fut le rêve de ma vie.
Je n'aurai pas connu l'émoi
D'être petite et protégée.
Même pour l'âme plus âgée
La force, ce fut toujours moi.
J'ai donné courage et fluides
Chaque fois qu'on en eut besoin,
Et j'enviais mon propre soin,
Tous mes présents dans des mains vides.
Je fus si souvent, en secret,
La petite fille qui pleure !
mais ce ne fus jamais mon heure
Car quelqu'un d'autre aussi pleurait,
Pleurait, le front sur mon épaule,
Quelque profonde affliction
Et je devais tenir mon rôle
Eternel de protection.
Certes, j'étais d'une autre sorte
Dans mes solitudes de nuit...
Je ne fus après tout si forte
Que par la faiblesse d'autrui.
JE CONNAIS...
Je connais et trop souvent frôle
Des vivants déjà morts pour moi.
Ils ont déjà fini leur rôle
Dans mon amour ou mon émoi.
Ils ont changé comme moi-même,
L'existence a passé par là.
Il sont dans ce morne au-delà:
L'indifférence, mort suprême.
Quand ils ne seront plus, je crois
Que le départ sera moins triste
Que l'habitude qui persiste
De leur sourire quelque fois.
LE SECRET
Je me sens quelquefois encor
Sauvage, bien que si tranquille
Au fond de la petite ville
Où tout ce que je fus s'endort.
Je sens alors, moi, dame âgée
Sous des cheveux restés si bruns,
Ma jeunesse et tous ses parfums
Rallumer mes yeux d'insurgée.
Et puis je retombe à l'ennui.
Fin de l'ivresse passagère.
L'âme et le regard pleins de nuit,
Je redeviens une étrangère.
Alors, mon passé m'apparaît
Comme l'histoire d'une autre âme,
Quelque chose comme un secret
Qu'un jour m'aurait dit une femme.
TRAVAIL
Je suis et ne fus qu'un poète,
mais vivre n'admet pas cela
Et je dois aussi, de ma tête,
Tirer les écrits que voilà.
Il faut bien que je vive en prose
Puisque je dois gagner mon pain.
Je n'aurai pas toujours dépeint
Ce que j'avais vu de la rose,
Pas toujours écouté la voix
Divine, qui dans l'air frissonne.
D'ailleurs, je suis lasse, parfois,
D'écrire des vers pour personne.
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