Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

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Delarue-Mardrus : Par Vents et Marées

Delarue-Mardrus

PAR VENTS ET MARÉES

 

Poèmes parus dans "Choix de poèmes"  (1951)

extraits de "Vents et Marées"

 

 

ORAISON

 

 

Aux Péqueux de Honfleur, mes pays.

 

Notre-Dame de Grâce, vétuste patronne

Des pêcheurs et des matelots,

Dame de bois et d'or à la belle couronne

Qui loges au-dessus des flots,

 

Veuille à jamais bénir, tout au bas de la côte,

Honfleur, ma ville aux deux clochers,

Qui descend jusqu'au bord de la mer basse ou haute

Parmi de grands filets séchés.

 

Voici le petit port et ses bassins verdâtres,

Sa lieutenance d'autrefois,

Ses maisons à pignons dont s'effritent les plâtres

Entre leurs poutrelles de bois.

 

Voici les bateaux bruns, usés un peu, qu'allège

Leur voile, aile de goéland,

Rivés de long des quais dans l'éternel relent

Des goudrons et bois de Norvège.

 

Voici tout grisonnants, coiffés de leurs bonnets

De laine tricotée et vieille,

Ces pêcheurs que depuis trois cents ans tu connais,

Portant l'anneau d'or à l'oreille.

 

Voici les matelots, mousses et débardeurs,

Tous gens de roulis et de houles,

Et, de même, voici les poissardes leurs soeurs,

Et celles qui cueillent les moules.

 

Tout ce peuple salé lève vers toi les yeux,

C'est lui qui te nomma sa reine,

Sainte Vierge de mer, madone un peu sirène,

Toi son unique merveilleux.

 

Certes, on le sait bien, ces gens-là sont ivrognes,

D'alcool leur coeur est saturé,

Mais, n'es-tu pas, Marie, au-dessus de leurs trognes,

Ce qui reste d'un peu doré ?

 

Dans l'orage hurlant ou sur la mer muette,

Gardienne de jour et de nuit,

Au côtés de la barque, invisible mouette,

N'es-tu pas celle qui les suit ?

 

Et ne savent-ils pas, au milieu des bourrades,

Penser à quelque humble ex-voto,

Et, quand ils vont sombrer loin des ports et des rades,

Te promettre un petit bateau ?

 

Vois ! leur reconnaissance encombre la chapelle,

Plaques de marbre, cierges droits,

Et ces barques qu'ils font, longues comme deux doigts,

Joujoux de bois et de ficelle.

 

Tout cela, pour orner tes deux pieds triomphants,

T'arrive du fond des naufrages.

Toute l'immense mer avec ses grandes rages

T'honore en ces cadeaux d'enfants.

 

C'est pourquoi sois-leur donc douce, ô Dame maritime !

Garde-leur l'amour puéril

Que tous ils ont pour toi, naïvement intime,

Dans la misère et le péril.

 

Patronne des marins, l'existence est si dure...

Sois toujours celle d'autrefois,

Et protège et bénis toujours dans sa verdure

Honfleur, la ville de guingois.

 

Honfleur 01.jpg    Honfleur 02.jpg

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DÉFI

 

Que la haine anonyme et que l'envie esclave

Environnent mon coeur de leurs traits incessants !

Je regarde à mes pieds éclaboussés de bave

            La révolte des impuissants.

 

Votre encre empoisonnée est vaine. Votre proie

Ce n'est pas moi ! Qui donc va me tordre le col ?

Mon visage se rit de votre vitriol,

            Vous n'atteindrez jamais ma joie.

 

Contre mes vrais trésors nul de vous ne peut rien.

Ma pensée est à moi comme est à moi mon homme,

Comme est à moi mon temps, comme est à moi mon bien.

           Additionnez ! Je fais la somme !

 

Non ! Vous n'entrerez pas chez moi, dans ma maison,

Vous ne briserez pas mes vitres sur ma Seine,

Vous ne m'ôterez pas Paris. Non, votre haine

          Ne barre pas mon horizon.

 

Vous n'envahirez pas ma campagne natale,

La terre où doucement, les miens sont enfouis.

Il n'est aucun relent de votre haleine sale,

          Dans mon pays, dans mon pays !

 

Mon pays où je fus une enfant avant d'être

La femme d'aujourd'hui que visent tant de coups,

Où des vieilles que j'aime et qui me virent naître

          Me bercèrent sur leurs genoux.

 

Non ! Vous ne serez pa la sombre Jacquerie

En route vers le fier château de mon bonheur.

Car j'ai, pour me garder contre le flot hurleur,

        Ma haie autour de ma prairie.

 

Venez ! Et franchissez mes herbages bourbeux !

Vous y serez reçus, croyez-le, haut et ferme,

Sur les fourches de fer des hommes de ma ferme

       Et sur les cornes de mes boeufs !

 

 

APPEL

 

Venez, Bach, vous Schumann, vous Beethoven, vous Gluck,

Vous les seuls vrais amants de notre âme anxieuse,

Vous qui ne nous donnez de votre humanité

          Que la plus parfaite beauté,

Ainsi que certains fruits à l'écorce rugueuse

          Dont nous ne goûtons que le suc.

 

Si vous pouviez savoir !... Nous sommes toujours seule

En dépit des amours roulés à nos genoux.

Mais vous ! quand vous parlez jusqu'au fond de nous-même,

          Tout notre être répond : "Je t'aime !"

Musiciens passés qui déferlez sur nous,

          Qui nous broyez comme une meule !

 

Esprits qui revenez au bois des violons,

Sanglot éternisé  de l'amour, âmes d'hommes,

Venez à nous : voici notre être inapaisé.

          Musique, ô charnelle, ô baiser,

Prends, brise, tords la lyre ardente que nous sommes,

          O toi, tout ce que nous voulons !

 

 

"LA MARSEILLAISE"

 

Grands hommes pleins de gloire, amoureux pleins d'amour.

Mendiants qui vivez de misère pleurée,

Vous, riches, Pour lesquels l'existence est dorée,

Vous, médiocres las, traînant au jour le jour.

 

Morceau d'humanité, grande et grouillante masse,

gens de France nourris de rires et de pleurs,

Gens de France ! Un seul coeur, fait, de milliers de coeurs,

Palpite, quand, sur vous, La Marseillaise

Ne vous redresse pas comme des coqs gaulois ?

 

Eclate, Marseillaise hautaine et populaire !

Tu fais chacun de nous poète, ô cri du sol !

Quelle que soit notre âme, appréhendés au col,

Nous t'écoutons parler à notre race claire.

 

Ton souffle, c'est celui de nos champs, prés, taillis,

De nos sombres chantiers, de nos usines tristes.

C'est le souffle de nos penseurs, de nos artistes,

De nos grands et de nos petits, c'est le pays !

 

Qu'il s'exhale ce souffle, en sa toute-puissance,

L'un quitte sa pensée et l'autre ses outils.

Un seul élan, soudain, rapproche les partis,

Et nous nous sentons tous ivres d'obéissance.

 

Marseillaise ! On ne peut t'écouter à demi.

Quand ta grande clameur parmi les cuivres crie,

Quand tu nous dis : "Allons, enfants de la patrie !"

Nous voyons devant nous se dresse l'ennemi.

 

Quel est l'hymne, à travers la terre, qui t'égale ?

Nous entendrons le chant de chaque nation,

Mais aucun d'eux n'aura ta folle passion.

- Près de La Marseillaise en flamme, tout est pâle.

 

Non ! Nous ne croirons pas notre génie éteint

Tant que  ous porterons, nous autres, ceux de France,

Plus haut que notre joie et que notre souffrance,

La Marseillaise rouge en nous, comme un instinct !

 

 

II

 

AUX DEVICHES MEWLEWI

 

Je garde ce bonheur entre tous les bonheurs

              D'avoir connu la descendance

Platonique, la seule, en ces divins tourneurs

              Pâlis de musique et de danse.

 

Une flûte blessée à voix de rossignol

             Accompagne des tambours frêles ;

Et, pour que vingt soufis prennent soudain leur vol,

             Les bras s'ouvrent comme des ailes.

 

Ils tournent ! Je te vois, cercle passionné,

             Et je te sens, spasme de l'âme !

Au grand rythme muet de ces jupes de femmes,

             Tout mon être aussi veut tourner.

 

Choeur d'esprits qui glissez comme jadis les anges

             Sur un signe de Gabriel,

Chacun de nous, blanc papillon surnaturel,

             Se multiplie en pas étranges.

 

C'est la ronde de rêve et de réflexion.

            Une main jette, et l'autre accepte.

Votre hypostase danse et redit le précepte

            D'éternelle giration.

 

Le tournoiement sans bruit de vos candides voiles

             Evente le mystique lieu,

Et vous perpétuez, ô frères des étoiles,

             Le mouvement qui plaît à Dieu.

 

Soufis ! Le beau désir de voler vous emporte !

             Dans un geste crucifié,

Vous tournez, les bras étendus, l face morte

             Et le souffle raréfié,

 

Vous tournez, vous tournez, enivrés de vertige,

             Heureux jusques à la douleur,

Et votre robe semble, arrachée à sa tige,

             Une immense et démente fleur.

 

Le vol silencieux ! La fraîcheur d'ailes blanches !

            Ah ! que chaque pas, chaque tour,

Que chaque glissement des pieds nus sur les planches

           Répète : Amour ! Amour ! Amour !...

 

 

PROMENADE

 

Le coup d'aile charmant de notre fantaisie

Nous emmène ce soir aux Eaux-Douces d'Asie.

 

Et sur l'eau, nous goûtons une joie archaïque

Dans le berceau fragile et doré du caïque. (petit bateau de pêche)

 

Une verdure en fleurs, sur la côte quiète,

Dans la rivière verte, en douceur se répète.

 

C'est là qu'avec sa paix et sa mélancolie

Vient, dans l'eau, s'achever la belle Anatolie.

 

Un oiseau chante Mai. la grâce de l'année

Met un chapeau fleuri sur la tour ruinée.

 

Et c'est un doux plaisir, au vol de la rencontre,

Lorsqu'un autre caïque inattendu se montre,

 

A l'endroit où, soudain, la rivière bifurque,

De jeter une rose à quelque dame turque.

 

77

 

 



02/12/2014
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