Delarue-Mardrus : Poèmes de Edna Saint-Vincent Millay (traduction de l'anglais)
Lucie Delarue-Mardrus
traduction de
Poèmes de Edna Saint-Vincent Millay
(1892-1950)
Pour en savoir plus sur cette poétesse américaine, consulter la page qui lui est consacrée sur
LES CYGNES SAUVAGES
J'ai, tandis que passaient ces beaux cygnes sauvages,
regardé dans mon coeur, et j'e n'y ai vu rien -
Rien que du déjà vu, soit en mal, soit en bien,
Rien pour accompagner ce vol dans les nuages.
Ennuyeux coeur toujours vivant, toujours mourant,
Maison sans air, adieu ! Je ferme à clé la porte !
Cygnes blancs, revenez sur la ville en cohorte,
Sur la ville, traînant vos pattes et criant !
SONNET
Tu n'as pas plus d'attrait que n'en ont les lilas
Ou bien le chèvrefeuille, et tu n'es pas plus belle
Que les jeunes pavots dans leur blancheur nouvelle.
Et, bien que devant toi, je m'incline très bas,
Ta beauté, je la puis supporter. Mais mes pas
A droite, à gauche, vont, et mon regard chancelle,
Car je ne trouve pas de refuge contre elle.
Ainsi le clair de lune imprègne mon coeur las.
De même que celui qui, dans sa coupe, ajoute
Au délicat poison chaque jour une goutte,
Jusqu'à boire dix fois la mort impunément,
Habituée à ta beauté, je la consomme
Dose augmentée ainsi de moment en moment,
Et bois sans en mourir ce qui tua des hommes.
RENAISSANCE
FRAGMENTS
.........................................
L'omnisscience de mon âme,
Je la dois payer par ce drame
De sentir tous les péchés miens,
Tous les remords brûler mon sein,
Miennes toutes haines couvées,
Miennes les trahisons levées,
Miennes les fautes de la chair,
Mien tout le mal de l'univers.
Et, devant tant d'horreur, j'appelle
Au secours ! Horreur personnelle,
Cri de cent peuples dans mon cri,
Moi qui meurs quand chacun périt
Et suis en deuil de tout au monde !
...................................................
Comment supporté-je ceci ?
Comment suis-je enterrée ici
Tandis que le ciel se partage
Et que tant d'azur suit l'orage ?
..................................................
Fais-moi naître, criai-je, ô Dieu !
Fais-moi naître encore ! Je veux
Revenir sur terre. Renverse
Les nuages ! Refais l'averse
Si puissante et creusant si fort
Qu'elle m'arrache de la mort !
Je me tus. Et, dans le silence
Qui seul me répondait, immense,
Vint à siffler le vol soudain
D'ailes accourant du lointain
Comme une vibrante musique
Sur la corde de ma supplique
Passionnée ; et, brusquement,
Comme ainsi se levait le vent,
Les nuages cabrés d'orage
Terrifiant le paysage,
L'averse descendit d'en haut
Et, folle, frappa mon tombeau.
Comment arrivèrent ces choses ?
Je ne sais. Mais, plus doux que roses
Un parfum me vint, une odeur
Qui sembla celle du bonheur,
Un chant d'elfe chantant sa joie
Pour soi-même, sans qu'on le voie,
Et, plus puissant que tout, plus gai,
Le sentiment de m'éveiller.
J'entendis l'herbe à mes oreilles
Murmurer sans fin des merveilles,
Sur ma bouche qui s'entr'ouvrait
La pluie allongea ses doigts frais,
Toucha le sceau de mes paupières
Et, laissant place à la lumière,
La nuit ôta son bandeau noir,
Et, mes yeux s'ouvrant, je pus voir
La dernière ligne argentée
De la pluie, et, toutes mouillées,
Les branches des pommiers, et, bleu,
Un ciel frais où plus rien ne pleut.
Et comme je contemplais, pâle,
Le vent jeta, douce rafale,
Sur ma face, parfum léger,
Tous les miracles d'un verger.
Et l'odeur des choses écloses...
- Comment arrivèrent ces choses ? -
Remit soudain mon âme en moi.
Ah ! je bondis hors du sol froid,
Et, criant un cri si farouche
Que jamais une humaine bouche
Ne fit entendre pareil cri
Sinon l'enterré qui revit,
J'entourai de mes bras les branches,
Follement et, corps qui se penche
Embrassant la terre au soleil.
j'ouvris mes bras et, dans le ciel,
Je commençai de rire, rire,
Jusqu'à ce sanglot qui déchire,
Jusqu'à ce frisson furieux.
" O Dieu, criai-je, qu'on me die
S'il reste rien qui me déguise
Désormais, dans le ciel d'été,
Ta radieuse identité !"
........................................
Des deux côtés s'ouvre le monde,
Vaste autant que l'âme est profonde.
Au-dessus, le ciel sans défaut
N'est haut que si le coeur est haut.
.............................................
Mais l'Est et l'Ouest sont des tenailles
Pour qui ne leur laisse leur taille,
Et l'âme qui manque de feu,
Le ciel l'emmure peu à peu.
Fin
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