Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Delbrêl (Madeleine) 1904-1964

 Madeleine Delbrêl

 

1904-1964 

Consulter la page d'"Esprit et Vie" qui lui est consacrée

 


 Le poème qui suit a été publié dans la revue "Poésie. Cahiers Mensuels Illustrés", 1928, T.6, p. 21

  

 Prière du matin

 

Allons mon corps, puisque ton maître

Veut bien encore nous permettre

De vivre ce jour qui vient;

Tout comme la veille de mettre

Les mêmes péchés et, peut-être,

Pas le même peu de bien

Dans la communauté peinante de la terre,

Pour le bonjour à Dieu, pour la prière,

Tes deux mains

Mets-les ensemble

En ce matin qui ressemble

Tellement aux autre matins.

Je vous prierai, mon Dieu, pour ceux qui font des planches

Dans les sapins abattus ras

Et qui les taillent en tranches

Comme le pain lorsque vient l'heure du repas;

Pour la vieille qui veille aux ruches des abeilles,

Pour la femme qui fait des gâteaux aux groseilles;

Pour l'âpre braconnier qui prend

Des poissons clairs dans l'eau plus claire

Pour la boîteuse qui vend,

Toute jaune de misère,

Ce qu'il y a dans les bouteilles de couleur

Les jour de ripaille et de danse;

Pour les bergers qui gravissent votre silence,

Je prierai, pour moi qui vous prie,

Pour que ce jour à vos yeux soit bon

Et ma pauvre tâche bénie.

Car j'ai trouvé

Sitôt levé

Sur ma table la tâche prête,

Avec les mots qu'on défraîchit

Je dois faire une oeuvre honnête,

Avec les mots qui luisaient neufs sur notre terre

Lorsque les eaux portaient l'Esprit

Et que vous appeliez au nom de votre Père,

Seigneur Verbe, tout ce qu'il fit.

 

 


 

 Extrait de " La Route " à paraître Prix Sully Prud'homme 1926 
 
Dame de lumière
     Dame de la lumière et de Forte sagesse,
 Ecoliers vagabonds en quête de savoir, 
Epuisés de marcher, reposés de te voir, 
Nous avons obtenu le don de ta tendresse 
Et tu nous dis : « Quittez vos demeures en deuil, 
Vos livres impuissants qui gardent le silence ; 
Je suis la maison d'or où veille la science, 
Et le livre de vie est ouvert à mon seuil. 
Pour le passant craintif, las d'une foule noire, 
Je suis le reposoir fait de sérénité; 
Parmi vos murs branlants tachés de vanité 
Pure éternellement je suis la tour d'ivoire. 
Je suis porte du ciel, et mes piliers jumeaux 
 Sont les veilleurs debout sur les dernières marches ; 
 Je suis pour vos péchés la plus claire des arches 
 Qui promet l'alliance à des âges nouveaux. 
Vous avez tant jeûné du pain qu'on multiplie, 
De cette charité dont les âmes ont faim ; 
Quand vos jours se fanaient au creux de votre main 
Vous avez tant levé votre face pâlie ; 
Pour déchiffrer les mots que révèlent vos cieux 
Vous avez tant cherché quelque règle profonde ;
 Vous avez tant lutté pour arracher le monde 
A cette obscurité dont s'offensent vos yeux ; 
Vous avez tant prié pour allumer vos lampes 
A l'étoile de feu qui vous conduit encor ; 
Vous avez tant peine pour délivrer la mort 
Du masque douloureux qui fit battre vos tempes; 
Vous avez tant pleuré pour tomber à genoux 
Dans cette humilité qui racheta votre être ; 
Vous avez tant souffert pour apprendre à connaître 
Les secrets primitifs qui s'abîment en vous, 
Que pour votre regard j'ouvre mon livre austère, 
Mon livre de sagesse à l'unique leçon, 
Qui porte, redoutable, au coeur de la moisson, 
Les clochers inégaux où pèse le mystère. 
 

 
 Publié dans "Les Cahiers Mensuels Illustrés de janvier 1922
 LA FILEUSE 

    Vous filiez autrefois les précieuses nappes 
Pour les festins royaux où l'on chantait l'amour, 
Et vous filiez aussi les rayonnantes chapes 
Des barbares prélats qui célébraient le jour. 
Vous filiez une voile à la barque lointaine 
Qui cherchait sur les mers les caresses du vent,
Et les manteaux de chanvre et les robes de laine 
Pour les pâles bergers qui dansaient au levant ; 
Les tuniques de lin des filles solitaires 
Qui miraient leur cheveux dans l'eau verte des puits, 
Et des capuchons noirs pour les veuves austères 
Qui trainaient un parfum de cyprès et de buis. 
Et, lasse maintenant d'habiller vos mensonges 
Dans le tissu fragile et vain de votre esprit, 
Lasse de revêtir les comédiens des songes 
Sous des illusions dont la foule sourit, 
Votre grande bonté sur le monde se penche, 
Et, l'entendant pleurer sous d'immobiles cieux, 
Vous filez une toile et salutaire et blanche 
Pour soigner les douleurs que rencontrent vos yeux. 


 

 





21/01/2012
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