Delétang-Tardif (Yanette) 1902-1976
Yanette Delétang-Tardif
1902-1976
Secret
Longtemps mêlée à la nuit la forêt
Tout à coup s'éveille chevelure.
Le vent léger ruisselle à travers boucles
Jusqu'à la grotte où je dormais blessée.
Un homme fuit devant le jour, la bouche
Muette du sang qu'il but à la morsure.
Son ombre passe sur des paysages de sommeil
Il la tient devant lui comme une aile
Mais il reste parmi les ronces.
De lourds lambeaux toujours battant
Vers la plénitude ténébreuse.
Publié dans la revue "Le Point (Colmar), Octobre 1936
INHA
Chant royal VII
Nous sommes les voleurs d'un homme à la dérive
Qui rit de nos efforts, à la face du vent,
Et riant subtilise à nos fatales rives
Ce qu'il faut pour cacher qu'il est toujours vivant.
O feinte désastreuse et voile sur l'aurore!
Cette main ciselant les traits qu'elle dévore,
Tout participe au piège où l'espoir de surprendre
Un destin douloureux nous oblige à descendre.
Nous arrivons, leurrés, devant ce que détruit
Le bras qu'humainement nous essayions de tendre
Sans reconnaître en nous les formes de l'oubli.
Nous rêvions d'être deux pour la clarté captive
Que désignait tout bas la voix de cet errant
Et nous avons veillé dans une aube attentive
A dénouer sur lui les liens de nos serments.
Unis par le secret du même météore
Nous enlacions en nous tout ce qui nous ignore.
O nuits, jours foudroyés! si la terre est de cendre
Il fallait nos baisers pour pouvoir nous entendre!
Nous sommes l'un à l'autre un goût du même fruit
Le même noeud caché dans les mêmes méandres
Et le même instrument des formes de l'oubli.
Pour unir à ton sort ma chair de fugitive
Ce charme d'ici-bas nous apprenait son chant;
Tu le rejoins en lui quand tu veux que je vive
Et pour l'approfondir, je te veux survivant!
Mais ce n'est pas assez d'être ce qu'on adore
Si les yeux confondus s'interrogent encore,
Et pour nous voir plus loin que l'âme la plus tendre
Nous avions dépassé le soin de nous comprendre.
J'avais gardé le Cygne et tu n'avais pas fui:
Tu n'avais pas besoin de son vol pour reprendre
Jusqu'au fond de mes bras la forme de l'oubli.
Alors, quel est ce dieu qu'il faut que l'on poursuive
Lorsque l'amour lui-même est un isolement
Et que nous avons fait de son alternative
Le choix d'un couple humain qui veut son foudroiement;
Quel est ce ravisseur que le jour décolore
Et que nos yeux fermés sont obsédés d'enclore,
Pourquoi s'égare-t-il sans jamais nous attendre
Dans ce vent sans oiseaux, ce feu sans salamandres
Précédant notre exil d'une enclave de nuit
Jusqu'au délire extrême où sa chair va suspendre
Le souffle qui nous porte aux formes de l'oubli.
C'est pour se dépouiller que sa voix nous ravive,
Hymne qui veut périr de son commencement
Océan qui s'éteint dans une perspective
Dont la stupeur de l'homme a fait son propre sang.
Ah, je le reconnais dans la nocturne flore
Où nous sommes le prix de tout ce qu'il implore.
Il ne nous a vivants: plus de ruse où prétendre
A ces morts qu'après nous il méditait de prendre!
C'est toi, moi, qu'il attend, c'est de nous qu'il surgit
Néant qui pour tromper ce qu'il devait défendre
Emprunte à notre amour les formes de l'oubli.
Fausse divinité, q'une autre voix t'engendre!
Dans ce suspens nos coeurs ne peuvent se méprendre
Et si nous te rêvons, c'est d'être ensevelis
Sous les plages de vent où tu viens entreprendre
Le poème éternel des formes de l'oubli.
Chants royaux, 1956
poème publié dans l'Anthologie Seghers, 1969
Article paru dans La Muse Française 1938
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