Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Soeur Mary Hilarine Seiler, C. D. P. Anne de Marquets, poétesse religieuse du XVIe siècle. Washington, université catholique, 1931.

Soeur Mary Hilarine SEILER, C. D. P. Anne de Marquets, poétesse religieuse du XVIe siècle. Washington, université catholique, 1931. In-8°, XIX-143 pages. ur Seiler publie sur Anne de Marqueis un petit livre sobre clair et soigneusement documenté Ses études antérieures et son état de religieuse lui permettaient étudier et apprécier mieux que qui conque oeuvre de cette poétesse religieuse comme elle et qui sut con cilier la passion littéraire avec les exigences de la foi Pleine de sym pathie pour son personnage ur Seiler ne exagère pourtant pas ses mérites et elle convient que cette production abondante ne élève pas au-dessus une honnête médiocrité Mais ce qui en fait intérêt est elle nous ouvre des horizons sur un des aspects les moins connus de la vie intellectuelle au xvie siècle Montaigne qui se préoccupe de éducation des enfants guère endroit des filles indifférence ou dédain et pourtant la même époque en diverses régions et notamment Poissy de savantes Dominicaines initiaient humanisme et faisaient bénéficier de leur culture les jeunes filles de qualité dont éducation leur était confiée Le prestige intellectuel de abbaye de Poissy remonte plus haut dans histoire et auteur rappelle avec raison que Christine de Pisan narra dans un dit célèbre la promenade elle fit au printemps de 1400 elle aurait pu ajouter que, selon toute vraisemblance, elle s'y retira en juin 1418, quand elle fut chassée de Paris par la révolution cabochienne. C'est dans ce lieu privilégié que nous voyons Anne de Marquets, issue de noble souche normande, évoluer dès son enfance, s'y instruire et, ayant fait profes­sion vers l'âge de seize ans, s'y consacrer pour le restant de ses jours à l'éducation des pensionnaires. Le temps que lui laissaient les devoirs de sa charge et les exercices communs aux religieuses, elle l'employa à se perfectionner elle-même et à satisfaire ce démon d'écrire qui la pour­suivait jusqu'au fond du cloître. Ce ne furent d'abord que de pâles ébauches, des poésies de circonstance, et sa réputation n'aurait point dépassé le cercle de ses compagnes si, enthousiasmée par le Colloque de Poissy, elle n'avait eu l'idée de célébrer en vers le triomphe du parti catholique et l'éloquence inspirée du cardinal de Lorraine. Répandus à l'extérieur, les poèmes d'Anne de Marquets provoquèrent une riposte des ministres huguenots, et toute une polémique se trouva engagée par l'innocente initiative de la dominicaine. Imprimés d'abord sans son aveu, ses Sonets et Pasquins, revus et corrigés par elle, parurent en 1562. Dans le même temps, Dorât, qui avait assisté au colloque avec Ronsard et Baïf, faisait en vers latins l'éloge de la poétesse, à qui Ron­sard adressait un sonnet. Surtout, elle se lia d'amitié avec le théolo­gien Claude d'Espence, dont elle traduisit les poésies latines. Cédant peut-être à ses encouragements, elle entreprend, quelques années plus tard, une oeuvre de longue haleine, la traduction des Divines poésies, de l'Italien Marc-Antoine Flaminio. Ayant, par ce nouvel effort, assou­pli son style et fertilisé sa pensée, elle se risqua alors à voler de ses propres ailes et entreprit la rédaction de ses Sonets spirituels. En 480 sonnets disposés dans l'ordre du Missel dominicain, s'inspirant à la fois de l'écriture sainte, des Exemples du moyen âge, de la.Légende dorée, du Physiologus et de l'Imitation de Jésus-Christ, elle célébra les fêtes de l'année liturgique, avec le souci d'en faire mieux comprendre la signification symbolique. Toutefois, ses préoccupations personnelles s'expriment en paraphrases des hymnes de l'Église ; l'actualité même et l'angoisse qu'elle inspire lui arrachent de sages avertissements. Publiés après la mort de sœur Anne dans le recueil des poésies de Baptiste Badère, les Sonets spirituels s'y lisent accompagnés de pièces liminaires qui ne sont pas inutiles comme documents biographiques. On ne sau­rait toujours prendre à la lettre les éloges qu'elles contiennent et il faut bien convenir que le talent d'Anne de Marquets n'excite pas tou­jours l'admiration. Mais, ce qu'il nous faut retenir, c'est qu'elle avait subi dans sa retraite l'influence des idées nouvelles, et que les théories, de la Pléiade ne l'avaient pas laissée indifférente. Peut-être sœur M. H. Seiler, qui donne à son exposé la forme biographique, aurait-elle pu s'étendre un peu plus sur l'étude littéraire, analyser plus longuement les sources de la poétesse et mieux marquer ce qu'elle devait aux auteurs profanes du temps Elle ne pouvait en douze pages effleurer examen du style de la langue et de la versification Ce elle nous en dit est assez judicieux pour nous faire regretter elle en soit tenue des généralités Ces réserves faites il serait injuste de ne pas reconnaître les réels mérites un ouvrage qui sobrement écrit une lecture agréable en dépit de quelques coquilles apporte étude de la littérature reli gieuse au xvie siècle une précieuse contribution.

Robert Bossuat