Desbordes-Valmore (Marceline) 1786-1859
Marceline Desborde-Valmore
(1786-1859)
Je vous écris
Je vous écris à l'ombre du mystère
Puisque s'écrire est se parler tout bas;
Mais je l'avoue, en ce lieu solitaire,
Tout est tranquille, et mon coeur ne l'est pas.
Je vous écris.
Je vous écris. Quand l'âme est oppressée,
Le temps s'arrête et n'a plus d'avenir.
Ah! loin de vous je n'ai qu'une pensée
Et le bonheur n'est plus qu'un souvenir.
Je vous écris.
Je vous écris... M'aimeriez-vous encore?
Si votre coeur n'est plus tel qu'autrefois,
Faites du moins, faites que je l'ignore;
S'il est constant, dites-le, je le crois.
Je vous écris.
Poésies, 1830 (poème écrit en 1813)
Anthologie de Christine Planté (2010)
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A Monsieur A. L.
(Extraits)
... Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la bombe et le plomb balayant chaque rue,,
Excitaitent les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
Etreignait dans ses noeuds les enfants et les pères,
Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
J'étais là! Quand brisant les caveaux ébranlés,
Pressant d'un pied cruel les combles écroulés,
La mort disciplinée et savante au carnage,
Etouffait lâchement le vieillard, le jeune âge
Et la mère en douleurs, près d'un vierge berceau,
Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
J'étais là: j'écoutais mourir la ville en flammes;
J'assistais vive et morte au départ de ces âmes,
Que le plomb déchirait et séparait des corps,
Fête affreuse où tintaient de funèbres accords:
Les clochers haletants, les tambours et les balles;
Les derniers cris du sang répandus sur les dalles;
C'était hideux à voir: et toutefois mes yeux
Se collaient à la vitre et cherchaient par les cieux,
Si quelque ême visible en quittant sa demeure,
Planait sanglante encor sur ce monde qui pleure;
J'écoutais si son nom, vibrant dans quelque adieu,
N'excitait point ma vie à se sauver vers Dieu:
Mais le nid qui pleurait! mais le soldat farouche,
Ilote, outrepassant son horrible devoir,
Tuant jusqu'à l'enfant qui regardait sans voir,
Et rougissant le lait encor rouge dans sa bouche...
Oh! devinez pourquoi dans ces jours étouffants,
J'ai retenu mon vol aux cris de mes enfants:
Devinez! devinez dans cette horreur suprême,
Pourquoi, libre de fuir sous le brûlant baptême,
Mon âme qui pliait dans mon corps à genoux,
Brava toutes ces morts qu'on inventait pour nous!
Savez-vous que c'est grand tout un peuple qui crie!
Savez-vous que c'est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses soeurs la lointaine pitié
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Ecrasée au galop de la guerre civile!
Savez-vous que c'est froid le linceul d'une ville!
Et qu'en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n'avions plus d'accents pour lamenter nos deuils!
Ecoutez, toutefois, le gracieux prodige,
Qui me parla de Dieu dans l'inhumain vertige;
Ecoutez ce qui reste en moi d'un chant perdu,
Succédant d'heure en heure au canon suspendu:
Lorsqu'après de longs bruits un lugubre silence,
Offrant de Pompéï la morne ressemblance,
Immobilisait l'âme aux bords irrésolus;
Quand Lyon semblait morte et ne respirait plus;
Je ne sais à quel arbre, à quel mur solitaire,
Un rossignol caché, libre entre ciel et terre,
Prenant cette rumeur pour le calme d'un bois,
Exhalait sur la mort son innocente voix!
Je l'entendis sept jours au fond de ma prière;
Seul Requiem chanté sur le grand cimetière:
Puis, la bombe troua le mur mélodieux
Et l'hymne épouvantée alla finir aux cieux!...
Pauvres fleurs (1839)
Les éclairs
1850
Orages de l'amour, nobles et hauts orages,
Pleins de nids gémissants blessés sous les ombrages,
Pleins de fleurs, pleins d'oiseaux perdus, mais dans les cieux,
Qui vous perd ne voit plus, éclairs délicieux!
Les séparés
N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.
Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.
J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,
Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.
N'écris pas!
N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous mêmes.
Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais!
Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,
C'est entendre le ciel sans y monter jamais.
N'écris pas!
N'écris pas. Je te crains; j'ai peur de ma mémoire;
Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.
Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.
Une chère écriture est un portrait vivant.
N'écris pas!
N'écris pas ces doux mots que je ne veux plus lire:
Il semble que ta voix les répand sur mon coeur;
Que je les vois brûler à travers ton sourire;
Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.
N'écris pas!
Poème posthume
(Mémoire) Extrait de "Sol natal"
Mémoire! étang profond couvert de fleurs légères;
Lac aux poissons dormeurs tapis dans les fougères,
Quand la pitié du temps, quand son pied calme et sûr,
Enfoncent le passé dans ton flot teint d'azur,
Mémoire! au moindre éclair, au moindre goût d'orage,
Tu montres tes secrets, tes débris, tes naufrages,
Et sur ton voile ouvert les souffles les plus frais,
Ne font longtemps trembler que larmes et cyprès!
Pauvres fleurs, 1839
La voix d'un ami
Si tu n'as pas perdu cette voix grave et tendre
Qui promenait mon âme au chemin des éclairs
Ou s'écoulait limpide avec les ruisseaux clairs,
Eveille un peu ta voix que je voudrais entendre.
Elle manque à ma peine, elle aiderait mes jours.
Dans leurs cent mille voix je ne l'ai pas trouvée.
Pareille à l'espérance en d'autres temps rêvée,
Ta voix ouvre une vie où l'on vivra toujours!
Souffle vers ma maison cette flamme sonore
Qui seule a su répondre aux larmes de mes yeux.
Inutile à la terre, approche-moi des cieux.
Si l'haleine est en toi, que je l'entende encore!
Elle manque à ma peine; elle aiderait mes jours.
Dans leurs cent mille voix je ne l'ai pas trouvée.
Pareille à l'espérance en d'autres temps rêvée,
Ta voix ouvre une vie où l'on vivra toujours!
Poésies inédites, 1860
Souvenir
Quand il pâlit un soir, et que sa voix tremblante
S'éteignit tout à coup dans un mot commencé;
Quand ses yeux, soulevant leur paupière brûlante,
Me blessèrent d'un mal dont je le crus blessé;
Quand ses traits plus touchants, éclairés d'une flamme
Qui ne s'éteint jamais,
S'imprimèrent vivants dans le fond de mon âme;
Il n'aimait pas, j'aimais!
Elégies et poésies nouvelles, 1825
Le réveil créole
N'a plus pouvoir dormir tout prêt toi dans cabane,
Sentir l'air parfumé courir sur bouche à toi,
Gagner plaisir qui doux passé mangé banane,
Parfum là semblé feu qui brûler coeur à moi,
Moi vlé z'éveiller toi.
Baï moi baiser si doux, n'oser prend'li moi-même,
Guetter réveil à toi...longtemps trop moi languir.
Tourné côté coeur moi, rend-li bonheur suprême,
Mirez l'Aurore aller près toi va pâlir.
Longtemps trop moi languir!
Veni sous bananiers nous va trouvé z'ombrage;
Petits oiseaux chanter pendant nous fait l'amour,
Soleil est jaloiux moi, li caché sous nuage,
Mais trouvé dans yeux toi l'éclat qui passé jour.
Veni faire l'amour.
Non, non, toi plus dormir, partager vive flamme,
Baiser toi semblé miel cueilli sur bouquets fleurs,
Coeur à toi soupirer, veni chercher mon âme;
Prends-li sur bouche à moi, li courir dans mes pleurs,
Moi mourir sous des fleurs.
Elégies, Marie et romances, 1819
Poèmes proposés par l'Association "Marceline Desbordes-Valmore"
Partition musicale :
Restez enfants (romance): paroles de Desbordes-Valmore, musique d'Antoine Adam, 1834
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