Desnoues (Lucienne) 1921 - 2004
Lucienne Desnoues
1921-2004
L'adolescente
Quelle table sous le tilleul! Les mets puissants,
Le boeuf, le coq au vin et le canard au sang,
Les gâteaux haut portés accourent des cuisines
En survolant le suppliant ballet des chiens.
L'alcool a délié la langue des cousines,
De l'oncle qui vit loin, des fils qui gagnent bien.
Déjà l'après-midi affaiblit la journée
Déjà la fin de Mai fatigue le printemps.
La pivoine a trente ans, les blés ont dix-sept ans.
La rose a devant soi toute sa destinée.
L'adolescente a devant soi le pré qui pense,
Les bois bleus retirés en eux-mêmes, les bois
Où circule la biche attentive qui boit,
A même le printemps, de l'eau et du silence.
Ils ont bu du Pommard, du marc et du cointreau
Le gendre qui voit grand, les brus qui ganent gros,
O Famille! Voyez la sombre adolescente,
Famille dont les cris entêtent le tilleul.
Elle écoute en son coeur une fête oppressante
Où pas un seul de vous n'est admis, pas un seul.
(poème publié dans "Récitals de Poésie, janvier février 1967, Section de la Seine du Syndicat National des Instituteurs)
Le bois mort
La coupe sèche où je fagote
Craque au soleil comme un panier.
Craquent les glands de l'an dernier
Et les vieux ronciers en pelotes.
J'entasse chaudes et légères
Les reliques des grands sapins,
Et les précieux parchemins
Que les bouleaux abandonnèrent.
Craquent les branches évidées.
Je marche délicatemebnt
Sur les fragiles ossements
D'un passé de haute-volée.
Comme la mort est familière
Et comme elle est bonne au toucher
Sur l'humus à peine ébauché
Qu'agriffe déjà la bruyère.
Que je vous aime esquilles grises,
Fruits d'écailles, rameaux sans poids,
Bruit subtil des chabons de bois
Qui roulent sous la moindre brise!
Dites, lorsque m'auront ravie
Les fardiers de l'éternité,
Qui donc aimera fagoter
Sur l'emplacement de ma vie?
Les Racines
Les Amants
Et les amants s'en furent se cacher
Dans le bourru de la chaude garrigue,
Dans le touffu que nul soupçon n'irrigue,
Dans le griffu qui croque du rocher.
Que ce fut doux sous les broussins d'yeuses,Pour baldaquin les bâches du mistral,
Pour matelas le chaos minéral,
Que ce fut doux l'amour minutieuse!
Que ce fut doux, quand le soleil oppresse,
Tout excité d'insectes zélateurs,
Donner au Temps des leçons de lenteur,
Donner à Dieu des leçons de tendresse.
2 poésies publiées dans "Huit siècles de Poésie Féminine", 1963 (Jeanine Moulin)
(J'aime à décoller...)
J'aime à décoller au couteau
L'âcre pissenlit qui s'incruste
Dans les prés reverdis trop tôt.
Je vais, balançant mon panier,
Sous de grands ciels que tarabustent
Les bourrasques de février.
Combien, sous le taïaut des nues,
Sans cor, sans meute et sans cheval,
Me plaît cette chasse menue ! (...)
Poème publié dans "La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945", 1973, Serge Brindeau
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