Dortzal (Jeanne) 1878- ?)
Jeanne Dortzal
1878 - ?
1909
- Née à Nemours en Algérie
- Actrice dans les années 1900 (Théâtre du Vaudeville)
- Aucune information sur la fin de sa vie...
Extraits du "Credo sur la montagne", 1934:
Apprentissage
J'ai commencé,
- Pardon, ô ciel qui te penchas -
Par ramasser
Des épingles dans les crachats.
C'est inouï,
J'arrivais à souffrir à peine.
Front ébloui,
J'allais, retenant mon haleine,
Pour que le jour,
En me prenant sur sa poitrine,
Refît le tour
De mon enfance.
Heure divine,
Où balayant
La pourriture, susant ma force,
Dieu et le vent
Firent craquer ta dure écorce,
O Vérité.
Plus de sarrau: blouse grise.
Ah! qu'ai-je été,
Oui, qu'ai-je été, dont je me grise?
Tous les bas-fonds,
Tous les sommets, toute la terre
Est à moi. Je romps
Les digues. Douleur, ta lumière
A transpercé
Mes os. Je baise les crachats
De mon passé,
J'accepte tout pour le crachat
Des êtres. Vois,
Mon emblême a creusé la porte:
Vis, saigne et crois.
Je suis celle que l'on déporte
Par tous les temps,
Mais qui retrouve, à chaque escale,
Vos battements,
Soleils dont j'ai rempli ma cale.
Mon temple intérieur
Je n'ai jamais prié qu'en face de moi-même.
Mon temple intérieur brûla de mille feux
Quand mon premier amour, célébrant ton baptême
O douleur, s'engouffra dans ton abri neigeux.
Mes genoux enfoncés dans la terre; prenant
L'arbre et l'oiseau pour confesseurs, investie
Du pouvoir que confère un brin d'herbe ou le vent,
J'ai consacré la fleur qui m'a servi d'hostie.
L'aurore n'eut jamais un tel rayonnement
Qu'à la seconde où j'ai senti votre présence,
Pardon: chasuble d'or qu'un tout petit enfant
Jette sur notre épaule où perle le silence.
Pardonnez-moi, Dieu qui battez sous mes genoux,
De n'être qu'une femme et d'aimer comme un homme;
La source où j'ai puisé garde au creux des cailloux
Ton amphore, ô souffrance, et n'étant rien en somme
Qu'un poète affamé d'espace et de pitié,
J'attends la mort, en appuyant contre mes côtes
Ce morceau d'horizon que vous avez lié,
Qui m'aidera, soyez-en sûr, sur l'autre côte.
L'amant, la rose ou l'étoile
L'instant magicien, dites,
L'instant lamé de bleu,
Si vite envolé, si vite...
Pourquoi, pourquoi, mon Dieu?
Ah! retenons notre haleine,
Faisons-nous tout petit,
Le soleil a tant de peine.
Mais qui donc est parti
L'amant, la rose ou l'étoile?
Le silence a couvert
D'une fine, fine toile
Printemps, été, hiver.
Mon Dieu, voulez-vous m'entendre?
Comme il bat, comme il bat
Ce coeur, et plus chaud que cendre,
Car j'ai pleuré si bas...
Maison, y es-tu
Je dormais d'un si profond réveil
Quand tu m'es apparue,
Amante tisseuse de soleil,
Vieille, si vieille rue.
Je revois des balafres de fruits,
Des écorces de roses,
Un pan de mur, l'arbre, un bout de puits,
Et surtout cette chose:
Nous deux. Qui donc s'est arrêté
Tant nous sentions la vie?
Le temps? Qu'on referme ma tempe à clé,
Le songe se replie,
L'évanouissement est trop court...
Qu'une eau lustrale avive
Ma mémoire, et qu'advienne le jour
Où je brûlerai vive,
Pour retomber en cendres, là-bas,
Dans ma maison mauresque,
Où mon coeur et sa bouche qui bat
Saignent comme une fresque.
C'est bizarre, ce petit point d'or
Qui court, qui court, en tête
Du passé, des printemps, plus encor,
Et que plus rien n'arrête.
Serre bien tes yeux, serre-les bien,
Même si ça te pique.
Maison, y es-tu?... Rien... plus rien...
Et cela brique à brique.
L'esquif
Quand pourrai-je habiter le radeau de nuages
Que j'ai construit au clair du rêve et au hasard,
Un peu partout, dans le désert, sur les rivages,
Et qui flotte, alangui, n'attendant qu'un départ?
Je ne sais plus quel nom insuffler à la courbe
Qui tour à tour ressemble à l'arbre, au végétal,
Aux dieux qui font germer dans l'azur et la tourbe
L'imagination, ce grand cygne pascal.
Si tu le veux, mon bel esquif, ô goélette
Qui sens le miel, la rose et le sang de la mer;
Si tu le veux, bouée où j'ai posé ma tête,
Nous irons saluer les anges de l'éther.
Nous recevrons à bord ceux qui voudront me suivre,
De préférence les marins du souvenirs,
Les aveugles, les fous, ceux qui brûlent de vivre
Au delà du mensonge où le ciel peut fleurir.
Arc-boutés à la voile et buvant les nuages,
Il fera bon se raconter, coeur contre coeur,
La belle histoire où l'epérance et ses mirages
Arrachent les feuilles de l'antique douleur.
Appel
Avec qui partagerai-je mon âme, avec qui?
Tous sont partis sur ton vaisseau-amiral, silence,
Et le mousse est au bord du rivage où se balance
Son ancien radeau, celui sans doute où je naquis.
Lance-moi donc ton ton chien, matelot, lance-le donc
Avant que la coupée et sa lumière qui roule
Ne soit plus qu'un point d'or, une sorte de pardon
Pour moi qui tangue, les bras fous, des pleurs plein la boule.
Avec qui partagerai-je Dieu, sans ce cabot
Dont je devine l'oeil, et qui fend l'écume, aboie,
Semblant dire, j'arrive, fait l'effort et se noie
Avant que de lécher ma peine sur mon hublot?
Sous quelle latitude avais-tu refait le point
Vieux coeur sans équipage, et tout juste bon, sans doute
Pour mâcher l'absence, sous les étoiles qu'on broute,
Les yeux crevés, fixant la barre et tendant le poing?
Attablée au bar de l'espace
Genre soleil, celui qui passe,
Et cet autre en vareuse étoile?
Attablée au bar de l'espace,
Cherchant Dieu sur de vieilles toiles,
Je songe en secouant ma face.
Et c'est l'appel désespéré
Dans les cellules sans sommeil.
Mais qui diable ai-je donc pleuré
Au fond du bouge sans pareil
Sentant l'algue et l'éternité?
O cerveau qui bats en sourdine
Instrument mis à ma portée
Pour la détresse dont je dîne
A ciel ouvert, l'âme emportée
Vers les sphères que je dessine.
Ris tout ton saoûl, marin, j'ai froid.
L'alcool n'est qu'un prétexte au fond
Pour toucher du tout petit doigt
L'immensité, le seul plafond
Pouvant me contenir je crois.
Poèmes antérieurs mis en musique par Massenet
Nocturne
(Déclamation rythmée)
Il est minuit.
La bonne odeur de bois fait frissonner les roses ;
L'étoile luit ;
Mon cœur a chaud ce soir ; sais-je pour quelles causes ?
Tu peux venir,
Je ne te dirai rien... je laisserai la chambre
se souvenir...
Déjà roulent sur nous de longs effluves d'ambre.
Trouves-tu pas
Que l'ombre agit sur nous comme un puissant dictame ?
Soudain la nuit vous berce et vous emporte l'âme !
Mais tu souris
Mystérieusement, sans trop comprendre,
Et t'attendris
Car tu sais bien que tes baisers vont me reprendre...
Je t'aime tant !
Donne tes yeux, sois grave, et donne-moi tes lèvres.
Pour qu'en partant
Je puisse encor crier ton nom parmi mes fièvres !
J'ai revêtu ce soir
(Déclamation rythmée)
J'ai revêtu, ce soir,
Mon large manteau noir,
Celui que je mettais au temps de nos folies,
Quand tes yeux s'emplissaient de mes mélancolies.
Puis j'ai remis la fleur qui tremblait sur mon cœur
Jadis : géranium ou branche de verveine ?
O parfum qui contient une si douce peine...
Car j'ai pleuré d'amour,
Tout bas, jusques au jour.
N'as-tu pas vu parmi des lambeaux de dentelles,
Mes bras nus suppliants s'ouvrir comme des ailes ?
Et mon grand manteau noir
Flotter au veut du soir ?
Les soirs d'été si doux
(Déclamation rythmée)
Les soirs d'été si doux, voilés de crêpes bleus,
Où le cœur vient mourir dans un battement d'ailes,
Font les arbres légers
Comme de blonds cheveux
Sur lesquels, en rêvant, flotteraient des dentelles.
Le lac a revêtu ses tons de camaleux
Et reflète en son eau, du ciel,
Puisque étoile...
Regardons-nous, veux-tu, tout au fond de nos yeux,
Afin que notre amour hisse sa blanche voile !
Ah ! laissons-nous bercer par le divin hasard...
Quel bonheur de s'aimer au cœur même des choses,
De jeter sur la vie un doux et long regard,
De jeter sur la vie, à pleines mains,
Des roses !... des roses !.. des roses !...
Bibliographie
(dans le "Credo sur la montagne",
1934)
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