Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Dortzal, Jeanne: Elégies (Le jardin des Dieux, 1908)

Jeanne Dortzal

Elégies

ensemble publié dans "Le jardin des Dieux,

Paris, Sansot, 1908

 

Où sont les soirs profonds, les soirs calmes et forts

Où le ciel, à grands coups, battait dans nos poitrines?

Ma couronne d'amour s'est couverte d'épines

Et je mêle ma plainte au choeur triste des morts.

 

 

Minuit

 

L'heure tombe du siècle et roule dans l'espace.

Tout l'horizon tressaille et fuit;

Seul, l'Homme, nouveau Dieu que la douleur enlace,

Sanglote à jamais dans la nuit!

 

Triste, l'Amour s'exile au plus profond de l'être.

Farouche et grand comme la Mort!

Ah! qui nous rouvrira ton antique fenêtre

D'où l'on apercevait le port?...

 

 

 

A Pierre Guédy

 

Terre, un de tes enfants, ce soir, vient de mourir!

Tu souffres comme moi d'avoir vu disparaître

Le plus fou de tes fils et le meilleur, peut-être.

Pour lui ton flanc profond, terre, vient de s'ouvrir!

 

Mais qu'importe la mort! Il me reste son âme!

Son âme m'appartient, je la réclame à Dieu!

Non, tu ne m'as pas dit un éternel adieu,

Je sens là, dans mon coeur, ton immortelle flamme!

 

Tu vivras désormais divinement en moi,

Penché sur ma douleur comme sur un abîme:

Du fond de mon passé, ton image sublime

Jettera sur mes jours sa grandeur et sa foi.

 

Puisque nul ici-bas n'a compris ta détresse,

Puisqu'on a fait silence autour de e tombeau,

Je leur dirai qu'un rêve emporta ton cerveau

Et que tu t'endormis, le coeur plein de tristesse.

 

Mais non, je me tairai, tu préfères cela,

Que t'importe après tout qu'on pleure sur ta vie!

Ne te suffit-il pas de ma mélancolie

Pour endormir un peu tes craintes d'au-delà?

 

Si ta plus pure essence en l'espace demeure,

Si tu souffres encore après avoir été,

C'est donc que le néant ne t'a pas emporté

Et que tu m'attendras jusqu'à ma dernière heure.

 

Dors en paix, dors en paix comme dans un berceau.

Va, la tombe est très douce à qui sait la comprendre:

Sommeil libérateur, où l'âme doit entendre

Tomber de sa prison quelque énorme barreau.

 

O mort, évasion, farouche apothéose,

Où pour un peu de terre on gagne un paradis!

Temple dont o n franchit d'un bond tous les parvis,

Où l'âme, sans effort, monte à l'Ame des choses!

 

Si mon amour pour toi fait plus triste mon front,

Si ma croyance est vaine et grande ma folie,

Songe que désormais mes rêves s'en iront

Vers le passé qui dort à l'ombre de ma vie.

 

"Plus jamais! plus jamais!" ont sangloté mes jours,

Tandis que, le front pâle, à genoux sur la pierre,

Je murmurais tout bas quelque sombre prière,

Qu'est-ce donc que ce Dieu qui raille nos amours?

 

Se souvient-il encor de de nos rêves fidèles,

Du grand frisson d'amour qui travers nos coeurs?

Que sont-ils devenus tous ces rêves vainqueurs

Qui passaient au galop au fond de nos cervelles?

 

Où sont les soirs profonds, les soirs calmes et forts

Où le ciel, à grands coups, battait dans nos poitrines?

Ma couronne d'amour s'est couverte d'épines

Et je mêle ma plainte au choeur triste des morts.

 

 


Au même

 

Il a neigé cette nuit sur ta tombe:

Le cimetière était tout blanc;

Un fin duvet de plumes de colombe

S'éparpillait, taché de sang.

 

J'entrai, n'osant marcher qu'à pas de loup;

Grave, je refermai la grille.

Dis-moi, pourquoi tremblas-tu tout à coup,

O coeur, sous ta triste guenille?

 

Les croix semblaient souffrir dans la rafale;

J'ai dû marcher, marcher longtemps,

Pour essayer de retrouver la dalle

Où tu dors depuis le printemps.

 

La neige avait envahi les tombeaux,

J'allais toujours, courbant la tête,

Crispant mes doigts après les vieux barreaux

Rouillés, tordus par la tempête!

 

Quand j'arrivai près de ta sépulture,

Je me glissai, comme un voleur,

Pour te surprendre et revoir la torture

De tes grands yeux fous de douleur.

 

Je t'invoquai comme on invoque Dieu,

Du plus profond de ma misère:

Un long sanglot, tel un sinistre adieu,

Sembla rouler dans ma prière!

 

 

 

Au fil de l'eau

 

L'eau du lac est profonde où j'ai conduit ma peine;

Un grand désir de mort ferme en rêvant mes yeux;

La barque où va ma vie avec douleur entraîne

Mes rêves d'audelà, mes rêves merveilleux!

Et nous allons ainsi, très loin, vers des pensées

D'oubli, vers des lointains de lumière et d'amour,

Au fil de ma souffrance et des heures passées

Dont chaque souveni fait lentement le tour.

Mon âme a longuement contemplé toutes choses.

Montagnes, qui depuis des siècles vous dressez

Dans la splendeur du ciel, parmi l'encens des roses,

J'aime l'ombre que font vos arbres enlacés;

Car pareille à mon rêve elle élargit son orbe,

Fait de chaque minute un paradis nouveau

Où la douceur d'aimer gravement se résorbe

Quand d'infinis pensers font rêver mon cerveau.

 

 

 

A la dérive

 

Sentir son coeur en désarroi

Pour une infinité de choses,

Souffrir, sans trop savoir pourquoi,

Sans raisons et pour tant de causes!

 

Marcher pourtant, lutter toujours,

A la dérive parfois même,

Et dans l'énervement des jours

Ne plus savoir pourquoi l'on aime!

 

 

 

Sanglots

 

Mon front est devenu tout blanc sous l'effort des pensées,

Sous l'effort douloureux des minutes passées.

 

Minuit sonne l'angoisse atroce de la peur

Et la nuit va bientôt s'engoufrer dans mon coeur!

 

Pourrait-on dénombrer tes rayons, ô lumière?

De même, au fond de moi, mes rêves en poussière!

 

Pourtant tous mes désirs suivent le même cours

Et retournent au fleuve absurde de mes jours.

 

Entendez-vous ces cris, ces cris poignants de femme?

Ce sont tous mes sanglots qui roulent dans mon âme.

 

Approche-toi, mon coeur, car tu connais ce bruit,

Toi qui m'ouvres, tremblant, les portes de la nuit!

 

Ne te plains pas, écoute et surveille l'aurore:

J'attends d'elle l'extase et la souffrance encore!

 

 

 

 

Sonnet

 

Quel temps s'est écoulé depuis la nuit divine

Où mon corps d'amoureuse a frémi dans tes bras.

Ah! quelle ivresse en moi lorsque tu reviendras

Bercer, comme autrefois, mon coeur sur ta poitrine.

 

Me faudra-t-il, sans toi, remonter la colline?

Vois comme tout s'attriste et pleure sous mes pas!

Chaque jour qui s'enfuit résonne comme un glas.

Oh! prendras-tu pitié de mon âme orpheline?

 

J'ai récité tout bas plus d'un confiteor

Pour que montât vers toi dans un sublime essor

Mon farouche désir! J'ai déployé son aile

 

Comme une voile noire au fond de l'horizon

Et j'attends vainement la minute éternelle

Où ta main bien-aimée ouvrira ma maison.

 

 

 

 

Paris s'endort

 

Paris au long des quais s'endort;

C'est l'heure exquise du silence! -

Les pauvres nerfs de ma souffrance

Se tendent de plus en plus fort.

 

Ah! comme il ferait bon vieillir

Dans cette paix de cathédrale,

Tout en sentant, par intervalle,

Le bonheur, en soi, tressaillir!

 

Nous, pauvres condamnés à vivre,

Sans jamais d'espérance au coeur.

Inscrivons plus d'une rancoeur

Sur chaque page du vieux livre!

 

Paris au long des quais s'endort,

C'est l'heure exquise du silence. -

Des larmes de désespérance

M'étreignent de plus en plus fort!

 

 

 

 

Décembre

 

L'hiver à gros flocons a neigé sur nos âmes;

Plus d'un rêve a passé dans l'or frileux des jours;

Décembre a ranimé d'imperceptibles flammes:

Il a neigé ce soir sur nos longues amours...

 

J'ai peur. Ne me dis rien. Laissons passer l'orage;

Ce que nous éprouvons se peut-il définir?

Quel crime a donc commis notre amoureux servage,

Qu'au lointain de nos coeurs s'embrume l'avenir?

 

Un peu de vérité nous eût fait l'âme grande,

Mais l'impossible amour nous dévora le coeur.

La vie a tout sarclé, même la plate-bande

Où nous aimions cueillir quelque idéale fleur.

 

Alors, très lentement, l'ange des solitudes

Fit planer sur nos fronts ses larges ailes d'or,

Car nous avions gardé les chères habitudes

De rêver au passé, de nous sourire encor.

 

 

 

 

Sonnet

 

Ce soir, plus que jamais, je souffre de la peur,

Car j'ai l'illusion funèbre et fantastique

D'être un cercueil vivant, profond et magnifique,

Où l'amour et la mort étaient leur splendeur?

 

Le silence y pénètre et s'enroule, vainqueur,

Tout autour de mon âme étrange, énigmatique.

Si l'on prêtait l'oreille, on entendrait, tragique,

Comme un bouillonnement qui descend vers mon coeur.

 

Car j'ai depuis longtemps tué dans ma poitrine

Mes désirs, charriant le flux de leur vermine

A travers l'infini de mes jours en grand deuil.

 

Chaque nuit fait tomber ses larges gouttes d'ombre

Au fond de mes douleurs dont j'ignore le nombre,

Car mille souvenirs font battre mon cercueil!

 

 

 

 

Sourire

 

Sourire dans l'alcôve blanche,

Que l'heure douce semble lente!

Une rose, là-bas, se penche

Sur le coeur divin de l'amante.

 

Sourire des lèvres mi-closes

Où le baiser se pose et rêve;

Le cher secret, par vous, s'achève.

Oh! le pur regard que tu n'oses!

 

Sourire inquiet de l'attente

Dans la demeure solitaire,

Et le coeur serré pour se taire

Quand va commencer la tourmente!

 

Sourire blanc estompé d'ombre

Dans la grisailledes journées!

Pli des lèvres abandonnées

Creusé par des larmes sans nombre!

 

Sourire enfin des lèvres mortes

Aux commissures résignées;

Toutes douleurs sont éloignées,

O mort, quand s'entr'ouvrent tes portes!

 

 

 

 

Depuis...

 

L'heure a sonné si triste en moi!

         Chaque seconde

         Est tout un monde

Carillonnant dans mon effroi.

 

Entends-tu ce tic-tac farouche?

         Mon pauvre coeur

         Bondit de peur,

Car l'ombre flotte sur ma couche.

 

Des choses dorment dans leur coin;

         La nuit frissonne

         Et l'heure sonne,

Brutale, ainsi qu'un coup de poing.

 

Combien de siècles, pauvre femme,

         Pour arriver 

         A soulever

Le poids énorme de ton âme?

 

L'ennui frappe à coups redoublés

         Sur notre vie

         Où tout dévie

En tourbillons endiablés.

 

C'est lui qui va, creussant sa place

        Dans nos cerveaux:

        Profonds caveaux

Où tant de misère s'entasse.

 

L'heure agonise au balancier,

        Ecoute-la:

        Hop! me voilà!

Dit-elle, ainsi qu'un vieux roulier.

 

Déambulant dans la mansarde,

       Accrochant tout,

       Mettant debout

Un souvenir qui nous poignarde,

 

Elle va, se perdant au loin

      Dans du silence,

      Criant vengeance

Comme un implacable témoin!

 

Car nous avons fait la bêtise

      De trop souffrir

      Et de pourrir

Dans une éternelle sottise;

 

Nous avons bu, les yeux fermés,

      Le vin des larmes

      Et des alarmes,

Sans que nos coeurs en soient charmés;

 

Nous avons fauché nos tendresses,

      Tué l'amour,

      Ainsi qu'au jour

Lointain des faciles ivresses.

 

Tant pis pour nous s'il n'est plus temps

      De pouvoir vivre

      Sans que le livre

Marque un deuil à chaque printemps!

 

La chose n'est plus à refaire:

      Pour mieux douter,

      Sans hésiter

Nous avons fait le nécessaire.

 

 

 

 

Rafale

 

Ah! j'aime la tempête et son cri si vivant!

J'aime la plainte folle et lugubre du vent,

Du grand vent qui soulève avec lui nos idées,

Les berce, et les emporte au large, fécondées!

Le front contre la terre et la pensée au ciel,

Sentir battre en son coeur son rêve essentiel!

Mêler aux grandes voix qui passent dans notre âme

Ta chanson douloureuse et qui sanglote, ô Femme!

Etre l'écho profond de ce qui souffre en toi!

Se sentir soulever parce qu'on porte en soi

Plus magnifiquement encor que la tempête

Une douleur sauvage et plus d'une défaite!

Entends-tu ces clameurs? on dirait un enfer.

Eh bien, cette chanson divine, c'est la mer!

La mer! gouffre profond qui limite le monde,

Gouffre où notre pensée a tant jeté la sonde,

Merveilleux équilibre où l'âme est en suspens

Et qui fait incliner la balance du temps;

La mer! vaste cercueil où dorment nos pensées,

A qui nous confions nos détresses passées,

Nos espoirs abolis, nos rêves d'un grand soir,

Enfin tout ce qui monte en nous de désespoir!

O mer, tu peux gronder sous ma fragile barque;

Dieu m'a laissé du ciel l'indélébile marque!

O mer! berceau divin des aspirations,

Qui purifie en nous toutes les passions

Et dont le vent du large, éveillant mille fêtes,

Fait sonner tout un chant de cloches dans nos têtes!

O mer, ô vaste mer, je t'apporte mon coeur,

Mon pauvre coeur d'enfant envahi par la peur!

Couche-le sous tes pieds de bête magnifique

Et mêle sa douleur à ton puissant cantique!

 

 

 

Fin



15/05/2013
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