Dromart, Marie-Louise: Le cortège des mois (1928)
Marie-Louise Dromart
Le cortège des mois
1928
Académie des Jeux Floraux 1928, p. 49
(Gallica)
Le cortège des mois
dans l’ombre
Une main de lumière, a pris ma main
Albert Samain
Janvier
Coiffé d’une toque de neige,
Vêtu d’un manteau de brouillards,
Des douze mois aux douze chars,
J’ouvre et rajeunis le cortège.
“Que Dieu, Madame, vous protège
Et préserve des faux départs
Les voeux qui hantent vos regards,
Fortune, gloire, amour..., que sais-je!...
“ Rien n’est plus charmant que l’espoir!...
Daignez choisir, dans mon drageoir!...
De givre, un grain de bonheur rose;
“Et puissent, dans six jours..., vos doigts
Tendre au vieux vagabond Nivôse
Une part du gâteau des rois!”
Février
L’Heure a le néant pour époux,
La vie avec la mort voisine.
Pour l’oublier, déguisez-vous,
Braves gens que l’angoisse mine!
Soumets-les tous, sages et fous,
A tes serpentins, Colombine!...
Et toi, pauvre Pierrot, jaloux
D’Arlequin, prends ta mandoline!
Mon char se nomme illusion:
Suivez-le, dans le tourbillon
Des confettis aux ruses tendres.
Vivent Plaute, Erasme et Musset!
Riez jusqu’aux larmes..., car c’est
Demain le Mercredi des cendres.
Mars
Tu dis - en levant ta frimousse
Vers le ciel où point, ô bonheur!
Un petit rayon ricaneur:
“Dois-je prendre ou non, mon tom-pouce?”
- Yes!... et prête-le, ma très-douce,
A mes jeux de tambourineur,
Le soleil luit..., mais j’ai l’honneur
D’effaroucher qui m’éclabousse!
Archers tendres et belliqueux,
Mes jours font renaître avec eux
L’imprévu, le caprice... et même
La grêle d’or, sur ton missel,
D’un cinglant sermon de carême,
Pour quelque péché véniel!...
Avril
Debout, bel Eros engourdi!...
Et veuille, au sortir de ton rêve,
T’éblouir du jardin qui lève
Et du buisson qui reverdit.
Quel plus doux “conte du Lundi”
Que, de la montagne à la grève,
La fête immense de la sève,
Dont l’hymne s’enfle et m’étourdit?
Mais il n’est pas que l’allégresse
D’un frisson cher à ton ivresse,
Jeune païen, dans mon réveil;
Reconnais ton Maître en cet homme:
Christ ressuscite!... et, los vermeil,
Les cloches reviennent de Rome.
Mai
Parce que je porte en mes doigts
La gerbe suave et fleurie
De mon âme offerte à Marie,
Je suis le plus chaste des mois.
Montrez-moi moins fol que courtois,
Profane amour, je vous en prie:
Il me déplaît qu’on se marie
Lorsqu’à la Vierge je me dois.
Or, c’est seulement le cortège
Des communiantes de neige
Que bénit son geste embaumé,
A lheure où mon chant rempli d’Elle
Voue à la première hirondelle
Mes petites roses de Mai.
Juin
Hôte des muses bocagères
Et de la belle-au-bois dormant,
Je ressemble au Prince charmant
Qui fait soupirer les bergères.
Au souffle des brises légères,
La rose de mon coeur d’amant
S’empourpre et brûle... en parfumant
Mon pourpoint tissé de fougères.
Ivre alors des sucs que je bois
A même la fraise des bois,
J’emprunte les ailes de l’ode
Pour cueillir à Mimi Pinson
Au cerisier de ma chanson,
Des pendants toujours à la mode.
Juillet
Je suis le moissonneur dressé
Dans la houle auguste et profonde
Du blé qu’un noble effort féconde
Et que mon souffle a traversé.
Mes champs sont beaux... l’astre a tissé
Sur eux l’or dont la flamme inonde
Et réchauffe le coeur du monde
Qui, sans elle, eût déjà cessé!...
Je peine dur, mais je m’enivre
De voir la gerbe qui fait vivre
Resplendir sous le ciel en feu.
Le Verbe enchante l’oeuvre, et j’aime
Mes épis où le Fils de Dieu
A mis le meilleur de lui-même.
Août
Le val, la montagne ou la plage?
Qu’importe à mon vertige heureux!...
En glanant des refrains pour eux,
A mes oiseaux j’ouvre la cage.
De mon insouciant visage,
Qui ne serait pas amoureux?
Tuteur prodigue ou songe-creux,
Je flâne, folâtre et voyage!...
Pour les gavroches de Paris,
Au Luxembourg, à Montsouris,
J’ai ma flotille et, sur la butte,
Bohême captif d’un rayon,
Je peins, sans qu’un sot la discute,
Une suave Assomption.
Septembre
Un long bourdonnement d’abeilles,
Dont l’hymne en mes veines descend,
Hante les gouttes de mon sang,
Aux pleurs de la vigne pareilles.
Préparons ciseaux et corbeilles!
Bacchus, par les chemins dansant,
A mis, pour m’en faire présent,
Des pampres d’or à ses oreilles.
Il titube!... et je lui souris,
Sachant le lyrisme et le prix
Du nectar cher à sa démence,
Et qui lui fait confondre avec
L’ivresse aux flancs d’un coteau grec
La vertu des vieux ceps de France...
Octobre
Tandis que, muni de ma gaule,
J’abats des faînes et des noix,
Ou que je laisse errer mes doigts
Dans la chevelure d’un saule,
Héritier su sol de la Gaule,
Mon garde, jaloux des exploits
De Messire Robin-des-Bois,
S’en va, le fusil sur l’épaule.
Des blondes nymphes, Dieu merci,
Il n’a mémoire, ni souci:
Un tout autre dessein le pousse!...
Il s’est promis avec orgueil
De me consacrer le chevreuil
Qui dansait, hier, sur la mousse.
Novembre
Je m’en reviens de l’Au-delà
Où le Dante aux pâleurs d’argile,
Entre Béatrice et Virgile,
Avant son heure s’exila.
Trève à ta grinçante guzla,
O Vie à la barque fragile...,
Tu me dois respect et vigile:
- Dies irae, dies illa! -
Je sanglote à toutes les portes:
Autant de morts, autant de mortes
Que de feuilles sur mon vieux lit!...
Leurs tombes?... le temps les délabre:
Faut-il que ma danse macabre
Ait pour chef d’orchestre l’Oubli!...
Décembre
A l’humilité, quel hommage!
L’Enfant par le ciel envoyé
Voulut me faire, à son image,
Plus pauvre qu’un roi dépouillé!...
Mon palais?... la crèche!... Mon page?
Le vent au costume éraillé,
Mais voici que, dans un nuage,
L’étoile du pâtre a brillé;
Et qu’une insigne voix de songe
M’a dit: “Tout sur terre est mensonge,
O gueux sans gite et sans deniers;
Chéris ta part, - la plus prospère! -
Les premiers seront les derniers
Dans le royaume de mon Père.
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