Drous (Noélie): Aux mères (1914)
Noélie Drous
Aux mères (1914)
Femme, suis ton destin..."L'homme est un loup pour l'homme."
Il incendie, il tue, il égorge, il assomme,
Du sanglant Colisée élargit l'horizon
Qui, de Néron, soûla pourtant la déraison!
Fait monter dans l'arène aux limites lointaines
Une âcre odeur de sang, d'exhalaisons humaines,
Et de poudre, et de feu, de mort et d'hôpital,
Le courroux du lion et le cri du chacal,
Les hymnes des combats, les sifflements des balles,
Le bruit sourd de l'airain, le galop des cavales,
Le cliquetis du sabre au choc des éperons
Et les cris belliqueux dans l'accent des clairons,
Des tigres, laissant choir l'écume de leur rage
Dans le sol entr'ouvert par l'horrible carnage...
De ce sol, parcouru de douloureux frissons,
D'où la pourpre a chassé l'or mouvant des moissons,
Le râle des mourants, dont les chairs pantelantes
Et le sang répandu font des taches fumantes,
Monte, plus haut encore, en un suprême appel,
En un dernier recours à ton coeur maternel!
Femme, ce cri tragique à travers la bataille,
Ce cri de ton petit qu'arrache la mitraille,
Ce regard qui se voile en rentrant dans la nuit,
Fais-les surgir, demain, de l'ombre qui les suit.
Quand ta main n'aura plus à panser de blessure,
Lorsque le froid, vaincu, calmera sa morsure
Et quand les survivants reviendront sous nos toits,
Achève ton devoir: clame bien haut tes droits.
Reprends la lutte active avec persévérance,
Sans trève ni lenteur, sans une défaillance /sic/.
Poursuis ton idéal, prends place dans le rang,
Afin qu'à l'avenir chaque goutte de sang
Dont tu connais le prix, lourde dans la balance,
Fasse fléchir la Force en dépit de la lance.
Fais valoir la Justice, apporte ton avis:
Ceux que l'homme écouta, qu'il a si bien suivis,
Qui flattent à l'envi son orgueil intraitable.
L'homme les lui donna. Mais toi, l'indésirable,
Qui ne pus faire entendre un seul des battements
De ton coeur déchiré dans l'air des parlements,
Tu souffres dans ta chair, tu dévores tes larmes
En envoyant ton fils châtier par les armes
Des mères comme toi dont le pouvoir affreux
Est d'enfanter aussi dans l'effort douloureux!
Femme, ton heure tinte...Arrache ton suaire...
Sois confiante en toi...Puis, du haut de sa chaire,
Si l'homme, à lui tout seul, veut imposer la Loi,
Raille à ta mission, s'il insulte à ta foi,
Jusques à ta raison, l'accuse d'utopie,
Alors, fais s'élever, ô Vestale accroupie,
De Londres à Madrid, de Vienne à Pétrograd
Et du Palais-Bourbon et du sein du Reischtagd (sic) ,
Pour couvrir à jamais la voix des représailles,
Suprême et déchirant, le cri de tes entrailles!
Pragondran, octobre 1914.
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