Estienne (Nicole)... ... ... ... 1544-1596
Nicole Estienne
1544-1596
Sonnet à la dicte dame.
Mon Dieu ! que l’homme est souvent miserable !
Souvent je dy, mais, las ! c’est pour tousjours,
Le long des nuicts, tout le long de ses jours,
Estant debout, ou assis à la table.
C’est un sablon inconstant et muable
Comme le vent ; c’est un fourneau d’amours,
Suivant ses veux par mille ordes destours,
Subjet d’envie et la chasse du diable.
Que s’il desire arrester ses malheurs,
Ainsi que toy, qu’il monstre ses douleurs
Au Medecin et de mort et de vie,
Disant : Mon Dieu, aye pitié de moy ;
Donne-moy paix et me retire à toy,
Car mon ame est de trop de maux suivie.
Les Misères de la femme mariée
STANZES DU MARIAGE,
(mises ne forme par)par Madame Liebault (Nicole Estienne)
De toutes les faveurs que DIEU transmet en nous,
De tout ce que le Ciel et les Astres plus doux
Ont pu verser de bien dessus l'humain lignage,
Donner de benissons et de felicitez,
De grace, de bienfaicts et de proprietez,
Rien n'approche en douceur la loy de mariage.
Heureuse et saincte loy, source de vos plaisirs,
Principe de vostre heur, perle de vos desirs,
D'Amour, de Volupté et de gloire suivie,
Du repos des humains seule cause et raison,
Des corps et des esprits heureuse liaison,
Le ciel de vostre bien, le miel de vostre vie.
Ce grand Dieu qui crea le rond de l'Univers,
Et feit pour l'embellir tant d'animaux divers,
Apres que l'homme il eut formé à son image,
Ne se contenta point de l'avoir ainsi fait
Sur le moule sacré de son divin portraict,
Mais voulut de tout poinct bienheureux son ouvrage.
De la coste de l'homme assoupi du sommeil
Ce Maistre souverain, cet Ouvrier nonpareil
Par son art miraculeux, feit la femme premiere.
De mille et mille dons et de grace il l'orna,
Pour fidelle compaigne à l'Homme il la donna,
Pour estre os de ses os, chair de sa chair entiere.
Dessus son front poli il sema les beautez,
En ses yeux il logea mille douces clairtez,
Sur sa bouche il asseit le miel et l'ambrosie,
Il doua son parler de grace et de douceur,
Il mit la Courtoisie et l'Amour en son cueur,
Et en perfections la rendit accomplie.
Tout aussi tost que l'homme eut veu œuvre si beau,
Aussi tost fut espris d'un amoureux flambeau,
Et atteint des beaux yeux et bonne grâce d'elle ;
Dieu le voulant ainsi la prit et l'espousa,
Et plein de loyauté son cueur se disposa
A l'aimer et cherir d'une amour immortelle.
De là le Mariage eut son commencement,
Lien heureux et doux, plein de contentement,
Qui en toute Delice avec Largesse abonde,
Plaisant à l'abordee et plaisant au millieu,
Plaisant iusqu'à la fin, Ce qui peut en tout lieu
Estre dict et nommé l'Excellence du Monde.
Il ha dessous ses pieds la Tristesse et le Dueil,
Il est toujours paré d'un favorable Accueil,
L'Amour le suit sans fin, le Plaisir le talonne :
Il ha pour compaignons marchants à son costé
L'immuable union, la Foy, la Loyauté,
Le pudique Désir et la Volonté bonne.
Le Discord envieux ne l'accoste jamais,
Car il florist toujours en immortelle paix :
Le Courroux et l'Ennuy ne sont point de sa suite :
Le Soupçon, le Regret, le fascheux Repentir,
Et tout cela qui peut rendre un homme martyr,
Au seul obiect de luy se mettent tous en fuite.
O Dieu combien tu as l'Homme favorisé
D'avoir en son esprit le desir attisé
Prendre femme et l'aimer tout ainsi que soy mesme.
Pouvois-tu, ô bon Dieu, plus de bien luy donner,
Et de plus rares dons le pouvois-tu orner ?
Certes non : car c'est l'heur de tous heurs le supresme.
On a parlé iadis des Champs Elysiens,
Où les ames estoyent au comble de tous biens,
En plaisir eternel dessous un verd ombrage ;
Chacun prise la ioye et l'heur de Paradis.
Mais ie ne puis penser que ce soit rien au prix,
Ni que le Paradis s'égale au Mariage.
D'avoir de iour et nuict aupres de son costé
Une femme pudique et pleine de beauté,
Avoir toutes faveurs que l'on veut et demande,
Jouir de ses baisers doucement attrayants,
Veoir à l'entour de soy nombre de beaux enfans,
Y-a-t-il quelque ioye en Paradis plus grande?
Hé donc parmi cet heur estes vous aveuglez
Pour ne veoir tant de biens que Dieu vous a baillez?
Voulez-vous mespriser une manne si douce?
Ne savourez-vous point la douceur de ce miel
Qui sur le genre humain pleut et tombe du ciel?
Gardez en ce faisant que Dieu ne se courrouce.
Si de quelque raison vos esprits sont menez,
Si à ne point mentir vous estiez adonnez
Quoy? ne diriez-vous pas que la Nopce vous monstre
En son brave appareil, festins délicieux,
Pompe de beaux habits et sons harmonieux,
Qu'au Mariage Sainct tout bonheur on rencontre?
Escoutes mes propos, O vous qui desdaignez
D'estre pudiquement de femme accompaignez,
Et n'en pouvez trouver qui vous contente et plaise.
Si vous la prenez riche, elle vous traictera,
Sans peine et sans travail son bien vous nourrira,
Et sans vous tourmenter vous vivrez à v[ost]re aise.
Lors il vous semblera d'entrer en Paradis,
De trouver tant de biens sans nulle peine acquis,
De tenir et compter les escus à poignee,
De veoir et visiter ses terres et maisons,
D'avoir ce qu'il vous fault en toutes les saisons,
Sans veoir de pauvreté la vie accompagnée.
Joinst qu'ordinairement la riche est de bon lieu
Bien nee et bien nourrie en la crainte de Dieu,
Pleine de bonnes mœurs et bien apparentée :
Elle vous met au monde, et les enfans qu'avez
Aux estats et honneurs sont soudain eslevez
Rendant de vous et d'eux la gloire dilatée.
Si vous la prenez pauvre, elle ha dedans le cueur
Plus d'amour, plus de foy, plus de crainte et douceur,
Elle est humble, et vous sert de femme et de servante :
Elle se plaît d'entendre et scavoir vos humeurs,
S'accommode, se dresse et façonne à vos mœurs
Et en tout et par tout vous est obeissante.
Si vous la prenez belle, O combien de plaisir
Vous est loisible alors à toute heure choisir,
Y admirant de Dieu l'artifice et l'ouvrage,
Brisant les belles fleurs, les roses et les lis
En sa vive couleur et ses yeux embellis,
Et embrassant souvent une si belle image!
Si vous la prenez laide, elle vous aimera,
Son amour envers vous iamais ne varira,
Vous ne serez point atteint du mal de Jalousie :
Seulette en sa maison tousiours la trouverez,
Et vos petits enfans mieux vous esleverez,
Car elle en nourrira la plus grande partie.
Celuy qui n'a iamais sceu que c'est de ce lien,
Ni combien il y a d'aise, d'heur et de bien,
Qui n'en a faict l'essay et la preuve certaine :
Il n'y faut comparaistre en follastres amours,
Qui durent peu de mois, voire bien peu de iours,
Et dont la volupté est passagere et vaine.
N'alleguons point ici l'exemple de ces Dieux,
Qui leur lict conjugal avoient pour odieux :
Car ils n'estoyent pas Dieux, ains plustost estoyent diables :
Et ce beau Jupiter, duquel on parle tant,
Estoit un ruffien et paillard inconstant
Qui vomissait par tout ses feux insatiables.
Jamais cet adultere et ce luxurieux
En sa main, comme on dit, n'eut le sceptre des Cieux :
Les Cieux ne sont remplis d'inceste et paillardise :
Les Dieux ne sont subiets à la Lubricité,
Ils hayent la luxure et l'impudicité,
Et tout ce qu'on dit d'eux n'est que fable et feintise.
Mais en laissant le faux, parlons de nostre DIEU,
De CHRIST nostre Sauveur, comme estant en ce lieu
Il honora la Nopce et le Saint Mariage,
Voulut y assister, et d'un pouvoir divin
Au banquet nuptial il mua l'eau en vin,
Approuvant ce lien par un tel temoignage.
Imprimons en nos cueurs son saint commandement,
Lequel de paillarder defend estroictement,
Et moins de se plonger dans l'adultere infame
Voyons en l'Evangile en mille et mille lieux,
Comme il sçait chastier l'homme luxurieux,
Et le voue et condamne à l'eternelle flame.
A l'exemple de luy qui la Nopce honora,
A l'exemple de luy qui l'Hymen decora,
Et qui se nomme et dit l'espoux de son Eglise,
Honorons et prisons ce Sacrement si beau,
Aimons le Mariage et son chaste flambeau,
Sans que de folle amour nostre ame soit esprise!
O heureux Mariage, en ce monde envoyé
Pour refrener le cueur de l'homme dévoré,
Don céleste et divin pour repeupler la terre,
Celuy qui t'aimera, soit à iamais heureux ;
Et celuy qui fuira ton lien amoureux
Sente que le malheur tousiours lui face face guerre.
Les Misères de la Femme mariée
Muses, qui chastement passez vostre bel aage
Sans vous assujettir aux loix du mariage,
Sçachant combien la femme y endure de mal,
Favorisez-moy tant que je puisse descrire
Les travaux continus et le cruel martyre
Qui sans fin nous tallonne en ce joug nuptial.
Du soleil tout voyant la lampe journalière
Ne sçauroit remarquer, en faisant sa carrière,
Rien de plus miserable et de plus tourmenté
Que la femme subjette à ces hommes iniques
Qui, depourveuz d’amour, par leurs loix tiraniques,
Se font maistres du corps et de la volonté.
Ô grand Dieu tout-puissant ! si la femme, peu caute3,
Contre ton sainct vouloir avoit fait quelque faute,
Tu la devois punir d’un moins aigre tourment ;
Mais, las ! ce n’est pas toy, Dieu remply de clemence,
Qui de tes serviteurs pourchasses la vengeance :
Tout ce mal’heur nous vient des hommes seulement.
Voyant que l’homme estoit triste, melancolique,
De soy-mesme ennemy, chagrin et fantastique,
Afin de corriger ce mauvais naturel,
Tu luy donnas la femme, en beautez excellente,
Pour fidèle compagne, et non comme servante,
Enchargeant à tous deux un amour mutuel.
Ô bien heureux accord ! ô sacrée alliance !
Present digne des cieux, gracieuse accointance,
Pleine de tout plaisir, de grace et de douceur,
Si l’homme audacieux n’eust, à sa fantaisie,
Changé tes douces loix en dure tyrannie
Ton miel en amertume, et ta paix en rigueur !
À peine maintenant sommes-nous hors d’enfance,
Et n’avons pas encor du monde cognoissance,
Que vous taschez desjà par dix mille moyens,
Par presens et discours, par des larmes contraintes,
À nous embarasser dedans vos labyrintes,
Vos cruelles prisons, vos dangereux liens.
Et comme l’oiseleur, pour les oiseaux attraire
En ses pipeuses rhets, sçait sa voix contrefaire,
Aussi vous, par escrits cauteleux et rusez,
Faites semblant d’offrir vos bien humbles services
À nous, qui, ne sçachant vos fraudes et malices,
Ne pensons que vos cœurs soient ainsi desguisez.
Nous sommes vostre cœur, nous sommes vos maistresses4 ;
Ce ne sont que respects, ce ne sont que caresses ;
Le ciel, à vous ouïr, ne vous est rien au pris ;
Puis vous sçavez donner quelque anneau, quelque chaisne,
Pour nous reduire après en immortelle gesne.
Ainsi par des appas le poisson se sent pris.
Mais quelle deité ne seroit point surprise
En vous voyant user de si grande feintise ?
Et voyant de vos yeux deux fontaines couler,
Qui penseroit, bon Dieu ! qu’un si piteux visage,
Avec la cruauté d’un desloyal courage,
Couvassent le poison sous un brave parler ?
Ainsi donc, nous laissons la douceur de nos mères,
La maison paternelle, et nos sœurs et nos frères,
Pour à vostre vouloir, pauvrettes, consentir ;
Et un seul petit mot promis à la legère
Nous fait vivre à jamais en peine et en misère,
En chagrin et douleur par un tard repentir.
Le jour des nopces vient, jour plein de fascherie,
Bien qu’il soit desguisé de fraude et tromperie,
Borne de nos plaisirs, source de nos tourmens.
Si de bon jugement nos ames sont atteintes,
Nous descouvrons à l’œil que ces liesses feintes
Ne servent en nos maux que de desguisement.
Le son des instrumens, les chansons nompareilles,
Qui d’accords mesurez ravissent les oreilles,
Les chemins tapissez, les habits somptueux,
Les banquets excessifs, la viande excellente,
Semblent representer la boisson mal plaisante,
Où l’on mesle parmy quelque miel gracieux.
Encore maintenant, pour faire un mariage,
On songe seulement aux biens et au lignage,
Sans cognoistre les mœurs et les complexions ;
Par ainsi, ce lien trop rigoureux assemble
Deux contraires humeurs à tout jamais ensemble,
Dont viennent puis après mille discensions.
On ne sçauroit penser combien la jeune femme
Endure de tourment et au corps et à l’ame,
Subjette à un vieillard remply de cruauté
Qui jouit à son gré d’une jeunesse telle
Pour ce qu’il la veut faire ou dame ou damoiselle,
Et pour ce qu’il est grand en biens et dignité.
Luy qui avoit coustume auparavant, follastre,
De diverses amours ses jeunes ans esbattre,
Entretenant sa vie en toute oisiveté,
Se sent or’ accablé de quelque mal funeste,
Qui, malgré qu’il en ait, dans son lit le moleste,
Assez digne loyer de sa lubricité.
La femme prend le soin d’apprester les viandes
Qui au goust du vieillard seront les plus friandes,
Sans prendre aucun repos ny la nuict ny le jour ;
Et luy, se souvenant de sa folle jeunesse,
Si tant soit peu sa femme aucune fois le laisse,
Pense qu’elle luy veut jouer un mauvais tour.
Et lors c’est grand pitié : car l’aspre jalouzie
Tourmente son esprit, le met en frenaisie,
Et chasse loin de luy tout humain sentiment.
Les plus aigres tourmens des ames criminelles
Ne sont pour approcher des peines moins cruelles
Que ceste pauvre femme endure injustement.
Aussi voit-on souvent qu’un homme mal-habille,
Indigne, espouzera quelque femme gentille,
Sage, de rare esprit et de bon jugement,
Mais luy, ne faisant cas de toute sa science
(Comme la cruauté suit tousjours l’ignorance),
L’en traitera plus mal et moins humainement.
Au lieu que si c’estoit un discret personnage,
Qui avec le sçavoir eust de raison l’usage,
Il la rechercheroit et en feroit grand cas,
Se reputant heureux que la grace divine
D’un don si precieux l’auroit estimé digne.
Mais certes un tel homme est bien rare icy-bas.
Si le cynique grec, au milieu d’une ville,
N’en peut trouver un seul entre plus de dix mille,
Tenant en plain midy la lanterne en sa main,
Je pense qu’il faudroit une torche bien claire
En ce temps corrompu, et se pourroit bien faire
Qu’on despendroit le temps et la lumière en vain.
Car vrayment c’est l’esprit et ceste ame divine,
Recognoissant du ciel sa première origine,
Qui fait le vertueux du nom d’homme appeller,
Et non pas celuy-là qui seulement s’arreste
Au corruptible corps, commun à toute beste
Qui vit dessous les eaux, sur la terre ou en l’air.
Il seroit donc besoin de grande prevoyance
Ains que faire un accord d’une telle importance,
Qui ne peut seulement que par mort prendre fin,
Attendu pour certain que ce n’est chose aisée,
À quelque homme que soit une femme espouzée,
De la voir sans ennuy, sans peine et sans chagrin.
S’elle en espouse un jeune, en plaisirs et liesse,
En delices et jeux passera sa jeunesse,
Despendra son argent sans qu’il amasse rien.
Bien que sa femme soit assez gentille et belle,
Si aura-il tousjours quelque amie nouvelle,
Et sera reputé des plus hommes de bien.
Car c’est par ce moyen que l’humaine folie
A du grand Jupiter la puissance establie,
Pour ce que, mesprisant sa Junon aux beaux yeux,
Sans esclaver5 son cœur sous le joug d’hymenée,
Suivant sa volonté lasche et desordonnée,
Il sema ses amours en mille et mille lieux.
Et quoy ! voyons-nous pas qu’ils confessent eux-mesmes,
Si l’on se sent espris de quelque amour extrême,
Pour en estre delivre il se faut marier,
Puis, sans avoir esgard à serment ny promesses,
Faire ensemble l’amour à diverses maistresses,
Et non en un endroit sa volonté fier.
Si c’est quelque pauvre homme, helas ! qui pourroit dire
La honte, le mespris, le chagrin, le martyre
Qu’en son pauvre mesnage il luy faut endurer !
Elle seulle entretient sa petite famille,
Eslève ses enfans, les nourrit, les habille,
Contre-gardant son bien pour le faire durer.
Et toutes fois encor l’homme se glorifie
Que c’est par son labeur que la femme est nourrie,
Et qu’il apporte seul ce pain à la maison.
C’est beaucoup d’acquerir, mais plus encor je prise
Quand l’on sçait sagement garder la chose acquise :
L’un despend de fortune, et l’autre de raison.
S’elle en espouze un riche, il faut qu’elle s’attende
D’obeir à l’instant à tout ce qu’il commande,
Sans oser s’enquerir pour quoy c’est qu’il le fait.
Il veut faire le grand, et, superbe, desdaigne
Celle qu’il a choisie pour espouze et compaigne,
En faisant moins de cas que d’un simple valet.
Mais que luy peut servir d’avoir un homme riche,
S’il ne laisse pourtant d’estre villain et chiche ?
S’elle ne peut avoir ce qui est de besoin
Pour son petit mesnage ? Ou si, vaincu de honte,
Il donne quelque argent, de luy en rendre compte,
Comme une chambrière, il faut qu’elle ait le soin.
Et cependant monsieur, estant en compagnie,
Assez prodiguement ses escus il manie,
Et hors de son logis se donne du bon temps ;
Puis, quand il s’en revient, fasché pour quelque affaire,
Sur le sueil de son huis laisse la bonne chère6.
Sa femme a tous les cris, d’autres le passe-temps.
Il cherche occasion de prendre une querelle,
Qui sera bien souvent pour un bout de chandelle,
Pour un morceau de bois, pour un voirre cassé.
Elle, qui n’en peut mais, porte la folle enchère,
Et sur elle à la fin retombe la colère
Et l’injuste courroux de ce fol insensé.
Ainsi de tous costez la femme est miserable,
Subjette à la mercy de l’homme impitoyable,
Qui luy fait plus de maux qu’on ne peut endurer.
Le captif est plus aise, et le pauvre forçaire
Encor en ses mal heurs et l’un et l’autre espère ;
Mais elle doit sans plus à la mort esperer.
Ne s’en faut esbahir, puis qu’eux, pleins de malice,
N’ayans autre raison que leur seulle injustice,
Font et rompent les loix selon leur volonté,
Et, usurpans tous seuls, à tort, la seigneurie
Qui de Dieu nous estoit en commun departie,
Nous ravissent, cruels ! la chère liberté.
Je laisse maintenant l’incroyable tristesse
Que ceste pauvre femme endure en sa grossesse ;
Le danger où elle est durant l’enfantement,
La charge des enfans, si penible et fascheuse ;
Combien pour son mary elle se rend soigneuse,
Dont elle ne reçoit pour loyer que tourment.
Je n’auray jamais fait si je veux entreprendre,
Ô Muses ! par mes vers de donner à entendre
Et nostre affliction et leur grand’ cruauté,
Puis, en renouvellant tant de justes complaintes,
J’ay peur que de pitié vos ames soient atteintes,
Voyant que vostre sexe est ainsi maltraicté.
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