Evrard (Laurent) ... - 1911 ou 1921 ????
Laurent Evrard
Comtesse de la Baume-Puviniel
(décès en 1921)
"Laurent Evrard a renouvelé une forme intéressante de la poésie française: la rime enrimée qui jusqu'alors n'avait été considérée que comme une des innombrables complications poétiques, un des mille jeux de versification auxquels se plaisaient les poètes marotiques. Mais ces nouveautés et quelques autres n'ont généralement pas plu. Le vers libre seul a réussi..." (Apollinaire: Jean Royère, 1908)
Rémi de Gourmont lui dédie ses "Epilogues IV", 1905-1907
Publié dans le Mercure de France Oct.-Déc. 1900
- Fables et Chansons
extraits de commentaires de Jean de Gourmont,
dans "Muses d'aujourd'hui, 1910
Ces poèmes sont écrits comme de la musique, avec toutes les ressources de la symphonie: allitérations savantes, cadences et rythmes, qui permettent au vers d'enfermer non pas seulement l'abstraction de l'image, mais de son bruit même:
La rafale a froissé les frondaisons et les tentes.
Par un geste qui retrousse leur trop traînantes garnitures
Les bras nus ont ployé dans la lenteur des détentes;
En ses poses le bois craque sous les aisselles des ramures...
Le plaisir fait crier tout le squelette et les feuilles:
Tourner vite sur les aines! Meurtrir l'écorce par les chocs!
S'allonger, osciller dans le péril et l'orgueil
Des beaux muscles, des longs torses; du grand spectacle qui disloque!
Il y a dans cette poésie un sens de l'expression exacte et de la concision qui est d'un art interdit à la plupart des poètes...
Dans ce poème: "Roues de Moulin", le poète a cherché à rendre musicalement le bruit obstiné de l'eau se jetant sur les roues; les mots ont la souplesse et les courbes mêmes d'une cascade:
Et la roue en tournant sent le cours et le poids d'un mystère
Terrifique, comme un rêve volubile, lunatique, qui sur place
La soulève, et l'oblige au tapage
Agitant, aux sursauts et fracas
Cahotants des volants, dont les brefs ronfelments se succèdent,
Cédant vite, tour à tour, tant la chute torrentielle les obsède!
L'eau ruisselle
Célébrant sa puissance
Sensuelle dans un flux
Luxueux d'émeraudes
Audacieuses, de rubis
Bizeautés; elle agrafe
Affairée ou répand
En traînées les agiles
Illusoires colliers d'ambres qui vacillent.
Jardin d'Italie
(extraits)
Le jardin san-Vital est somptueux et maudit:
Les verdures y moisissent avec des miasmes d'épouvante,
Il y monte un secret et des parfums "rudits
Pleins de choses mémorables et de menaces émouvantes.
...........
Sous la treille en tonnelle où dort le fruit, deux Romains
Violentent leurs Sabines parmi les feuilles de citrouilles.
Le plus noble arrondit un bras pompeux et sans main.
Sur eux tombe par bavures un jour de ruines et de rouilles.
Ah! ce bras du Romain, quel étonnant modelé!
Tout son torse se boursoufle comme un bandage sur ses ouates!
Son échine au hasard creuse un sillon potelé
Et la hanche s'exagère pour que la cuisse se déboîte.
Ces statues sur le sol sans piédestal ni gradin
Ont des taches dramatiques, des blancheurs brusques et funestes,
Et jouent là, sous la treille, un cauchemar de jardin,
Fantastiques de misère par le prestige qui leur reste.
Car la vie est trop proche et les atteint dans leurs nus,
Dans leurs grâces maladroites et leur noblesse si baroque,
Et le lierre en grimpant sur le héros malvenu
Fait plus lourdes et bizarres les élégances de l'époque.
Car le lierre et la courge et chaque été qui s'étale,
Les tomates, l'aubergine, le chat qui passe dans son rêve,
Les fouillis frémissants de l'entrelacs végétal,
Les minutes qui palpitent avec la sève chaude et brève.
Pulsations, éclosions, fils animés, frôlements,
Tout les fixe par contraste, ces statues frustes et faciles,
dans la pose impossible et l'éternel groupement,
Sous les spectres du treillage qui se transforment et vacillent.
....
Mon Voyage
(publié dans le Mercure de France, VIII, 1902)
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