Favier (Eulalie) vers 1830
Eulalie Favier
(Marseille, Début 19ème)
L'hiver
Tu vas donc te flétrir, fraîche et douce nature !
Et le tronc qu'a séché l'haleine des autans
Elève ses longs bras dépouillés de verdure,
Tristes et menaçants.
Le ciel a déployé sa robe nuageuse.
Adieu, riche vendange et joyeuse moisson!
Voici venir janvier, à la face neigeuse,
Au manteau de glaçon ;
Janvier, mois de banquets, de plaisirs, de folie ;
Mois qu'attend l'opulence au sein de ses salons;
Temps où le coeur séduit abjure de la vie
Les sévères leçons !
Eh! qu'importe le froid au riche? Sa demeure
Par de moelleux rideaux se garde des hivers ;
Près d'un ardent brasier, l'heure succède à l'heure
Dans des plaisirs divers.
Ici, pour le joueur la table se déploie,
L'or entassé sur l'or attire l'oeil en feu,
E l'homme a reposé sa douleur ou sa joie
Sur la chance du jeu ;
Là, des groupes légers que le plaisir entraîne
Tracent joyeusement des contours sinueux,
Leur essaim enchanteur s'entrelace et s'enchaîne
A pas voluptueux.
Eh bien! près des palais où le luxe s'étale
Enivré du présent, oublieux du passé,
La pauvre vieille aussi...grelotant sur la dalle
De leur perron glacé...
Il veille...sous le toit qui cache sa misère,
Dans les murs lézardés témoins de son ennui;
Il a besoin de pain, de chaleur, de lumière ;
Pensez, pensez à lui !
Oh! si vous entendiez cet accent qui consume,
Ce mot cruel: j'ai faim! bientôt, de ses douleurs,
La coupe des festins porterait l'amertume
Jusqu'au fond de vos coeurs.
J'ai faim! ah! ce mot seul est une torche ardente
Qui bruit comme un remords sur le coeur attristé,
Et de ses longs replis fait sortir triomphante
La sainte Charité.
Ecartez ces panneaux de glace éblouissante,
Ces tissus onduleux qui parent vos lambris;
Entendez cette voix qui monte, déchirante,
Vers le ciel froid et gris.
Pitié, pitié cent fois, ô riches de la terre !
Pitié pour le malheur! car ses droits sont sacrés.
Ne laissez pas peser les pleurs de la misère
Sur vos salons dorés ;
Car il arrive un jour de justice suprême
Où le coeur sans pitié devant Dieu frémira.
Seul et vide biens, du terrible anathème
Qui donc le sauvera ?...
Octobre 1834
Le watchman et la jeune fille
Elle veillait, et sa tête enivrée
Lui retraçait l'éclatante soirée,
Le salon d'or tout scintillant de feux,
La fraîche gaze à reflets onduleux
Qui, s'échappant en tunique flottante,
Ornait le tour de sa forme élégante,
Et cette douce et séduisante voix
Qu'elle entendait pour la première fois,
Voix de l'amour dont le pouvoir magique
Frappe le coeur comme un souffle électrique,
Soupir de feu qui dévore et séduit;
Quand tout à coup, dans le froid de la nuit,
Une autre voix, jusqu'au ciel élancée,
Vient dans son cours suspendre sa pensée.
Jusqu'à son coeur ces mots ont pénétré:
Il est une heure! et la vitre a vibré.
Ce cri, lancé du fond de ce silence,
Tombe sur l'âme en lugubre cadence,
Et du watchman les pas retentissants
Frappe la dalle à coups égaux, mais lents.
Le voilà donc cet homme de ténèbres,
L'homme entouré de fantômes funèbres,
Infortuné n'existant qu'à demi,
Vivant dans l'ombre et n'ayant pas d'ami,
Traînant aux nuits une vie ignorée
Qui des humains semble être séparée!
Oh! pensa-t-elle à ce cri répété,
Des dons du jour mortel déshérité,
Au sein des murs que ta garde protège
Tes pas errants s'impriment dans la neige,
Et la nuit mesurant les instants,
Sans y songer, tu colporte le temps;
Tandis que moi, me réveillant dans l'ombre,
J'entends mugir cette voix creuse et sombre
Qui, se ruant sur mon coeur attristé,
Au fond du temps me peint l'éternité.
Oui, je le sens, ta bruyante parole
Est de la mort le lugubre symbole,
Et vient flétrir le riant souvenir,
Doux laegs du soir, bonheur qui va finir!
Car le temps fuit, et, dans sa course agile,
Nous grave au front sa marque indélébile.
Naguère, hélas! mille flambeaux épars
De leur éclat fascinait mes regards,
Et je dansais, d'hommages entourée,
De fleurs, de sons, de parfums enivrée;
Et ces instants sont déjà loin de moi!
Pouvoir du temps, inconcevable loi!
Ta volonté doit subjuguer la mienne;
Pour mon repos, fais que je me souvienne
Que nous passons, entraînés dans ton cours.
Homme de nuit! avertis-moi toujours.
Mars 1834
A M. de Lamartine
A toi toujours à toi, dont la lyre sonore,
Ravie aux doigts des Séraphins,
Retentit dans mon coeur qui s'ignorait encore,
Comme un écho des choeurs divins!
Ta voix pure tomba sur mon âme glacée
Ainsi qu'un rayon de soleil
Féconde un sol aride, et soudain ma pensée
Se réveilla de son sommeil.
Alors mes doigts raidis cherchèrent sur la lyre
Quelques accords inachevés,
Et mes regards suivaient ton sublime délire;
Tes chants, je les avais rêvés.
Oui, dans mes froides nuits, parfois un soupir d'ange
Fit frémir mon coeur agité;
Tes chants, unis aux siens, confondaient la louange
Du temps et de l'éternité.
Hé bien! ces chants divins, je les entends encore;
Toujours le Ciel est dans ta voix;
Et moi, je cherche en vain quelque note sonore,
La corde casse sous mes doigts.
Oh! qu'un jour seulement cette corde soupire
Sur le mode qui t'appartient!
J'aurai tout obtenu si jamais tu peux dire:
Son coeur fut un écho du mien.
13 janvier 1835
A Valério
(Extrait)
Moi, j'ai lontemps cherché sur ton clavier sonore
Un son qui retentit sous ma main faible encor;
Une fois j'avais dit: Nature, humanité,
Dieu, ce mot qui comprend l'être, le temps, l'espace;
Je me sentais poète, et sur mon front de glace
Du souffle inspirateur le vol fut arrêté.
Mais depuis, un nuage élevé dans mon âme,
Sous une nuit épaisse en a caché la flamme,
Tout est devenu trouble, erreur, confusion;
Si parfois un instant je me retrouve encore,
Le crépuscule est là qui me cache l'aurore,
Et le ciel assombri me refuse un rayon.
Qu'il est triste le jour où l'esprit perd la trace
De la gloire qui fuit, du talent qui s'efface,
Ce jour d'indifférence et de trouble à la fois,
Où, tandis que la nuit couvre l'intelligence,
Au fond du coeur ému brûle une flamme immense
Qui consume la lyre en étouffant la voix!
............
Ballades et romances
Vision
Sous un ciel bien noir,
Je rêvais un soir
D'orage;
La mer en courroux
Battait à grands coups
La plage.
Je voyais passer,
Tourner et danser
Des gnômes,
Mêlés aux ondins,
Aux sylphes mondains,
Fantômes,
Qu'aux feux des éclairs,
On voit dans les airs
Livides,
Ceints de joncs serrés,
Cueillis dans les prés
Humides.
L'afite effrayant
Du riche Orient,
Et l'ombre
De l'Occident noir,
Hôte du manoir
Bien sombre.
Péris, revenants,
Dives menaçants,
Immondes;
Sur d'affreux débris,
Menaient des esprits
Les rondes.
Leurs cheveux épars
Formaient aux regards
Des chaînes,
Qui, tournant en rond,
Se liaient au tronc
Des chênes.
Et moi j'avais peur;
Je disais: mon coeur
Expire;
Comme au jour vermeil
Se fond au soleil
La cire.
Quand à l'horizon,
Je vis un rayon
Céleste;
Et tout s'effaça,
Son jour éclipsa Le reste.
Apparition
Vois-tu, là-bas, dans la clairière,
Flotter cette pâle lueur,
Dont la fugitive blancheur
Semble glisser sous la bruyère?
Incline-toi, parlons tout bas;
Ce n'est point un rayon de lune,
Qui, moelleux, argente la dune,
Comme pour éclairer nos pas.
N'abandonne point le rivage
Pour suivre cet éclair trompeur,
Car bientôt le froid de la peur
Blanchirait ton mâle visage!
Incline-toi! parlons tout bas:
Le vent qui courbe la bruyère
Semble exhaler une prière,
Qui se mêle au bruit de nos pas.
Prions, de peur que ce prodige
N'éclaire aussi notre tombeau;
Du sang le plus pur, le plus beau,
Cette terre garde un vestige.
Un jour, sous ce ciel étoilé,
Brilla l'acier de la vengeance;
Depuis, une ombre erre en silence
Sur ce sol qu'elle avait foulé.
Tout fut enseveli dans l'ombre,
Crime, innocence ou repentir;
Mais, depuis, on entend gémir
Le vent grondant dans la nuit sombre.
On voit cette pâle lueur
Eclairer le lieu du mystère,
Comme une étoile solitaire
Veillant pour venger le malheur!
Concernant Eulalie Favier
Dans L’ "Essai sur l’état de la littérature à Marseille depuis le 17ème siècle jusqu’à nos jours", 1836,
Lire aussi l'Hommage "à Mlle Eulalie Favier, l’une des glorieuses muses marseillaises" (2 poèmes, à partir de la page 137),
dans Sonnets, ou Fleurs de poésie, du commandant d'Esgrigny, 1877.
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