Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Gaudin de la Grange (Anne-Mary) 1902-1943

Anne-Mary Gaudin de la Grange

1902-1943

 

- Créole (de La Réunion ou "île Bourbon")

- "Poèmes pour l'ïle Bourbon", 1941

 

 

Poèmes empruntés à la page qui lui est consacrée et qui comprend une présentation approfondie de cette auteure trop tôt disparue.

 

Gaudin de la Grange

 

 

 

La Grand'Case


La Grand’Case est très douce à ses hôtes ; elle est
douce à leur lassitude et douce à leur labeur ;
sur les coeurs inquiets, les fronts lourds de pensers,
elle pose ses mains d’Aïeule...
elle verse en mon âme un baume ancien
d’oraison et de poésie.
Si j’ai rêvé parfois de pays inconnus,
mon voyage s’achève en l’éternel retour
à mon nid de gazon caché dans le manguier ;
heureuse, je retrouve à l’aube, le rayon
couleur de miel sur le palmier et, chaque soir,
heureuse, je m’endors aux flûtes des grillons.
Horizons bruissants d’inaudible clameur,
votre mystère insidieux me frôle en vain...
je fleuris ce matin comme hier et toujours
les portraits des aïeux...
Pensivement leurs yeux
me font me souvenir d’immuables demeures...
A l’heure de la sieste, ou le soir sous la lampe,
j’aime à refeuilleter leurs livres fatigués
qu’on vendit à Paris, rue Neuve Notre-Dame
avec approbation, privilège du Roi...
leur Bible de Saci dont les siècles patinent
les ors, et l’édition dernière en trois volumes,
Mil sept cent quatre-vingt-neuf, chez Didot l’Aîné-
de l’Oeuvre de Racine.
Mais, lorsque sur la nuit je ferme les fenêtres,
je m’attarde souvent, car je vois aux étoiles
passer au large de l’Océan d’ombre bleue,
fanaux éteints, gonflant sous l’alizé sa voile,
le vaisseau flibustier qui rôde autour de l’Ile,
ou le brick du Corsaire, au Port-Louis attendu...

Beaumont, 14 mars 1940

Montgaillard


La brume qui descend des cimes, le rivage
Là-bas étincelant, les oliviers sauvages
Aux talus des chemins, le funèbre mouffia
Chevelu, qui se penche avec un geste las
Sur la gorge où, parmi les lames des agaves,
Le soleil de juillet empourpre les goyaves.
Tout nous garde en ces lieux le souvenir, l’écho
Du chantre harmonieux des graves filaos.
Son ombre nous accueille au pied de la colline :
Elle nous guide par les abruptes ravines,
Jusqu’au sous-bois humide et toujours frémissant
De la mélodieuse et pénétrante plainte
Que le vent, prolongeant son amoureuse étreinte,
Arrache, en longs soupirs, à l’arbre frissonnant.
De songes innommés, les formes impalpables
Suivaient à pas légers, sous les épais taillis,
L’enfant mêlant son rire au cri des bengalis :
Et, de mystiques voix, aux accents ineffables,
Ont ému de l’écho de leurs syllabes d’or
L’adolescent rêveur qui s’ignorait encor.
Ta Muse habite, ô Dierx ! ces chastes solitudes,
Comme le Paille-en-Queue, aux sombres altitudes
S’enfuit pour retrouver l’odorante forêt
Que rétrécit le flot montant et vert des cannes,
Ainsi tu t’isolais des riantes savanes
Pour livrer, seul, aux bois, ton musical secret.
Ta lyre est accordée à la triste fontaine
Qui sanglote sans bruit et s’écoule incertaine
A l’ombre chuchotante et glauque des bambous :
Dans le branchage obscur et grêle des jamroses
Où se suspend la ronce et le nid du bec-rose,
J’entends vibrer ton chant mélancolique et doux.
Ton âme s’est mêlée aux sauvages ramures,
Elle exhala l’encens de leurs âcres parfums :
Elle garda ce goût de marine salure
Que le vent, vers la sylve, emporte avec l’embrun ;
Elle s’irradia des vagues flamboyantes
Qui se brisent au pied de la falaise ardente
Et lavent sans arrêt ses flancs lisses et bruns.

Un jour, par le sentier qui descend vers la plage,
Sur ce vieux banc moussu, pensif, tu vins t’asseoir :
Ton regard enivré d’ambitieux mirages
Erra sur l’Océan peut-être sans le voir ;
Comme l’oiseau de mer vers le large s’élance,
Ton rêve éblouissant mesurait la distance,
Qui t’éloignait d’un But. Le sublime horizon
Devint pour toi, dès lors, le mur de ta prison.
O Poète ! Ta voix résonne inoubliée !
Le plus rare laurier fut tien. Mais tour à tour
La Gloire et la Douleur et la Mort et l’Amour,
Ces graves Séraphins aux ailes repliées,
Sévères, t’ont fermé, vigilants, et subtils,
L’Eden que tu laisses pour le pays d’exil.
Tu ne revins qu’un jour aux scintillantes grèves,
T’imprégner un instant des senteurs et des sèves.
Du verger tropical et des vierges sommets :
Mais, de ton beau Destin, prisonnier, sans murmure,
Tu repartis, hélas, meurtri de la blessure
Que fait saigner en nous un éternel regret.
Or, à Paris, un soir de triste et froide brume,
Il a revu soudain la splendeur qui s’allume
De l’aube au Crépuscule en l’ancestral jardin.
Alors, pour enchanter son âpre nostalgie,
Il dit l’hymne berceur et la mélancolie



27/06/2012
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