Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Gay (Delphine) Mme de Girardin 1804-1855

Delphine Gay

(Mme de Girardin)
(1804-1855)



 
 


 
Le départ

A M. A. de L***

Quel est donc le secret de mes vagues alarmes?
Est-ce un nouveau malheur qu'il me faut pressentir?
D'où vient qu'hier mes yeux ont versé tant de larmes
              En le voyant partir?

La nuit vint... et j'errais encore sur son passage,
Regardant l'horizon où l'éclair avait lui;
Sur la route, de loin, je vis tomber l'orage,
               Et je tremblai pour lui.

J'aimais à contempler cette lueur ardente
Qu'il voyait comme moi dans le ciel obscurci,
A sentir sur mon front cette pluie abondante
              Qui l'inondait aussi.

J'allai, cherchant un être ému de ma souffrance,
Interroger les yeux de son départ témoin...
Mais lui!...n'était pour eux, dans leur indifférence,
               Qu'un voyageur de moins.

Nos amis m'attendaient au seuil de ma demeure;
Je lus dans leurs regards un reproche jaloux.
"L'ingrate! disaient-ils, elle souffre, elle pleure
               Et ce n'est pas pour nous!"       

Cependant pour tromper son âme généreuse,
J'ai caché ma douleur sous l'adieu le froid...
Pourquoi de son départ être si malheureuse?...
               Je n'en ai pas le droit.

Quel est ce sentiment, ce charme de s'entendre,
Qui, montrant le bonheur, le détruit sans retour...
Qui dépasse en ardeur l'amitié la plus tendre...
              Et qui n'est pas l'amour?

C'est l'attrait de deux coeurs exilés de leur sphère,
Qui se sont, d'un regard, reconnus en passant,
Et que, dans les discours d'une langue étrangère,
              Trahit l même accent.

Tel, voguant loin des bords d'une mère chérie,
Deux navires perdus entre le ciel et l'eau,
Reconnaissent leurs voeux, leur destin, leur patrie,
               Aux couleurs d'un drapeau.


Noble et sainte union, en délices fertile!...
Pour nos coeurs fraternels rêvant le même bien,
Le champ de la pensée est un commun asile,
               Et la gloire, un lien.

On parle à son ami des chagrins de la terre;
On confie à l'amour le secret d'un instant;
Mais, au poète aimé, l'on redit sans mystère
               Ce que Dieu seul entend.

                              Paris, 1834, Poésies diverses



Le bonheur d'être belle

Dédié à madame Récamier


Quel bonheur d'être belle, alors qu'on est aimée !
Autrefois de mes yeux je n'étais pas charmée ;
Je les croyais sans feu, sans douceur, sans regard ;
Je me trouvais jolie un moment par hasard.
Maintenant ma beauté me paraît admirable.
Je m'aime de lui plaire, et je me crois aimable...
Il le dit si souvent ! Je l'aime, et quand je vois
Ses yeux avec plaisir se reposer sur moi,
Au sentiment d'orgueil je ne suis point rebelle,
Je bénis mes parents de m'avoir fait si belle !
Et je rends grâce à Dieu, dont l'insigne bonté
Me fit le cœur aimant pour sentir ma beauté.
Mais... pourquoi dans mon cœur ces subites alarmes ?...
Si notre amour tous deux nous trompait sur mes charmes :
Si j'étais laide enfin ? Non... il s'y connaît mieux !
D'ailleurs pour m'admirer je ne veux que ses yeux !
Ainsi de mon bonheur jouissons sans mélange ;
Oui, je veux lui paraître aussi belle qu'un ange.
Apprêtons mes bijoux, ma guirlande de fleurs,
Mes gazes, mes rubans, et, parmi ces couleurs,
Choisissons avec art celle dont la nuance
Doit avec plus de goût, avec plus d'élégance,
Rehausser de mon front l'éclatante blancheur,
Sans pourtant de mon teint balancer la fraîcheur.
Mais je ne trouve plus la fleur qu'il m'a donnée ;
La voici : hâtons-nous, l'heure est déjà sonnée,
Bientôt il va venir ! bientôt il va me voir !
Comme, en me regardant, il sera beau ce soir !
Le voilà ! je l'entends, c'est sa voix amoureuse !
Quel bonheur d'être belle ! Oh ! que je suis heureuse  !

             1825




Le malheur d'être laide


En vain sur mon malheur, Alfred veut me tromper,
Aux torts qu'il se reproche, il ne peut échapper ;
En vain, il se promet de me rester fidèle ;
Sa tristesse me dit que je ne suis plus belle.
Hélas ! son inconstance est peinte en ses regrets.
Depuis qu'un mal affreux a dévasté mes traits,
Dans mes yeux autrefois embellis par mes larmes,
La douleur elle-même a perdu tous ses charmes.
L'orgueil de mon amour est détruit pour jamais,
Et je crains les regards de celui que j'aimais !
Pourquoi ses tendres soins m'ont-ils rendu la vie ?
Dans la tombe du moins la beauté m'eût suivie ;
La mort ne m'aurait point enlevé son amour,
J'aurais charmé ses yeux jusqu'à mon dernier jour,
Et, rendant à ma cendre un douloureux hommage,
Son cœur serait resté fidèle à mon image !

Maintenant il s'épuise en serments superflus
Pour exprimer encor l'amour qu'il ne sent plus.
Sans espoir de bonheur, sans trouble, sans ivresse,
C'est dans ses souvenirs qu'il cherche sa tendresse,
Et, triste lorsqu'il veut m'admirer aujourd'hui,
Ses yeux sur mon portrait se fixent malgré lui.
Pour être plus sincère, en sa pitié touchante,
Il dit que je suis bonne, et que ma voix l'enchante.
Quand, des soins d'une amie implorant la douceur,
Je repose mon front sur le sein de ma sœur,
Il sourit tendrement, il nous regarde ensemble,
Et dit, pour me flatter, que ma sœur me ressemble.
Mais celle qui garda ses attraits séduisants,
Et celle qui, mourante à la fleur de ses ans,
A vu s'évanouir une beauté trop chère,
Ne se ressemblent plus qu'aux regards d'une mère.

En vain la mienne aussi cherche à me rassurer,
Et des mêmes atours veut encore me parer ;
Sa ruse ne saurait tromper celui que j'aime,
Et pour lui seul, hélas ! je ne suis plus la même !
Ah ! puisque son bonheur n'est plus en mon pouvoir,
Qu'un autre l'accomplisse !... et je saurai le voir !
Qu'il lui porte ces fleurs, ces voiles d'hyménée,
Cette blanche couronne à mon front destinée,
Oui... de ma jeune sœur qu'il devienne l'époux,
Qu'elle rende la joie à ses regards si doux,
Et qu'Alfred, dégagé de sa foi généreuse,
Oublie en l'admirant que je suis malheureuse  !

Dans un album photo du 19ème sècle (Gallica)
 

 
Corinne, aimée

Il m'aime !... ô jour de gloire, ô triomphe, ô délire !
Tout mon cœur se réveille, et je reprends ma lyre ;
Je suis poète encore, — et veux que l'univers
Devine mon bonheur à l'éclat de mes vers ;
Je veux pour le chanter, m'enivrant d'harmonie,
Au feu de son amour allumer mon génie ;
Oui, je veux, dans la lice atteignant mes rivaux,
Justifier son choix par des succès nouveaux,
Et, digne de le suivre en sa noble carrière,
Suspendre à ses lauriers ma couronne de lierre.

Par d'amères douleurs si longtemps éprouvé,
Mon cœur trouve en un jour tout ce qu'il a rêvé ;
Lui seul pouvait me plaindre et comprendre mon âme,
Lui seul pouvait aimer la gloire d'une femme !
Le riche, dans le temple assis avec orgueil,
Permet à l'indigent de prier sur le seuil ;
Le monarque adoré que le pouvoir enchante
Se montre-t-il jaloux de la voix qui le chante ?
Non ; — et celui qui règne au milieu des combats,
Qui, d'un mot, peut changer le destin des États ;
Celui qui s'illustra par des succès sans nombre,
D'un regard protecteur verra grandir à l'ombre
Un modeste laurier encor baigné de pleurs,
Dont une faible main ne choisit que les fleurs.
Des vers à sa compagne il permettra l'ivresse,
Car l'inspiration redouble sa tendresse.
C'est à lui qu'elle parle en son enchantement ;
Chacun de ses accords est un noble serment.
Dans ces yeux inspirés que le vulgaire admire,
Il ne voit qu'un regard qui le cherche et l'attire ;
Cette main, sur le luth habile à moduler,
Est la main qu'en la sienne il a senti trembler ;
Cette voix, que les vers rendent grave et sonore,
Pour lui n'est qu'un soupir, un accent qui l'implore.
Dans sa fragile gloire il ne voit qu'un danger,
Et, quand chacun l'envie, — il court la protéger !

Ah ! ce sont d'autres cœurs que la gloire sépare !

Mais, dans ces vœux d'orgueil d'où vient que je m'égare ?
Pourquoi les désirer, ces triomphes d'un jour ?
Est-il donc un succès plus beau que son amour ?
L'orgueil de l'enchaîner suffit à ma mémoire ;
Son bonheur désormais sera toute ma gloire ;
Sous un reflet — mon front sera plus radieux :
Le lac de nos vallons éblouit plus les yeux,
Quand le disque du jour dans ses flots vient se peindre,
Que le phare des mers, qu'un souffle peut éteindre ; —
L'écho, qui de la lyre ose imiter les chants,
A de plus nobles sons — que la flûte des champs ;
La brise qui se joue au front des lis superbes
A de plus doux parfums que le bluet des gerbes...
Et moi, pour mieux briller, je m'efface aujourd'hui.
Gloire, succès, bonheur, je tiendrai tout de lui ;
Et mon ambition, pour seule renommée,
Est que l'on dise un jour : « Corinne en fut aimée ! »

Le présent, l'avenir, pour moi tout est changé ;
Du poids de ses regrets mon cœur est soulagé.
Il n'est plus, ce tourment dont j'étais poursuivie :
Un horizon d'espoir environne ma vie !...
D'un constant souvenir j'aime à subir la loi ;
C'est un secret brûlant que je porte avec moi.
Ce bonheur, dont je suis doucement oppressée,
Comme un parfum des cieux enivre ma pensée.
Tout m'enchante à présent, le silence et le bruit,
L'éclat d'un jour serein, les ombres de la nuit ;
Je brave la retraite et sa langueur profonde,
Et l'uniformité des vains plaisirs du monde.
Pour celle qu'un doux rêve accompagne en tous lieux,
Il n'est plus d'importuns, il n'est plus d'ennuyeux.
Un long récit me plait ; — sans effroi je l'endure,
Et je rêve à ce bruit comme au plus doux murmure.
Je subis des pédants les fatigants débats ;
Je ris de leurs bons mots, — que je n'écoute pas :
C'est l'innocent moyen que mon adresse emploie.
Ah ! le rire souvent sert à cacher la joie !

Et cependant, promise au plus bel avenir,
Mon front est pâle encor d'un triste souvenir ;
Les traces de mes pleurs ne sont point effacées ;
Mon cœur palpite encor de ses craintes passées...
On sourit avec peine après de longs malheurs,
Et tout dit que ma joie est née au sein des pleurs.
Tel l'indocile enfant que pardonne une mère
Oublie en sa gaîté sa douleur éphémère ;
Il joue, — et cependant son visage enfantin
Est pâ1e encor le soir des troubles du matin ;
Son maintien, moins hardi, reste empreint de tristesse ;
Ses chants ont moins d'éclat, ses pas moins de vitesse ;
Et des pleurs essuyés ses yeux encor brûlants,
Son rire entrecoupé par des soupirs tremblants,
Sa vue émue encor des lointaines alarmes,
Tout., dans ses jeux, trahit un jour entier de larmes.

Oh ! combien j'ai souffert avant ces doux moments !
Que de nuits sans sommeil, d'affreux pressentiments !
Mais aujourd'hui mon cœur chérit ses craintes vaines,
En le voyant sourire au récit de mes peines.
L'obstacle est un rempart ; alors qu'on le franchit,
De tous les maux passés le bonheur s'enrichit.
Ainsi, le vieux soldat rentré dans sa patrie
Contemple avec amour sa blessure guérie,
La montre à ses enfants comme un noble trésor,
D'un reste de douleur aime à souffrir encor !
Des jours de grands combats il raconte l'histoire,
Et chaque cicatrice a son nom de victoire ;
De ses fils avec joie il excite les pleurs,
Et lorsqu'un ciel changeant ramène ses douleurs,
« Oh ! dit-il en riant d'un facile courage,
Ma balle d'Austerlitz nous annonce l'orage. »

Ainsi, mon cœur joyeux aime à se rappeler
Les chagrins dont un mot a su me consoler ;
Et, dans ce souvenir, trouvant de tristes charmes,
Ose croire au bonheur — payé par tant de larmes  !






04/03/2010
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