Gellô (?-?, Années 20)
Gellô
Années 1920
Publié dans les Cahiers Mensuels Illustrés, vol. 6, 1928
- La Flamme Qui chante
- Harmonies et Poèmes (1926)
- Le chat aux violettes (1931)
"Qui se cache sous le pseudonyme de Gellô ? Je ne le sais pas. En tout cas, la jeune fille du VIe (?) siècle qui a inspiré ce pseudonyme à la poète du XXe fut citée et chantée par Sappho : de cette jeune fille morte adolescente, la légende de Lesbos fait revenir le fantôme qui enlève les enfants...
En tout cas, c'est un morceau rare que je vous propose là... L'ouvrage n'est même pas dans ma bibliothèque "physiquement"... A l'époque, j'avais dû aller le recopier à la Bibliothèque Mably de Bordeaux..." (Sabine Huet)
Pour en savoir plus consulter la page de Sabine Huet
proposant le pdf des
"Harmonies et Poèmes"
d'où sont extraits les poèmes suivants
La belle nuit
Pierrette du haut de la lune
Nargue le monde timoré;
Pierrette espiègle, blanche et brune
Se balance au cristal doré.
L'épouse froide et vertueuse
Berce un nouveau-né dans son lit.
Une vierge sotte et peureuse
Ferme la porte sur la nuit.
L'écolier au front taciturne
S'abrutit aux déclinaisons,
Ignorant la beauté nocturne
Qui rafraîchit les horizons.
Du haut de la Lune, Pierrette
Hèle l'Arlequine aux yeux bleus
Qui, de Saturne la planète
Chevauche l'anneau merveilleux.
- Holà! mon amie l'Arlequine,
Viens! car le croissant de cristal
Bercera dans son lit d'hermine
Notre amour vierge et sidéral.
Et les deux femmes planétaires,
Dans l'éther où meurent les bruits
Plaignent ceux qui, sur d'autres terres
Ignorent la beauté des nuits.
- Dans les altières solitudes
Ignorées des mondes bourgeois
Nous goûterons les plénitudes
Où règnent l'Ether et ses Lois;
L'Ether recèle une vibrance
Encore ignorée des mortels,
Une magnétique attirance
Contraire aux instincts sexuels.
Viens, savourons des nostalgies...
Puissent les terriens revenir
Aux beaux temps des mythologies!
Mais rien ne vibre en l'avenir.
O! vois sur la terre sphérique
Ceux qui jamais ne connaîtront
La Plénitude Nostalgique
Qui ce soir brille à notre front.
- Laissons les sots à leur routine
C'est pour nous que le ciel sourit,
Dit à Pierrette l'Arlequine,
Oh! savourons la belle nuit!
Arlequine et Pierrette brune
Chantaient ainsi dans le croissant,
Et les terriens au clair de lune
Ont vu deux femmes s'embrassant.
Demi-teintes
J'aime le charme double, étrange et nostalgique
Du Gynandre aux yeux verts, au front grave et hardi.
Et je hais la fanfare et le pourpre midi;
J'estime la moderne et complexe musique.
J'aime les cheveux courts sur les cols féminins
Et je hais le péplos bleu criard des madones.
J'exalte en la forêt le pas des amazones
Et j'épie les regards perplexes des félins.
Le froid glace mon coeur, le feu brûle mon âme,
Et je hais l'ascétique et morose maigreur
Mais la chair trop précise et trop crue me fait peur
Car je suis l'Ennemie du Froid et de la Flamme.
J'erre dans les couchants quand s'apaise le bruit
Trop réel des vivants, à cette heure équivoque
Où chantent les Hybrides; j'incante et j'invoque
Les grisailles du jour, les lueurs de la nuit...
Je n'aime pas le Mâle et la Femme m'irrite...
Je hais jusqu'à la mort le mufle des taureaux.
J'aime l'ange ambigu pleurant sur les tombeaux,
En vérité, mon coeur, j'aime l'Hermaphrodite.
Visite aux musées
J'erre dans l'atmosphère humide des musées
Où pénètre à demi l'éclat d'un ciel douteux,
Où vibrent sous la glace aux ondoiements vitreux
Les urnes aux flancs d'or, savamment ciselées.
J'aime la vie muette et froide des musées
Où le respectueux visiteur parle bas
Et marche comme une ombre en retenant ses pas,
Comme si le bruit sourd de leurs fortes pesées
Pouvait ressusciter à leur moite stupeur
Les objets imprégnés d'un rêve millénaire.
Oh! parfois m'égarant dans un musée j'ai peur
Comme un enfant perdu dans un grand cimetière;
Oui j'ai peur et pourtant je voudrais demeurer
Après l'heure fatale où se ferment les portes,
Oublier le présent et pouvoir retrouver
Le bonheur qui transpire auprès des choses mortes.
Sonnet à l'inconnue
Charme de l'inconnue qu'on ne voit qu'une fois,
O reflet de notre âme et de notre génie,
Toi que je ne verrai plus jamais de ma vie
Et que j'ai rencontrée dans un jardin bourgeois!
Je vis passer l'éclair de mes propres effrois
Dans les yeux ombragés de fière nostalgie,
Je connus sur ton front la virile énergie
Qui cache la douleur des âmes aux abois.
Mais tu ne me vis point et tes regards stupides
S'attachaient sans la voir à la foule des yeux vides.
Tu n'étais pourtant pas seule car des parents
Près de toi déroulaient leur verbe dérisoire
Que tu n'entendais pas; dans mes songes ardents,
Inconnue! tu viendras flotter sur ma mémoire.
Epitaphe
Ainsi fut le chaton fidèle:
deux yeux, deux gemmes d'au-delà,
il repose en sa grâce frêle,
en sa parure d'angora
avec ses choses familières:
sa balle et son chat de velours,
à quelques pouces sous les terres
et des gazons tout alentour.
Mais là ne sera point son âme,
sous cette terre sans pitié;
voyez: une petite flamme,
navigue en le soir étoilé.
Ainsi fut le chaton fidèle:
deux yeux, deux gemmes d'au-delà,
une âme aux couleurs d'immortelle
qui vers les astres s'envola.
L'ultime secret
Les yeux d'un petit chat qui meurt
m'ont dit des choses éternelles.
J'ai vu l'eau de ses prunelles
- étang glauque, déjà vitreux -
nager une âme dans ses yeux;
Sur sa prunelle une âme flotte...
oh les océans entr'ouverts
laissant, au fond des gouffres verts
voir des richesses et des flottes!...
dans l'inconcevable moiteur
l'âme des mâts, le coeur des voiles...
Les yeux d'un petit chat qui meurt
m'ont dit le secret des étoiles.
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