Gilbert Mauge 15 août 1938
15 août 1938
Cantique spirituel
Elle marchait dans le jardin triste et tortu.
Près d'elle, vous parliez, n'ayant que la vertu
Pour divertissement. les immenses images
De saint jean de la Croix jetaient aux paysages
Moroses, par moments, quelque folle clarté.
les arbres étaient secs, le chemin déserté.
Les promeneurs goûtant, obstinément, l'austère
Plaisir, aimaient ce parc et la pluie et la terre...
Vous donniez à quelque une ainsi, rythmant vos pas
Sur les siens, une paix que votre coeur n'a pas.
Longtemps, en robe noire, elle s'est vue avide
Et pensive, tournant en ce grand jardin vide
Tandis que le Cantique aimant, humble et cruel
Créait autour de vous une sorte de ciel...
Maître Eckart
Vers mil deux cents, dans la Thuringe, auprès d'un feu,
Vainement, Maître Eckart vous songeâtes à Dieu.
A genoux, le coeur plein d'une folle mystique
Vous crûtes devenir parfois le Fils unique.
Votre amour était vaste. Un zèle audacieux
Poussait votre raison et vous viviez aux cieux:
Dieu se changeait en vous, par l'étroite fenêtre.
Ou, vaincu, vous pensiez qu'aimer c'est ne plus être
Et vous disiez en chaire aux bonnes gens du lieu
Qu'un ciel est inutile aux vrais amants de Dieu.
Ainsi, rêvant, Eckart, sous votre boiserie,
Vous fûtes accueillant à la triste hérésie.
Trop singulier fut votre amour et l'oraison
Que vos lèvres chantaient au fond de la maison
Illuminait bizarrement le crépuscule.
Le pape jean vous condamna par une bulle
Mais, vieux maître allemand, sept siècles ont passé
Sur vos sermons subtils, sans que se soit glacé
Le cri vertigineux, le mot contradictoire
Qui jadis retentit jusqu'à la Forêt Noire
Et cette nuit, troublé devant vos textes fous
Il nous paraissait beau d'aimer Dieu comme vous...
Frère Arnaud
Quand le soleil chauffait Spolète, ô frère Arnaud
Petit frère d'Ange de Foligno
Vous notiez âprement ce que dictait la Sainte
Puis sur ses traits, soudain, voyant l'extase peinte
Vous cessiez de comprendre... échappant à vos doigts
Le fin stylet roulait sous la planche de bois
Cependant que pleurait, plus près de Dieu qu'un ange,
Cette femme plongée dans la ténèbre étrange.
Frère, vous receviez l'étonnante leçon
Pour décrire l'Amour de divine façon,
Fidèlement vous répétiez les mots d'Angèle
"Et je fus transformée en douleur", disait-elle.
Guidés par vous, nous compterons les dix-huit pas:
Que votre écrit savant ne nous égare pas,
Par votre faute Arnaud, que nul ne s'aventure
A chérir aussi fort la simple créature,
Mais que nous avancions, solitaires, le soir,
Emplis d'un curieux et difficile espoir,
Que nous marchions les yeux baissés et les mains jointes
Ardents et purs, en reprenant les phrases saintes...
D'un jardin à l'autre
Dirai-je quelque chose encor de mon enfance
Du grand jardin fermé, de ses eaux sans espoir?
Ma robe grise brille et sous le ciel j'avance
Vers d'autres lourds jardins que je ne saurais voir
Aveuglément, de rose en rose et d'arbre en arbre
Vers ces fleurs-ci, je viens et vers ce banc de marbre,
Toute sombre, du fond de ma vie et d'un parc,
Je viens vers ces iris et cette branche en arc
Pour glisser avec toi dans le songe et, vivante
Cependant, frissonner aux terrasses s'il vente.
Du fond de mon enfance afin que dans la nuit
Un être frêle en mon esprit, par toi conduit,
Refasse ici ces pas, comme une ombre asservie
Je viens, je viens, je viens tout le long de ma vie...
Et celle que je suis - ou celle que je fus -
Errant à tes côtés dans les bosquets confus
Te montre la jacinthe et la claire prairie
En te disant les mots d'une amère féérie.
Le monde est à leurs yeux
Le monde est à leurs yeux différent chaque jour,
Mais ils se lasseront de cet heureux amour
Qui leur fait trop comprendre et pressentir les choses.
Ils voudront l'heure vide et les longs soirs moroses,
Une ennuyeuse vie et le contact des morts.
Ils se fatigueront d'être légers et forts.
Il leur faudra la nuit solitaire et ses anges
Ou l'aube, la pensée abstraite et sans mélanges,
Le petit jour jetant sa lueur de caveau,
Les larmes, la prière enfin douce au cerveau...
Quand j'entends chanter de la musique
Est-il vrai quand j'entends chanter de la musique
Qu'on me voit écoutant ce chant mélancolique?
Tu songes, loin de moi, dans la chambre aux murs sourds
M'aperçois-tu vraiment sous la loge en velours
Attentive à saisir pour toi, phrase par phrase
Le lied plaintif, l'amour allemand et l'extase?
Est-il vrai quand je glisse entre les portraits peints
- Tête de mort aux pieds, douces roses aux seins -
Que la main sur les yeux, tu rejoignes mon être
Comme si je passais sous ta triste fenêtre?
Est-il vrai quand le ciel est bleu, le vent brillant
Sur l'herbe et le soir lourd de mon coeur défaillant
Que ton âme s'évade et que tu m'accompagnes
Si je marche à travers les bleuets de campagnes?
Dans la nuit, loin de toi, lorsque peureusement
Je revois mon enfance et le commencement
De moi-même, sens-tu que sur les froides toiles
Je joins les mains, le front comblé d'ombre et d'étoiles?
Ton rêve est-il mon rêve en la cruelle nuit?
Sommes-nous jusqu'au jour deux dans un seul esprit?
Je porte encor
Je porte encor les vêtements que vous aimiez
La robe, le ruban, le chapeau coutumiers.
Vous regardez la rue où mon ombre s'allonge
Mais sur un plan nouveau je passe en votre songe.
Une vitre subtile est dressée entre nous.
Si nous glissons près des maisons comme des fous
Notre folie est autre et si, proche et distante,
Je porte encor le chapeau bleu, le manteau gris,
Nous ne traversons plus le temps et les pays.
Ces pas à vos côtés faut-il que je les tente
Ou suis-je devenue être immatériel
Acteur de rêve, un souvenir, l'Ange Ariel?
Près de vous, vous voyez cette femme irréelle
Un peu pareille à moi que votre angoisse appelle?
J'ai le visage et le regard accoutumés
Mais, ailleurs, vaguement, je passe désormais...
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