Gilbert Mauge 15 avril 1935
15 avril 1935
Dix-huitème siècle
Sous les arbres assis, nous regardons l'allée
Les roses, le câteau, notre vie écoulée,
Tristes, sans le savoir, d'être en ce décor-ci
(Pour nous banal) rêvant et méditant ainsi.
Cependant que pour l'impossible appareillage
Le vent gonfle sur toi les voiles du feuillage,
Mes discours, mon silence et ce jour sans douceur
T'arrachent follement tes secrets de penseur.
- M'as-tu changé l'esprit dans l'après-midi sombre? -
La pluie exactement tombe autour de notre ombre
Que tu parles, hélas! et que nulle déjà
Ne se sente ici seule avec ce qu'il songea...
Le chapeau
Un chapeau, parmi l'herbe, attend qu'on le remette
Distraitement, tout à l'heure, sur une tête.
Or la femme au jardin guette l'occasion
Ce soir, de quelque ultime et douce évasion.
Assise, regardant au parterre la suite
Des oves, immobile, elle se sent en fuite.
Non que la perspective offerte à nos regards
De tous côtés l'engage en de trompeurs départs,
Mais parce qu'à la fin du jour s'est rallumée
En elle, une douleur légère, accoutumée,
Qui l'incite à revoir sa vie en souvenir
Et la laisse attardée au fauteuil, pour s'unir.
La tempe libre à l'arbre, au ciel, à la fumée...
Oiseau mécanique
Dans le vol qui nous porte au-devant de la lune
Se perdent villes, champs, paysans qui falune
Et nous fixons, rêveurs de la cabine en bois
Les taches de clarté réfléchie aux parois.
Loin de la terre sombre où fleurit et s'applique
Le méandre brodé d'un dessin électrique,
L'étrange certitude, un plaisir sans objets
Isolent doucement chacun des passagers
Quand pesant par delà les carreaux, suspendue,
La roue inerte, énorme, effilochant la nue,
Ils cherchent à goûter dans le bruit et l'effort
- Fuite heureuse, vol fol - cette espèce de mort...
Forêt
Sans plaisir, écartant les feuilles de ses doigts
Elle avance en l'horrible obscurité du bois
Et souhaitant que la forêt naissante croisse
Se défend de céder à l'enfantine angoisse.
Quel changement, en elle, un jour, va du dehors
Lui rappeler ce bois et l'herbage aux abords?
Sous les rameaux que tristement sa main dévie
Elle commence à voir de loin sa vie...
Minéraux fluorescents
Il quitte le jardin, gravit l'escalier sale,
Déjà songe au plaisir du public dans la salle.
Le vieil amphithéâtre où l'on a fait la nuit
S'éclaire faiblement d'un minéral qui luit
Petite roche verte, amas de clarté pâle
Sur lequel une main suit des traces d'opale.
Cependant que la foule invisible et rêvant
Sur les gradins, se grise au langage savant,
Lui prend sa part d'expérience et de bine-être,
Comme ces inconnus d'identifie au maître,
Surveille les cailloux luminescents, a;peur
Qu'un souffle éteigne ici la mourante couleur...
Soudain dans l'hémicycle obscur un homme glisse
Tâtonne, blesse, passe et fuit par la coulisse
L'air froid lave aussitôt ses habits de l'odeur
Humaine et son esprit échappe à la rigueur:
Il marche enfin, revoit le soir, le ciel, divague
Et libre, se retrouve en la vie âpre et vague...
Il n'a pas vu sa vie.
Il n'a pas vu sa vie et sa chambre et sa rue:
A son miroir, déjà la mort est apparue
Touchant d'avance l'âme et les traits enlaidis.
Qui lui ferait entendre un des mots qu'il adits
Comme il entend ce soir les gens sous ses fenêtres?
Mêlés terriblement avec ceux d'autres êtres
Eut-il sa voix, ses passions, ses propres cris
Heurtant les murs de cette chambre et leurs lambris?
Son beau portrait ici lui propose une image:
Que simule sans fin l'immobile visage?
Mais le décor, la vie et nous-même rêvant
Nous nous sommes détruits d'un portrait au suivant.
Qu'importe ce qu'un jour il désira paraître:
Il n'est qu'un homme enfin devant une fenêtre,
Un homme qui regarde à nouveau son miroir.
C'est ce visage-là, ce jour-ci qu'il veut voir
Il parle, pleure, court vers les carreaux, pâle, ivre:
Est-il encor temps d'être et de s'entendre vivre?
Essayage
De la rouge valise une fillette frêle
Sort un fourreau de crêpe, une robe en dentelle
Tirée à peine encor de fils roses et blancs
Cousus aux noirs morceaux de jais étincelants.
L'air est froid. Un long jour de bizarre pensée
S'achève à la toilette en la chambre glacée.
Quelque femme rêvant, lasse de se revoir
Triste, un peu dévêtue aux trois plans du miroir,
Considère un instant cette forme légère,
Son ombre que lui donne une main étrangère
Avant d'imaginer au milieu des miroirs
Les soirs de sa beauté, les romanesques soirs..
Minuit
Du soleil, de la mer que la main veut saisir
Naît pour chacun de nous un curieux plaisir
Mais il vient à l'esprit de la ténèbre épaisse
Des sentiments profonds, des pensers d'autre espèce.
Quand sous l'air noir et froid, quelque rêve a cessé
L'être aveugle gémit: la vérité de l'âme
C'est la nuit pénétrante et l'angoisse - et le blâme
Entre les murs obscurs à soi-même adressé.
Sous la fade tenture, en des maisons sans nombre
Tout le long de la ville aux quartiers oubliés
Qui sent proche de soi, malgré l'horreur et l'ombre
D'autres lits, d'autres corps mêmement repliés?...
O Nuit de notre chambre où nous tendons l'oreille
Sois présente sans cris, sans étoiles, sans pas
Et tremblants dans la toile âpre et chaude des draps
Que nous t'aimions, ô Nuit, à notre mort pareille!
Je ne vis que pour être heureuse.
A l'aube, dans la chambre, avant le premier geste
Je vois les carreaux purs, la vitre où l'eau gela,
Le lustre, les murs clairs et je doute s'il reste
Une autre image en mon esprit que celle-là.
Or, rasant le trottoir, un voiturier se presse
Et soudain sonne comme aux jours de ma jeunesse...
Mais non, la vie est toute abolie et les pas
Lointains, quand doucement sont rejetés ces draps.
Entre les murs cette heure est vide - et dénuée
L'âme. Entre les miroirs, à travers la buée,
De la chambre, le mur s'élève, blanc, pareil:
Je ne vis que pour être heureuse à mon réveil.
Fin
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