Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Gilbert Mauge 1er juin 1939

1er juin 1939

 

Elle veut que le doux paysage

 

Elle veut que le doux paysage l'apaise,

Qu'en regardant pâlir le ciel son coeur se taise

Et que la douleur triste acceptée en son corps

Soit pareille à des pas vers Dieu faits sans efforts.

Au fond de la terrasse, obsédante sans trêve,

L'ancienne maison des malades s'élève.

Un sombre et cher dormeur sous les verts contrevents

Y joue avec l'image absurde des vivants. 

O toi qui clos les yeux et crains que tu ne plonges

Dans la mort au moment que tu cèdes aux songes,

Ignore en ton sommeil l'acte humble, obéissant,

Par lequel cette femme à son destin consent;

A ton réveil, revois précis et plein de charmes

Le grand jardin que vous aimiez jusques aux larmes,

Les êtres alentour calmement allongés

Crois que le parc ni ces gens-là ne sont changés

Ou bien si tu pressens quelque offrande indicible

N'interroge personne, ô dormeur trop sensible...

 

 

 

Voyageuse funèbre

 

J'ai roulé dans la nuit conduite par un mort

Vers toi. j'ai vu, se reflétant à la fenêtre,

La longue main d'argent crispée en son effort

Et sur le pays noir le front pâle d'un être

Géant qui regardait les monts. Pareille à lui

- Spectre peut-être aussi de l'au-delà - j'ai fui

Sans souffle dans sa course et, guetteur immobile

Du fleuve, des maisons jaunâtres de la ville,

Je traînais, ignorant l'acte qui les changea

La suite de mes jours froide, inerte déjà.

Nous frôlions le ciel bas de la plaine brillante

Ou bien, par le val sombre, à demi-consciente

-Voyageuse funèbre en sa mysticité -

J'avançais vers l'étoile en quittant la cité...

Et, sans mémoire, au fond de cet obscur passage

Tristement je fuyais vers le plus cher visage.

 

 

 

Le thé

 

Elle verse le thé, sourit avant de boire:

Tu ne verras ce geste un jour qu'en ta mémoire.

Ce rire, ce regard, ce mouvement des bras

Préparent un passé dans lequel tu vivras,

Car tu n'as cru qu'aux morts, aux choses disparues...

Le gris dessin du toit, des arbres et des rues

Tout le décor - longtemps après qu'il nous surprit

Tu le perçois au plus profond de ton esprit,

Comme si par l'éclat de quelque étoile éteinte

Ta vie antérieure était doucement peinte.

Ainsi, les ciels défaits, la voix d'obscurs passants

Peuvent reprendre en toi formes, couleurs, accents

- Et cette femme assise à la table légère

Qui, pensive épia la salle passagère,

Touche au petit miroir le fragile contour

Qui, vers toi seul, fera secrètement retour...

 

 

 

Entendre auprès de toi...

 

Entendre auprès de toi parler d'un philosophe

Réciter Spinoza, détacher une strophe

Du lourd chant nietzschéen, peut-être évoquer Kant

Penseur grave plus fou que le poète et quand

il fait nuit, que les mots, les systèmes nous lassent

Descendre vers la rue, être des gens qui passent...

 

 

 

Ils auront ajouté

 

Ils auront ajouté les palais, les statues

Les jardins somptueux, les villes abattues

Tous les chants, tous les dieux et ce jour, ce beau jour

Ils l'ajoutent encore à quelque pauvre amour.

Qu'ils y joignent aussi le remords et le doute

L'ancien désespoir et l'ennui sur leur route...

 

 

 

Puisque tu dois mourir

 

Puisque tu dois mourir, que dans ton corps déjà

Quelque triste malaise, un soir, le présagea

Nous asseyerons-nous derrière ces fenêtres

Où ton cousin voyait, semblables à des êtres,

Sous l'arbre du jardin fuir les tentations?

Ou, si tu dois mourir - un jour - que nous glissions

Sous ces marronniers-là, qu'une fois je redise

Le plus humble poème où ton amour s'attise.

Viens, nous pourrons chanter aux guêpes de midi,

Passer le fleuve avant que ne soit refroidi

Le bois. descendrons-nous vers la ville aux églises?

 

Non. Touche ces carreaux. Je voudrais que tu lises

Simplement, de ta voix trop basse, un livre noir

Tandis que je m'efforce en ces vitres de voir

Sous les grands arbres nus et purs comme des nombres

A mon tour, là-bas fuir, frémir, mourir nos ombres...

 

 

 

Curieuse des lieux

 

Curieuse des lieux où tu vécus je vois

Seule un jardin fragile au lac gelé, des bois:

Voici qu'il faut ce soir que ce parc m'appartienne,

Que ma pensée, ici,  ne joigne plus la tienne.

Je marche au soleil pâle et touche les buis ronds,

Ces bosquets que jamais nous ne partagerons:

Il est donc un site où, possesseur solitaire

Des arbres et des rocs étranges de la terre

J'avance sur la rive et n'entends point ta voix,

Où ton âme n'atteint rien de ce que je vois,

Et curieux des lieux où je vécus moi-même

Tu ne foules cette herbe et ne sais que je l'aime

Allant, rêvant, l'esprit de la contrainte exempt

Comme l'endroit où mille fois tu m'es présent...

 

 

 

La nuit passe...

 

La nuit passe. On n'entend plus crierni courir.

Dieu, je suis là, déjà rassemblé pour mourir

Ou pour prier -pareillement - car c'est prière

Pendant des jours entiers que les morts semblent faire...

 

 

 

Rencontre

 

Personne n'a compris que je n'aimais pas vivre,

Marcher dans les jardins, voir le printemps, être ivre

Et toi qui vins pour moi sous ces arbres en fruits

Tu connais mal l'enfant désolé que je suis

Et ne sais que j'aspire à ce que rien n'existe.

 

Parfois j'ai cru que tu souffrais quand j'étais triste,

Que ton esprit m'accompagnait en chaque lieu,

Que la nuit tu priais quand je disais mon Dieu

Mais en ce jour de soleil pur, sous ce feuillage

Cependant que je parle avec toi d'un voyage

Je pèse sans espoir les songes que voici

Et j'aime le vent dur qui nous chasse d'ici.

 

Fin du 1er juin 1939

 

 



07/01/2014
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