Grouard, Marie-Laure (1822-1843)
Marie-Laure Grouard
(1822-1843)
Marie-Laure : essais en prose et en poésies,
notice biographique par Banville et lettres diverses (Chateaubriand, janin, Sainte-Beuve, Desbordes-Valmore et Amable Tastu
Plusieurs de ces poèmes ont été écrits à l'âge de 17 ou 18 ans
Quand je vais par les champs
Quand je vais par les champs
Rêver mes tristes chants,
En traversant la plaine,
Les faucheurs sur le soir,
Soucieux de me voir
Au pied de la fontaine,
Entre eux se disent: "Tiens,
Connais-tu cette fille?"
Pour troubler leur famille
On dirait que je viens!
Sans amours sur la terre,
Je suis la solitaire
Que jamais nul n'aima;
Ma muse est en délire,
J'écraserai ma lyre
Qui jamais ne charma.
Orbec, août 1840
Poésies (1844)
J'étais là dans le temple
J'étais là dans le temple, assise et recueillie:
Nul ne lut mon penser sur ma lèvre pâlie,
Aucun n'avait un front plus austère que moi,
J'avais l'air de prier, et je rêvais à toi!
Et de ma Bible en vain je couvris mon visage
Toujours devant mes yeux repassa ton image
Et puis les souvenirs venant de toutes part,
Ma mémoire entassait mille rêves épars.
D'abord, c'était l'aveu de ta grave tendresse
Que voulant éloigner je ramenais sans cesse;
Puis c'était ton front pur et ton triste regard
Qui sur moi se fixait, ou restait au hasard;
Et puis l'accent aimé de ta simple parole
Qui rien qu'en souvenir aujourd'hui me console;
Et puis l'accent encor plus chéri de ta voix
Lorsque tu dis m'aimer pour la première fois.
Heureuse et poursuivant ma douce rêverie,
Sans prier j'écoutais toujours ta voix chérie,
Quand j'entendis, hélas! que la foule au dehors
Encombrait le portail! un pénible remords
Se glissa dans mon coeur; car, restant la dernière,
Moi seule de ce lieu je sortis sans prier.
Orbec, août 1840
Chants créoles
Chant I
Moi l'ai cherchée.
Moi mener triste vie
Les jours;
Moi chercher une amie
Toujours.
Moi planter doux ombrage,
Et croire lui parler;
Sur le bord du rivage
Sans cesse l'appeler.
Croire qu'elle vient belle,
L'attendre chaque soir;
Dire: ce n'est pas elle!
Et moi perdre l'espoir.
Puis, errer dans ma case
Les nuits,
Et n'avoir pour extase
Qu'ennuis.
Moi haïr ma cabane,
Et le son de ma voix,
Et la rouge liane
Des bois.
Moi haïr la montagne
Et le bruit de mes pas,
Car moi vis sans compagne,
Hélas!
Chant II
Moi l'ai trouvée.
Plus mener triste vie,
Oh! plus que doux espoir;
Moi trouvé belle amie
Ce soir.
Pour couvrir nos cabanes,
Des feuilles de palmier,
Et vite des bananes,
Et des fruits d'amandier!
Des mauves demi-closes
Des tulipes, des fleurs,
Des jasmins et des roses,
Et de douces senteurs!
Moi puiser de l'eau pure
Dans le creux du rocher;
Et pour elle chercher
Quelque grenade mûre
Puis venir tout joyeux,
Auprès d'elle, et lui dire:
Quand toi viens me sourire,
Moi baiser tes beaux yeux.
Pour toi donner ma vie,
Oh! plus que doux espoir,
Moi trouvé belle amie
Ce soir.
Chant III
Je l'ai perdue
Oh! ne l'ai plus revue!
Moi veux quitter ce lieu;
Rivage où l'ai perdue,
Adieu...
Dans ma douleur amère,
N'avais plus que sanglots;
La cherchais sur la terre,
La demandais aux flots...
Moi la trouvais si belle!
Oh! moi, moi l'aimais tant!
Près d'elle
Passais si doux instant.
Mais l'ai perdue amie,
Mes pleurs me font effroi;
Plus douce voix chérie:
Echo méchant, tais-toi.
Tais-toi sur mes alarmes;
Non, non,
Toi ne dis plus mes larmes,
Quand moi voudrais son nom...
Oh! tiens, dans ma patrie,
Sans toi que désespoir...
Viens, viens, veux te revoir,
Marie!
Oh! comme t'aimerai...
T'aimerai plus encore
Que notre belle aurore,
Et toujours te dirai...
Mais ne l'ai plus revue,
Moi veux quitter ce lieu...
Rivage où l'ai perdue,
Adieu!
On ne le revit plus cherchant sa bien-aimée;
Sa cabane aux enfants inspirait des terreurs,
Et l'on ne put jamais répondre aux voyageurs
Qui demandaient pourquoi la case était fermée.
Février 1840
Chanson
J'ai tué la douce hirondelle,
La douce hirondelle des toits;
Elle passait près du grand bois,
J'ai lancé ma flèche sur elle;
Mais cela m'a porté malheur,
Et ma flèche a blessé mon coeur.
Sue le chaume de ma cabane
L'hirondelle ne revient pas;
Craignant qu'au bruit de mes pas,
Loin de ma chaumière elle ;plane;
Mais cela m'a porté malheur,
Et ma flèche a blessé mon coeur.
Marguerite, ô mon infidèle,
Tu fuis mon regard et ma voix;
J'ai tué l'oiseau de nos toits,
J'ai tué la douce hirondelle;
Mais ela m'a porté malheur,
Et ma flèche a blessé mon coeur.
Sonnet
A M. L. Ulback.
Vous m'avez dit un jour: Jeune fille poëte,
Ne chantez point votre âme et cachez votre coeur;
La femme, parmi nous, doit demeurer muette,
Renier ses amours et garder sa douleur.
Et moi je vous réponds: Dites à la tempête,
Aux grands vents, aux grands flots d'étouffer leur fureur;
Faites taire au vallon l'écho fort qui répète
Ou le cri de souffrance ou le cri du bonheur;
Dites au rossignol, sous la grande ramée,
Que son accent fait peine à votre âme alarmée...
Qu'il se taise toujours... Défendez au reclus
D'invoquer l'espérance et la liberté sainte;
Faites taire tout bruit, tout chant et toute plainte:
Quand tout sera muet, je ne chanterai plus.
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