Guérin (Eugénie de)(1805-1848)
Eugénie de Guérin
(1805-1848)
Soeur ainée de Maurice de Guérin
- Journal et fragments (Gallica)
- Récit de son exhumation en vue d’une éventuelle béatification, par Jeanne de Guérin (1867)
Ma Lyre
Aux flots revient le navire,
La colombe à ses amours ;
À toi je reviens, ma lyre,
À toi je reviens toujours ;
Dieu, de qui tu viens sans doute,
Te fit la voix de mon coeur,
Et je lui chante, en ma route,
Comme l’oiseau voyageur.
Je compose mon cantique
Du simple chant des hameaux ;
Je recueille la musique
Qu’en passant font les ruisseaux ;
J’écoute le bruit qui tombe
Avec le jour dans les bois,
Le soupir de la colombe,
Et le tonnerre aux cent voix.
J’écoute, quand il s’éveille,
Ce qu’au berceau dit l’enfant,
Ce qu’aux roses dit l’abeille,
Ce qu’aux genêts dit le vent.
J’écoute dans les églises
Ce que l’orgue chante à Dieu,
Quand les vierges sont assises
À la table du saint lieu.
Âmes du ciel amoureuses,
J’écoute aussi vos désirs,
Et prends des hymnes pieuses
Dans chacun de vos soupirs.
Baiser d’enfant
Que ne puis-je accourir, enfant, quand tu m’appelles ;
Quand tu me dis : « Je t’aime et te veux caresser »,
Et que tes petits bras, comme deux blanches ailes,
S’ouvrent pour m’embrasser !
De blancs agneaux que j’ai me caressent souvent.
Une colombe aussi sur ma lèvre se joue ;
Mais lorsque je reçois le baiser d’un enfant,
Il me semble qu’un lis s’est penché sur ma joue,
Que j’ai tout le visage embaumé d’innocence,
Que tout mon être enfin devient suave et pur.
Ineffable plaisir, céleste jouissance !
Que n’ai-je tes baisers, enfant aux yeux d’azur !
L’Ange joujou
Il est des esprits puissants
Qui dirigent les planètes,
Qui font voler les tempêtes
Et s’allumer les volcans,
Qui règnent sur l’air et l’onde,
Qui creusent le lit des mers,
Qui règlent le cours du monde
Et prennent soin des déserts,
Qui sèment l’or et le sable,
Lis et roses dans les champs ;
Et dans le nombre innombrable
De ces esprits bienfaisants,
Il est un ange adorable
Que Dieu fit pour les enfants,
Un ange à l’aile vermeille,
Une céleste merveille.
Du paradis le bijou,
Le petit ange Joujou,
De l’ange gardien le frère ;
Mais l’un guide l’âme aux cieux
Et l’autre enchante la terre
Et ne préside qu’aux jeux.
Il inventa la poupée,
Tant d’objets d’amusement
Dont l’enfance est occupée,
Qui portent un nom charmant.
Avant l’aurore il se lève ;
Riant il s’en vint du ciel
Dans l’éden jouer près d’Ève
Avec le petit Abel.
Il fait les boutons de rose,
Les colliers de perle et d’or,
Les colibris qu’il dépose
Dans les fleurs du Labrador.
Il n’est merveilleuse chose
Qu’il n’ait faite ou fasse encor ;
Soufflant sur l’eau savonneuse,
Grâce à ses enchantements
Brille un palais de diamants
À rendre une reine heureuse ;
Il fait le baume et le miel ;
De son souffle naît la brise ;
Il a planté le cytise
Et dessiné l’arc-en-ciel.
Passant du Gange en Norvège,
Il se mêle au beau cortège
Des cygnes éblouissants,
Et sème avec ses doigts blancs
Les jolis flocons de neige
Pour amuser les enfants :
Et ces concerts des campagnes,
Cette musique des bois
Qui charme vals et montagnes,
De notre ange c’est la voix.
Ah ! que cet ange nous aime
Et que ses pouvoirs sont beaux,
Pouvoirs qu’il tient de Dieu même !
Il veille au nid des oiseaux ;
Il leur porte du ciel même
Leur vêtement radieux
Et deux perles pour leurs yeux.
Il est de toutes nos fêtes ;
Il tient pour nous toujours prêtes
Des coupes sans aucun fiel,
Et, grâce enfin à ses charmes,
On dit que toutes nos larmes
Ne sont que gouttes de miel.
Puis, quand les dernières heures
Sonnent aux pieux enfants,
On les retrouve aux demeures
Où sont les saints innocents,
Jouant avec leur couronne
Et leurs palmes de martyrs,
Bénissant Dieu qui leur donne
Tout le ciel pour leurs plaisirs.
Tiré de "Journal et fragments" (1865)
Poèmes et extraits datés des années 1835 à 1841
et notés sur un cahier
Darius Milhaud : D'un cahier inédit d'Eugénie de Guérin (1915)
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