Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Guillet (Jeanne) 1917

 Jeanne Guillet

Offrande

(Poèmes publiés dans le Mercure de France du 1er juillet 1917

 

I

(Mes soeurs,...)

 

Mes soeurs, voici le soir, laissons là nos fuseaux.
Le soleil, comme un roi détrôné qui s’exile,
abandonne sa pourpre aux robes d’or des îles
et quitte lentement la terrasse des eaux.

Dans les vergers emplis des ramages d’oiseaux,
pour cueillir l’oranger et la neige fragile
des cerisiers, aux troncs lisses, les plus agiles,
montez. Et vous, coupez des joncs et des roseaux.

Puis, tandis que nos doigts tresseront des corbeilles,
dévastez les jardins que le printemps fleurit;
qu’au retour du soleil, les divines abeilles

se demandent quel vent automnal a flétri
les fleurs au doux nectar, les fleurs énamourées
des baisers apportés par leurs ailes dorées.

 

Mercure de France, 1 juillet 1917

 

 


II

(Des Fleurs, des Fleurs,...)

Des fleurs, des fleurs,
toutes les fleurs écloses,
mes soeurs,
cueillez les roses,
les jasmins, les violettes, cueillez
la verveine et l’oeillet,
et les genêts des collines.
Cueillez les grappes opalines
des robiniers et des glycines,
et ces papillons violets
qui décorent de chapelets
fleuris les murs de nos villas;
n’oubliez pas le fenouil bavard et la sauge triste,
et, dans le bois, le ciste,
dont le parfum persiste
au coeur, comme un regret...
Cueillez la grâce virginale
et les mille chansons coquettes du muguet,
l’émail glacé des pétales
du bégognia,
et le vertige exquis des fleurs de magnolia.
Cueillez ces daturas de sommeil et de rêve,
ces calices profonds où les insectes bleus
s’en vont mourir au soir de leurs courses trop brèves
dans un dernier frisson voluptueux.

______________________________________

Comme une lame d’acier fin,
la lune s’incruste en l’écrin
du ciel mat,
et sa lumière tisse
des mousselines d’incarnat
aux calices, puis s’accroche
en guirlandes de soie floche
au brouillard d’or des mimosas.

Oh! les belles, les souples branches!
qu’alourdissent des pierreries
irréelles, joyaux de féerie,
cascades de gemmes glauques,
croulant en avalanches
calmes, longues palmes,
où passe, par instant, la voix rauque
du vent.

Hâtez-vous, hâtez-vous, mes soeurs!
Que s’entassent, des jardins aux terrasses,
vos fleurs!
Fleurs épanouies, au vent du soir évanouies,
calices à demi fanés,
et boutons nouveau-nés,
des fleurs, des fleurs, des fleurs!...

 

 

III

(Voici la nuit)

Voici la nuit, me soeurs! Aux vitres, les lumières

s’éveillent une à une en reflets tamisés
de cretonne ou de soie. Allons au cimetière,
sur la colline aux vieux créneaux fleurdelysés.

Les murs y sont encor percés de meurtrières,
d’où l’euphorbe jaillit, au lierre entrecroisé,
et parmi le feuillage, au bord des fondrières,
le clair de lune dort sur des marbres brisés.

Sur les tombes, mes soeurs, éparpillez vos gerbes,
puis levez vos bras nus, et dispersez au vent
les plus douces, afin qu’un peu d’apaisement,

à travers l’humble toit et le dôme superbe,
tombe avec les lilas, les lauriers et les buis,
sur toute la douleur qui veille dans la nuit.

 

 

IV

(Soldats, Héros,...)

Soldats, héros, à vous, cette moisson d’Avril,
à vous, ô morts bénis, ces vierges aubépines,
la gloire des corolles et l’or des étamines
et le pollen fécond tombant sur les pistils!

A vous, mes préférés, puisqu’en double péril,
tous ceux qu’un sort cruel et glorieux destine
à réveiller un jour l’écho de Salamine,
et qui mourrez deux fois, sur la terre d’exil,

de n’espérer jamais que sur vos mausolées
viendront pleurer, un jour, vos épouses voilées,
et rafraîchir le sol aride où vous dormez.

A vous, humbles martyrs, ravagés par la fièvre,
à vous qui, nuit et jour, vous penchez sur leurs lèvres:
Je vous offre ces fleurs, mes frères bien-aimés.

V

(Ma France,...)

Ma France, sur l’autel où vos deux mains clouées
vont proclamer, au seuil d’un avenir brumeux,
les étoiles de sang de  leurs paumes trouées,
je ne déposerai ni des exploits fameux,

ni d’antiques vertus, par l’histoire louées,
car mes jours sont unis en un rite pieux.
A mon devoir obscur, je resterai vouée;
mais, je voudrais, du moins, ne pouvant offrir mieux,

- puisque le sang, la mort, sont la seule monnaie,
joints à notre douleur, avec laquelle on paie
l’intégrité d’un sol dont nous sommes jaloux -

fidèle à ma tâche, mourir... mourir sans gloire,
mais heureuse d’avoir eu ma part de victoire,
et n’ayant rien aimé, ma France, autant que vous.

 

 



14/03/2014
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