Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Harel (Rose) 1826-1885

 

Rose Harel

1826-1885

 

(tisserande puis servante)

 

 

Consulter l'article de Marie de Besneray, daté de 1902

ou http://vimoutiers.net/rh/ 

ou  Raymond Bazin (1903)

(Bibliothèque électronique de Lisieux)

et surtout Heraldie.blogspot qui présnte un volumineux dossier sur la poétesse.

 

- L’alouette aux blés, 1863

- Fleurs d'automne, 1885

- Plusieurs mélodies de Benjamin Godard sur des poèmes de Rose Harel (Le printemps, Fleur du vallon, La marguerite, L'Amour, Pauvre bouton...  (cf imslp: choisir complete score)

 

 

   J'ai été touché par les poésies de Rose Harel, la servante "qui faisait des vers et laissait brûler ses sauces.". Souvenons-nous d'"Un coeur simple" de Flaubert et de "la servante au grand coeur" de Baudelaire. La poésie, naïve et si authentique, de Rose Harel laisse entrevoir, au-delà de son idéalisme, ce que l'on soupçonnait : les souffrances, les tempêtes et parfois les colères de ces existences apparemment sans relief et sans histoires.


 

 

Fleur du vallon

 

Dans le creux d'un vallon une fleur délaissée,

Au souffle d'un zéphyr qui s'en vint à passer,

Surprise tout à coup, doucement caressée,

D'épanouir pour lui crut devoir s'empresser;

Mais l'ingrat s'éloigna dès qu'il leut fait éclore:

Vers ses brillantes soeurs, infidèle, il courut...

Elle, attendit en vain; et, quand revint l'aurore,

L'humble fleur se pencha, se fana, puis mourut.

 


 

Elle et moi

 

Il est midi, coquette Laure;

Sur ton sopha blanc et soyeux

Repose-toi, ferme les yeux,

Pour les rouvrir plus beaux encore.

Fuis! ton front deviendrait vermeil;

Un rayon d'or perce la nue...

Vois, comme une pêche velue,

Mon teint se rougit au soleil.

 

Du matin au soir je travaille

En mon logis et dans les champs:

Je lave le linge aux étangs,

Aux boeufs je porte de la paille;

 

Toi, la fraîche fleur des salons,

Dont la beauté rend envieuse,

Laure, je te crois moins heureuse

Que moi dans les prés, les sillons.

 

Les accords de vos plus grands maîtres

Aux bals si brillants de la cour

Appellent le plaisir, l'amour,

Bien moins que nos flûtes champêtres;

Pour vous un jour artificiel

Descend d'un plafond de dorure,

Quand nous, enfants de la nature,

Nous dansons sous le dais du ciel.

 

Quand tu parais éblouissante

Et de beauté, d'or et de fleurs

Dans un cercle d'adorateurs,

Es-tu, dis-moi, toujours contente?

Ton fiancé t'aime-t-il mieux

Avec ta plus riche toilette,

Que ne m'aime, sous ma cornette,

Bastien, mon gentil amoureux?

 

Lorsque viendra ton hyménée

Que de bruit, de luxe imposant!

Sera-ce un coeur, sera-ce un rang

Qui fixera ta destinée?

Pour moi, lorque ce jour luira

La jeunesse de ce village

Dira:"Fêtons un mariage

Que Dieu bénit, qu'amour forma..."

 

 


 Silence

 

Taisez-vous donc, femme poète,

Taisez vos accents indiscrets;

Votre lyre, dit-on, répète

Jusquà vos intimes secrets.

 

Parmi vos vers qu'il analyse,

Le monde trouve un sens caché,

Et lorsque votre coeur, qu'il brise,

Saigne enfin, son but est touché.

 

- Qui donc à cette femme inspire

Ces vers, brûlant d'une tendre émoi?

Un fat sourit...et son sourire

Au monde a répondu: "C'est moi!"

 

Lit-on de vous une élégie

Qui met des larmes dans les yeux,

On se dit: "Voilà de sa vie

Un épisode malheureux!

 

"Et cette flèche retrempée

Contre les hommes et l'amour,

Prouve qu'elle aimait, fut trompée

Et qu'elle se venge à son tour!"

 

A nul beau sentiment de l'âme

Vous ne pouvez, hélas! rêver,

Sans qu'on ne dise, pauvre femme,

Que vous venez de l'éprouver.

 

Si du temple de la science

Parfois vous approchez le seuil,

Haut on vous loue, on vous encense...

Bas on vous accuse d'orgueil.

 

Taisez-vous, ou craignez le monde:

Le monde troublerait vos jours

Comme l'orage trouble une onde

Calme et paisible dans son cours. 

 

Il vous ravirait - c'est infâme -

L'honneur, l'espoir et plus encor:

La foi, ce doux soutien de l'âme;

Mais il vous laisserait la mort!...

 


Poésie

 

Je préfère à l'amour la douce poésie

Qui me berce d'un souvenir,

Ses chants harmonieux, sa calme rêverie,

A cette ardeur qui fait mourir

 


Ce n'est pas flatteur pour les femmes

 

A M. G. Jourdain

 

 Ce n'est pas flatteur pour les femmes

De se voir préferer ton chien;

Mais, insensé, pourrais-tu bien

Dire en quoi, de quoi tu les blâmes?

 

J'entends; moins douce que Médor,

Quelque femme, par toi blessée,

Fière, se sera redressée

Et t'aura reproché ton tort.

 

Ton chien, humble et servile bête

A lécher ta main toujours prête,

Subit ton caprice en pleurant;

 

De douleur plus qu'à demi morte,

La femme est encore assez forte

Pour briser les fers d'un tyran!...

 


 

Nisida

 

Détourne de moi ton oeil vert,

Où rutile un rayon d'enfer;

Détourne de moi ton sourire

Qui mettrait un saint en délire;

Détourne de moi ton oeil vert.

 

Cache ta chevelure fauve

Qui de ta résille se sauve,

Ainsi qu'un serpent, sur ton cou.

Nisida, j'en deviendrai fou;

Cache ta chevelure fauve.

 

Et tais-ta voix, terrible femme,

Ta voix qui sait aller à l'âme,

Qui fait trembler, qui fait pâlir

Qui fait rester quand on veut fuir;

Et tais ta voix, terrible femme.

 

Cache de pied leste et mignon

Qui rendrait des points au démon:

Dans tes courses aériennes,

Lorsque tu traverses les plaines,

Cache ce pied mignon.

 

Tu n'es pas belle, Nisida;

Mais, hélas! Satan t'accorda

Ce charme épouvantable, étrange,

Qui tient du démon et de l'ange;

Tu n'es pas belle, Nisida.

 

Et je te hais ou je t'adore,

Lequel? je n'en sais rien encore!

Femme, quand il s'agit de toi

Tout sort de la commune loi;

Oui, je te hais ou je t'adore!

 


 

(Acceptez-le)

 

Acceptez-le, je vous supplie,

Ce livre, où j'ai mis tout mon coeur;

Ce livre, dont par la douleur

La plus large est remplie...

Puisqu'un seul feuillet dit: Bonheur!

Acceptez-le, je vous supplie...

 







( Avec trois cents écus de rente)

 

Avec trois cents écus de rente

 

Je sais bien ce que je ferais :
Sur la rive d'une eau courante
Ma chaumière je bâtirais.

Pour moi, ce serait la richesse

 

Et, de tout souci libre enfin,
J'y reposerais ma vieillesse :
Calme, j'en attendrais la fin.

Là, mes amis trouveraient place

 

Au soleil, à l'ombre, au foyer,
Sur le banc rustique où s'enlace
Le chèvrefeuille au marronnier,

Pour dormir, ils auraient encore

 

La chambre blanche où grimperait
A la fenêtre, au lieu de store,
Un rosier qui l'ombragerait.

A qui souffre et meurt en silence,

 

Sans appel à la charité,
Je donnerais soins, assistance,
Sans jamais blesser sa fierté.

Je voudrais aussi, tant que dure

 

L'hiver qui givre nos carreaux,
Sur mon seuil donner la pâture,
Chaque jour, aux petits oiseaux.

L'être faible qui souffre ou pleure,

 

L'enfant, l'oiseau, le vieillard, tous
Auraient dans mon humble demeure
Du feu, du pain ou quelques sous.

Enfin, je pourrais, faisant trève

 

Au travail de tous les instants,
Réaliser mon plus doux rêve,
Pas à pas suivre le printemps ;

Voir le réveil des primevères,

 

Ecouter le bruit des ruisseaux,
Les voix sauvages des bruyères,
Et le vent parler aux roseaux.

Souvent je dirais à la muse :

 

Allons-nous-en dans les grands bois ;
Sur mes jours, dont la trame s'use,
Répands ton charme d'autrefois.

Viens m'apprendre de chaque chose

 

Le sens caché, si loin du mot.
Cherchons, du parfum de la rose
A l'amère senteur du flot ;

Cherchons, des germes à l'atôme,

 

Du tout petit papillon bleu
Aux astres du céleste dôme :
Viens m'éclairer l'oeuvre de Dieu !

Sous le peuplier, sous le tremble,

 

Furtive, je me glisserais
Au moment où la feuille tremble,
Pour voir si je devinerais

Ce que d'une lèvre si prompte

 

Aux vents, aux cieux, à l'infini,
Le jour, la nuit, elle raconte
Sur ce pauvre monde puni.

Peut-être des âmes fidèles,

 

Cherchant ceux qu'elles ont aimés,
Du rameau que frôle leurs ailes
Font naître ces bruits innommés

Qui le soir, quand on les écoute,

 

Semblent un immense soupir,
Ou le sanglot frayant la route
D'une voix qui s'en va gémir.

Ou bien, c'est un murmure à peine,

 

Un chuchotement, un baiser,
Le Sursaut d'un coeur qu'on enchaîne
Mystérieux et doux causer...

Avec trois cents écus de rente,

 

Oui, voilà comment je vivrais...
Mais n'ayant rien, je me contente
De rêver ce que je ferais !"

 

 

 

 

 

 

 

 



14/12/2011
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 157 autres membres