Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Hébert (Anne) 1916-2000

Anne Hébert

1916-2000


 

 

Les poèmes qui suivent ont été publiés dans l'Anthologie de Jeanine Moulin

 

 

 

Les grandes fontaines

 

N'allons pas en ces bois profonds

A cause des grandes fontaines

Qui dorment au fond.

 

N'éveillons pas les grandes fontaines

Un faux sommeil clôt leurs paupières salées

Aucun rêve n'y invente de floraisons

Sous-marines et blanches et rares.

 

Les jours alentour

Et les arbres longs et chantants

N'y plongent aucune image.

 

L'eau de ces bois sombres

Est si pure et si uniquement fluide

Et consacrée en cet écoulement de source

Vocation marine où je me mire.

 

O larmes à l'intérieur de moi

Au creux de cet espace grave

Où veillent les droits piliers

De ma patience ancienne

Pour vous garder

Solitude éternelle solitude de l'eau.

 

 

 

Il y a certainement quelqu'un

 

Il y a certainement quelqu'un

Qui m'a tuée

Puis s'en est allé

Sur la pointe des pieds

Sans rompre sa danse parfaite.

 

A oublié de me coucher

M'a laissée debout

Toute liée

Sur le chemin

Le coeur dans son coffret ancien

Les prunelles pareilles

A leur plus pure image d'eau

 

A oublié d'effacer la beauté du monde

Autour de moi

A oublié de fermer mes yeux avides

Et permis leur passion perdue

 

 

 

 Un bruit de soie

 

Un bruit de soie plus lisse que le vent

Paysage de la lumière sur un paysage d'eau.

 

L'éclat de midi efface la forme devant moi

Tu trembles et luis comme un miroir

T m'offres le soleil à boire

A même ton visage absent.

 

Trop de lumière empêche de voir;

                      l'un et l'autre torche blanche,

                                        grand vide de midi

Se chercher à travers le feu et l'eau

                                            fumée

 

Les espèces du monde sont réduites à deux

Ni bêtes ni fleurs ni nuages.

Sous les cils une lueur de braise chante à tue-tête.

 

Nos bras étendus nous précèdent de deux pas

Serviteurs avides et étonnés

En cette dense forêt de la chaleur déployée.

Lente traversée.

 

Aveugle je reconnais sous mon ongle

            la pure colonne de ton coeur dressé

Sa douceur que j'invente pour dormir

Je l'imagine si juste que je défaille.

 

Mes mains écartent le jour comme un rideau

L'ombre d'un seul arbre étale la nuit à nos pieds

Et découvre cette calme immobile distance

Entre tes doigts de sable et mes paumes toutes fleuries.

 

Les tombeaux des rois, 1953

 

 

 

Neige

 

La neige nous met en rêve sur de vastes plaines, sans traces ni couleur

 

Veille mon coeur, la neige nous met en selle sur des coursiers d'écume

 

Sonne l'enfance couronnée, la neige nous sacre en haute mer, plein songe, toutes voiles dehors

 

La neige nous met en magie, blancheur étale, plumes gonflée où perce l'oeil rouge de cet oiseau

 

Mon coeur: trait de feu sous des palmes de gel file le sang qui s'émerveille.

 

Poèmes, 1960



03/04/2012
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