Houdetot (Sophie) 1730-1813
Sophie d'Houdetot
1730-1813
Poésies insérées dans l'édition de 1883 des oeuvres de Robert de Crèvecoeur, son amant.
Poèmes de circonstance, tellement éloignés du sérieux qui a aujourd'hui investi le devoir de provocation qui caractérise l'art officiel contemporain. On peut en apprécier l'immoralité tranquille. On peut aussi regretter ce 18ème siècle où la poésie est moins un art qu'un ART DE VIVRE et en ce qui concerne Mme d'Houdetot... de bien vieillir. Rafraîchissant!
Remarques de l'éditeur:
"Les vers de la comtesse sont disséminés dans tant de recueils et de mémoires qu'il est difficile de les retrouver tous, et il eût été nécessaire, pour arriver à un résultat un peu certain, de faire remonter nos investigations à une époque bien antérieure à celle qui nous occupait..."
Mme d'Houetot a donc déjà un certain âge lorsqu'elle écrit les poèmes qui suivent
Sur la mélancolie
L'effet de la douleur n'est pas toujours terrible,
Et l'âme peut jouir en s'y trouvant sensible.
Souvent un mouvement doux, tendre, intéressant,
Se change en volupté dans l'âme qui la sent.
Charme des tendres coeurs, douce mélancolie,
Tu consoles des maux qui poursuivent la vie;
Ton charme attendrissant se mêle à nos douleurs,
Et tu nous fais jouir même de nos malheurs.
Pour un jeune homme
A qui une jeune femme avait écrit sous le nom d'une vieille.
Du bon Robert vous connaissez l'histoire:
Ferme en amour et jamais rebuté,
Vous le savez, il servit avec gloire
Et la vieillesse et la difformité.
Des chevaliers en tous sens le modèle,
Soumis au sexe et toujours amoureux,
Il obéit, il fut heureux,
Et la beauté récompensa son zèle.
Ne pourrai-je espérer un jour
Le prix de son obéissance?
J'ai comme lui servi l'Amour;
N'aurai-je pas sa récompense?
"Laharpe, qui à force de lui avoir entendu répéter son poème sur la machine de Marly, osa sans la consulter le faire imprimer dans le Mercure, est le seul ami auquel d, de mon temps, elle fit défendre sa porte." (Note de Crèvecoeur)
Sur la machine de Marly
Cet appareil de fer et ces grands mouvements,
Ces efforts redoublés et ces gémissements
Offrent partout aux sens la nature offensée;
Elle semble gémir d'avoir été forcée
Et, cédant à regret aux entraves de l'art,
Aux caprices des rois se plaint d'avoir eu part.
Oh! que j'aime bien mieux la modeste fontaine
Qui, dans ces prés fleuris, s'enfuit au pied d'un chêne
Et qui, formant le cours d'un modeste ruisseau,
Arrose des gazons aussi frais que son eau!
A Mademoiselle Prévost
En lui envoyant un chat.
Belle Eglé, vous aimez les chats;
On les accuse d'être ingrats;
Avec beaucoup d'esprit, ils ont l'humeur l'égère,
Très volage et fort peu sincère.
Mais des gens avec qui l'on vit
L'on prend beaucoup, à ce qu'on dit.
Aimable Eglé, s'il peut vous plaire,
Ce chat auprès de vous gardera son esprit,
Et changera son caractère.
Mme la baronne de B. avait perdu sa mère et une fille unique la même année. Il lui restait un portrait de sa mère peint par sa fille. Elle pria Mme la comtesse d'Houdetot de lui faire des vers pour mettre au bas de ce portrait.
Vers pour un portrait.
Je vivais pour les adorer;
Près de cette image si chère,
Ouvrage de ma fille et portrait de ma mère,
Je vis encor pour les pleurer.
Monument cher à ma tendresse,
De deux objets que j'ai perdus
Vous entretenez ma tristesse;
Mais vous me tenez lieu d'un bonheur qui n'est plus.
A Monsieur de Tressan
qui habitait Franconville.
Pour plaindre les arbres en fleur surpris par une gelée d'avril.
Au coloris brillant de Flore
Un rouge noir a succédé;
Dans nos vergers, chacun déplore
La tendre fleur qui vient d'éclore.
Notre malheur est décidé.
Pangloss, viens dans cette vallée,
Où l'on entendait ce matin
Chaque famille désolée
Se plaindre de la destinée
Et donner raison à Martin.
(Oh! le bon temps que la vieillesse!)
Oh! le bon temps que la vieillesse!
Ce qui fut plaisir est tristesse,
Ce qui fut rond devient pointu;
L'esprit même est cogne-fétu.
On entend mal, on n'y voit guère,
On a cent moyens de déplaire;
Ce qui charma nous semble laid.
On voit le monde comme il est.
Qui vous chercha vous abandonne;
Le bon sens, la froide vertu
Chez vous n'attirent plus personne;
On se plaint d'avoir trop vécu.
Mais, dans ma retraite profonde,
Qu'un seul ami me reste au monde,
Je croirai n'avoir rien perdu!
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