Houville (Gérard) 1875-1963
Gérard d'Houville
(Marie de Régnier)
(Marie de Hérédia, fille de José-Maria de Hérédia et femme d'Henri de Régnier)
1875-1963
La prière
Pareille aux formes que l’on voit sur les verrières,
Les mains étroitement rejointes, la Prière,
Longue et haute, plongeur inverse, pur élan
D’esprit insexué vers ce gouffre de grâce,
L’élément violet de son nouvel espace
Où déjà sa ferveur la soutient en tremblant,
Hésite, monte, souffre, en l’ombre d’améthyste ;
Elle s’égare et pleure, inconsolable et triste,
Car l’ange encore humain ne connaît pas son ciel...
Quand, perdu dans l’espoir des choses étoilées,
Soudain, s’ouvrent en lui des puissances ailées,
Qui divisent son être, et le font immortel.
Marie de HÉRÉDIA, Les poésies de Gérard d’Houville, 1931.
L'ombre
Au seuil noir de l'oubli, souterraine exilée.
Seule avec mon miroir familier, j'y revois
Le prestige lointain de ma vie écoulée ;
Nul écho dans le vent ne me redit ma voix.
Le rameur qui m'a pris l'obole du passage
Et qui jamais ne parle aux ombres qu'il conduit,
Me laissa ce miroir aimé de mon visage ;
Je ne suis pas entrée entière dans la nuit.
Mon front encor fleuri par ma mort printanière
Sur l'immobile flot se pencha, triste et doux ;
Mais nulle forme pâle, image coutumière.
Ne troubla l'eau sans plis, sans moire et sans remous.
Les cygnes loin des flots où sombre la mémoire.
Les cygnes léthéens ont fui, vols oubliés.
Las d'avoir si longtemps cherché dans l'onde noire
Le flexible reflet de leurs cols repliés.
Pâles sœurs ! petites âmes fugitives,
Ne tendez pas les bras vers les flots oublieux,
Détournez- vous du fleuve aux ténébreuses rives;
Vos yeux toujours en vain y chercheraient vos yeux.
Mes sœurs, ne brisez pas aux roches de la grève
Les fidèles miroirs amis de vos destins ;
De ce qui vous fut doux gardez encor le rêve
Et de vos sorts divers les reflets incertains.
Restez auprès de moi qui vous suis fraternelle,
De moi qui fus vivante et déjà m'en souviens
Et qui pourtant heureuse et par l'amour plus belle,
Hélas ! craignis d'errer sur les bords stygiens.
J'ai connu le frisson de l'aile irrésistible
Et le grand vol obscur s'est fermé sur mon front,
Je sais la route aveugle et l'empreinte invisible ;
Vous y venez vers moi et d'autres y viendront.
Le sable noir n'est pas foulé par vos pieds d'ombre.
Car nul pas ne se grave au sable du Léthé.
Venez vers la Songeuse ou puisez l'oubli sombre
Aux taciturnes flots qui n'ont rien reflété.
Ciel nocturne
Vos invisibles mains, ô Fileuses de l'Ombre,
Des voiles constellés entremêlent sans bruit
Les fils étincelants, et tournent dans l'air sombre
Les funèbres fuseaux des rouets de la Nuit,
Dans la trame éclatante où palpitent les astres,
Ensevelissez les destins mystérieux,
D'héroïques espoirs et d'orgueilleux désastres
Ou la cendre d'un songe à jamais glorieux.
Mais pour le mal secret d'une âme tendre et fière
Et pour l'obscur tourment dont soufire un cœur troublé.
Silencieuses sœurs douces à ma prière.
N'ourdissez pas les fils du suaire étoile.
Fileuses, attendez que la lune illumine
Le ciel pur du reflet de sa pâle clarté.
Et chargeant vos fuseaux de la lueur divine,
Filez diligemment un linceul argenté.
Afin que la douceur de l'inutile rêve
Repose ensevelie au plus nocturne pli.
Aux rouets ténébreux entremêlez sans trêve
Le rayonnant silence et l'éternel oubli.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 165 autres membres