Hue (Sophie) 1815-1893
Un vieux portrait
C'est un très vieux portrait de jeune fille,
Quelque aïeule sans doute : on ne sait plus son nom ;
Dans un grenier rempli d'épaves de famille,
Hier, on exhuma des fouillis d'un caisson.
Elle est charmante avec sa coiffure poudrée,
Un simple velours noir autour de son cou blanc,
Sa taille longue et mince, étroitement serrée
Sous les noeuds-papillons du corsage collant.
Son chat sur ses genoux, à la main une rose,
Elle s'alanguissait en un demi sommeil ;
Et l'artiste a fixé sa ravissante pose,
Sans avoir attendu le moment du réveil.
Les yeux sont presque clos ; un reflet de pervenche
Glisse à peine au travers de leurs longs cils brunis.
La bouche rit encor : du jeune front qui penche
Les rêves enchantés ne se sont pas ternis.
Comme elle s'abandonne à la molle caresse
De sa grande bergère au lampas du Levant,
Où le temps est si court, si douce la paresse,
Qu'elle doit y venir se câliner souvent.
A ma Bretagne
Viens, ma Bretagne chérie,
Viens te mirer dans mes vers,
Avec ta lande fleurie,
Tes grands sapins toujours verts ;
Tes bruyères, tes silènes,
La neige de tes blés noirs,
L'été blanchissant tes plaines,
Autour de tes vieux manoirs ;
Tes belles filles accortes,
C�urs chastes, fronts rougissants,
Debout sur le seuil des portes,
Disant bonjour aux passants ;
Tes gars têtus et robustes,
Que Paris n'attire pas,
Laboureurs aux larges bustes,
Gais marins, vaillants soldats ;
Tes vieillards, la foi dans l'âme,
Tes matrones d'autrefois,
Qui sur le pain qu'on entame
Font le signe de la croix.
Donne, ma Bretagne antique,
A ces vers de toi remplis
Le charme mélancolique
De tes doux horizons gris,
De tes grèves aux joncs rosés,
Où le vent du gouffre amer
Vient murmurer tant de choses
Dans les rumeurs de la mer.
Mêlés de rayons et d'ombres,
Qu'ils gardent dans leur essor
La fraîcheur de tes bois sombres,
Les parfums de tes fleurs d'or.
Donne-leur la grâce fière
Qu'imprimèrent les aïeux
A la dentelle de pierre
De tes clochers merveilleux.
Sache que pour toi je prie,
Que, sans regret ni désir,
Je t'aurais pour ma patrie
Choisie, en pouvant choisir.
Par Dieu bientôt réclamée,
Je mets mon espoir en toi,
Et pour t'avoir tant aimée,
O ma Bretagne, aime-moi.
Je ne cherche pas la gloire
Des poètes en renom,
Mais un coin dans ta mémoire,
Où demeure écrit mon nom.
La patte de velours
Un loup rusé, le roi des loups,
Et le plus à craindre de tous,
Au besoin patte douce:
On aurait dit velours et mousse.
Un très gentil petit chevreau,
Mécontent du chien du troupeau,
Dont la voix lui semblait sévère,
Parlait au loup dans sa colère.
Le loup disait du mal du chien,
Mêlait flatterie et caresse,
Finement irritait sans cesse
L'ingénu contre son gardien;
Si bien qu'un beau soir dans la plaine
Voyant le chien presque endormi,
Pour s'en aller chez son ami
Au fond de la forêt lointaine,
Le petit chevreau s'échappa
Sire loup lui tendit la patte...
Il l'aimait tant qu'il en soupa.
Notre ami n'est pas qui nous flatte.
L'épine blanche
On me néglige, on me délaisse,
Disait une épine en bouton,
Et, pour chercher sous l'herbe épaisse
Je ne sais quoi de sombre, un avorton,
Qui semble à peine une fleurette.
Qu'a-t-elle, cette violettes,
Pour faire aux gens perdre leur pas ?
Un oiseau qui passait lui répondit tout bas :
- Elle embaume et ne pique pas.
(Anthologie Riom)
Bibliographie
- Les Maternelles (1867)
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