Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Huot (Marie) 1846-1930

 

Marie Huot
 
1846-1930

 
- 1908 : Le Missel de Notre-Dame des Solitudes Paris.
- 1909 : Le mal de vivre
 
 
Les litanies des bêtes
Selon le rituel du Grand-Prêtre Baudelaire

Doux anges, que l'Archange a sous sa dépendance,
Que sur terre entraîna sa sombre déchéance,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, que le vieux Caïn, bourreau des innocences,
Immole à ses faux dieux, ses plaisirs, ses vengeances

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, dont l'instinct est droit et clair comme une lance.
Et qu'un Dieu de bonté fit à sa ressemblance.

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, qui gardez du ciel l'obscure souvenance
Et reflétez son jour dans votre Transparence,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, qui dormez en paix avec la Conscience
Où Bien et Mal ont la même insignifiance.

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, dont l'esprit médite au fond des somnolences
Et prend le large avec les âmes en partance,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, qui sentez dans l'air le Malheur qui s'avance
Et voyez de la Mort l'invisible présence,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Voua, qui savez d'Eros les affres et les transes.
L'enfer de la luxure et le ciel du silence,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, qui nous apprenez le pardon des offenses
Et nous initiez à la reconnaissance.

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, devant qui je suis pleine d'obéissance,
Ainsi qu'une servante, une humble providence.

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, avec qui je suis en tendre confidence,
En adoration et en intelligence,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, en qui je revois mon cher pays d'enfance,
Mes limbes, mon aurore et ma sainte ignorance,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, dont la faim repue est une récompense,
Et dont la sieste met du rêve à ce qu'on pense,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, pour qui j'ai vêtu la toge, pris la lance,
Réveillé, des aïeux la fougue et la vaillance,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, pour qui j'ai rampé, renié mes décences,
Egorgé mes orgueils, fouaillé mes répugnances,

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, pour qui j'ai prié, mains jointes, les Puissances
Et pleuré des minuits sous mes poings d'impuissance.

Chères bêtes, buvez et mangez dans mon cœur !

Vous, pour qui j'ai souffert de la Grande Souffrance
Et devant qui je suis toujours en repentance,

Chères bêtes, buvez et mangez tout mon cœur !

                              Le Missel de Notre-Dame des Solitudes.

 

(dans l'Anthologie Séché)

 

 

 

Pour plus d'infos sur Marie Huot voir le commentaire en lien

 





LA COURSE

I

La cavale hennit dans l'étroite écurie
Et frappe du sabot la paroi de mon cœur :
Sous l'orage, quittons l'infâme hôtellerie,
O bête impatiente ! et partons pour ailleurs.

Hors la turpide loi du valet, lâche et ivre,
Dont le fouet insolent commande la maison.
Nous irons, par delà les choses qu'on peut suivre,
Chercher des infinis, percer des horizons.

Nous nous enfoncerons là-bas, au pays vaste
Où les choses n'ont plus la forme et la couleur,
Où l'explorateur, las, retrouve la nuit chaste
Et le sommeil profond du limbe antérieur.

II

A quoi bon s'attarder, épique et somnambule,
Dans ce bouge rempli de mauvais voyageurs,
A la prouesse du chevalier ridicule
Que blesse le premier son espadon vengeur?...

A quoi bon promener, royal et solitaire,
Sur un visage amer un amour outragé,
Une beauté brûlée et creuse de cratères
Où l'oiseau du baiser ne viendra plus manger...

III

Holà!... voici l'hiver... Frimaire et Pluviôse...
N'attends pas l'angélus et n'attends pas le coq!,..
N'attends pas que le vieux souffleur d'apothéoses
Chasse un vivant cadavre agrippé sur le roc !...

IV

Emporte-moi, Cavale, à fa crinière épaisse;
Je veux fuir avant l'heure et les bras à ton cou ;
Notre fierté n'est pas faite pour les vieillesses,
Mais pour vivre un vertige et pour mourir debout !

En route sous l'éclair, le tonnerre et la flamme.
En route sous le cri des mondes écroulés,
En route sous la joie infernale, ô mon âme !
De tes noirs désespoirs courant échevelés.

En route sous la nuit fumante de décombres.
Sous la gifle du vent, le rire des hibous ;
En route sous les bras appeleurs du bois sombre,
La bénédiction des squelettes debout !

En route sur la barque, immobile et sans voile,
A côté du Pilote impassible et sans yeux;
En route sur la mer, sans rive et sans étoile.
Dont le temps n'a jamais fauché les vastes cieux !

En route sur la nue et la gloire héroïque
Où l'extase a dressé sa croix et son menhir !
En route sur l'Iris ovale et magnifique
Qui cintre le portail du céleste avenir !

VI

O ma Grande! plus vite! encor, encor plus vite!...
Ne laisse pas le chien mordre ton jarret fier !...
Regarde!... les champs bleus sont pleins de marguerites;
Ici, tout est brûlé par la bise d'hiver.

Les rats et les mulots ont sali ton avoine.
Empesté le bon foin qui grisait ton galop ;
Le jeûne réduirait au vol de la cétoine
Ton aile de chimère, ô ma Cavale !...
                                                     — Hop!...



Ravaudeuse

 
Laissez-moi quatre jours
Et quatre nuits
À ravauder ma voix
À la voix
De ma mère orpheline.
Quatre jours et quatre nuits
Sans dormir ni manger
À devenir des guêpes
Remontant
De nos ventres-calices
Cette voix fluette
Ce filet
Comme en été
Les sources.
 
Pour ouvrages de dame
Fils-écheveaux
Pelote-en-tout-genre
Fil-usé-d'Ariane
Histoires et mémoires en pièces
Chansons
Et photos anciennes
Tout fera l'affaire.
 


Les Chats 

 

Publié dans Le mercure de France du 16 septembre 1909

(Gallica)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 
 
Le mal de vivre
(la dernière page)
 
Huot.jpg
 
 
 
 
 
Bibliographie:

Le Missel de Notre-Dame des Solitudes Paris, 1908.—

 
 
 
 

Borgia s'amuse, 1891
 
Borgia 1.jpg
Borgia 2.jpg
 
 
 
Lettre à Pasteur
 
Huot Pasteur 1.jpg
 
Huot Pasteur 2.jpg
 
Marie Huot 00.jpg
Marie Huot 01.jpg
Marie Huot 02.jpg
Marie Huot 03.jpg
 
 
 
 


09/03/2010
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