Jeanne-Gabriel: Avril, 1900
Jeanne-Gabriel
Avril
Les bourgeons, effarés, craquent le long des branches
Les ruisseaux, dans un élan fou,
Offrent, tout bondissants,leur miroir aux pervenches
On entend au loin le coucou...
Sur les champs encor nus, un vaste baiser plane,
La terre sent frémir son flanc;
Des buissons d'aubépine un souffle pur émane,
Et l'on s'arrête tout tremblant -
Là, les arbres fruitiers revêtent leur parure
Pour saluer le renouveau;
Et ce rose et ce blanc, précédant la verdure,
Fait chavirer notre cerveau...
Un parfum innommé trouble notre narine,
Et nous rend ivre en un moment;
Comme un bourdon d'airain, le coeur en la poitrine
Se met à battre éperdument.
Et l'on croit au bonheur que ce monde refuse -
Tout devient symbole de foi:
L'âme retourne à Dieu, le poète à la Muse,
On porte un coin du ciel en soi.
Nos yeux remplis d'azur, se ferment de tendresse.
Non, nous ne sommes pas maudits,
Puisque le chaud soleil de nouveau nous caresse,
Et nous parle du paradis.
Puisque le rossignol rechante en la ramure,
Sans souci, chantons avec lui;
Puisque sous le gazon une source murmure
Nous devrions sourire aujourd'hui -
Sourire au mois d'Avril, à la première feuille,
Qui sait si bien sécher les pleurs;
Notre esprit apaisé doucement se recueille
Tandis que s'entr'ouvrent les fleurs.
Partout de jolis nids se dressent, vite, vite...
Bravo, chers maçons emplumés!
Votre exemple charmant à travailler invite,
Et tous les chagrins sont calmés.
Le luth entre les doigts, nous oublions la peine,
Transfigurés par ce beau jour -
Un tendre et long zéphyr parfume notre haleine
Nous ne renions plus l'amour...
Poésies intimes, 19 avril 1900
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