Laurence (Evelyne), 1891-1955
Evelyne Laurence
1891-1955
Les recueils:
- L'étreinte de la terre, 1949
- Mémorial - Poèmes, 1946
- Sonate pour un jardin fleuri, 1947
Poèmes tirés de "Sonate pour un jardin fleuri"
(Je chanterai...)
Je chanterai pour que la flamme claire
Sise en mon sein comme en un gai foyer
Ailleurs qu'en moi répande sa lumière
Et sur tes mains s'en vienne flamboyer.
Je te dirai mes craintes, mes alarmes,
Pour que ma peine émigre de mon coeur
Et que la source amère de mes larmes
Pleure en tes yeux son trouble et sa rancoeur.
Et le souci qui m'enserre et m'oppresse
Je l'ôterai de mon cou palpitant.
Tu t'en feras un collier de tristesse
Et tu seras à ton tour haletant.
Je te ferai, au gré de mes cadences,
Monter, planer dans la joie et l'espoir,
Puis redescendre au gouffre du silence
Où tout est vide, irrémissible et noir.
Les mots, les sons, les rythmes qui délivrent
Me quitteront pour séjourner en toi.
Libre et fougueuse alors, les paumes ivres
Je partirai vers un nouvel émoi.
(Le vent)
Le vent tourmente le cytise
Et les lourds nuages houleux.
O musique, ineffable emprise,
Tourment de nos coeurs oublieux.
Tu nous emportes et nous brises
Au sein d'imaginaires cieux.
Le vent tourmente le cytise
Et les lourds nuages houleux.
Tu transportes notre âme grise
En un rêve aux magiques feux
Où notre délire abnxieux
S'enivre, se berce et s'irise.
Le vent tourment le cytise.
(Les zinnias de feu...)
Les zinnias de feu, de flamme et de chair
Claironnaient dans le clair espace chaud de volupté.
Le gel est venu sur vos âmes frêles
Incliner vos têtes au jour convenu.
O mes soeurs étranges aux grâces fanées.
Voici que l'année vous touche et vous change!
Revêtez, mes fleurs, la cagoule amère
Sans feux ni lumière, parfums ni couleurs!
Et formez, dolentes, devant la maison
La procession, noires pénitentes!
(Je songe à vous,...)
Je songe à vous, mes soeurs de rêve et de détresse
Comme à des souvenirs impérieux et nets,
A vous, étrange impératrice Elisabeth,
D'un terrestre séjour méprisante déesse.
A toi, bel ange noir, comtesse de Noailles,
Qui descendis un jour dans mon humble maison,
Et qui me révélas l'attrait de l'horizon
Et le charme de tout ce qui blesse et tenaille.
Princesse de la terre et princesse des lettres,
Tout vous fut accessible et tout vous fut donné:
Les hommages fervents d'un peuple prosterné,
La puissance et le nom, la gloire des ancêtres,
L'amour et la beauté, le faste et le prestige.
Vos regards, dans vos yeux semblaient forts et vainqueurs;
Mais l'angoisse érigeait son empire en vos coeurs
Et le goût de la mort vous versait son vertige...
Votre obstination parvenue à ce faîte
Où les essors humains retombent, limités,
Conservait, infinis, dans la satiété
Ce besoin, cette soif d'une essence parfaite.
Plus rien de votre ardeur charnelle ne s'élance.
Sombrez-vous au néant qui vous parut si doux?
Dans l'assouvissement divin, reposez-vous?
Je songe à vous, mes soeurs de rêve et de silence...
(Toison d'or!...)
Toison d'or! toison d'or! sur quel vaisseau de songe
Appareiller demain pour te reconquérir?
Vers quel rivage neuf, scintillant de mensonge
Porter le poids et le roulis de nos désirs?
Au-delà des cités, des plaines et des ondes,
Il est un pays rose où surgit le soleil,
Mais nos yeux transportés aux frontières du monde
Ont eu l'obsession d'un mirage pareil.
De cette marche vaine aux pourpres périgées,
Aujourd'hui tu reviens, dérisoire Jason,
Le front lourd de regret, les mains découragées,
Douloureuses de rêves et vides de Toison.
De ce qui fut clarté, flambeau, tu ne rapportes
Que fumée et que cendre entre tes doigts obscurs...
Mais ces feux! ces rayons! le miracle à ta porte
Flamboyant de lumière ardente sous l'azur!
Les astres sont éteints et ta nef amarrée!
Abandonne l'espace où d'autres s'en iront.
La chevelure luit! ses volutes cuivrées
Frôlent de leur caresse innocente ton front.
(Si je veux te poursuivre...)
Si je veux te poursuivre, ô vibrant paysage,
Jusque dans les limpides eaux
Où flottent les bouleaux
Et dansent les nuages,
Ainsi me pencherai-je au-dessus du ruisseau
Frémissant et furtif entre ses populages;
Dans le trouble reflet de la nue en lambeau
Je ne découvrirai que ma secrète image
Couchée en l'onde noire ainsi qu'en un tombeau.
(Pourquoi garder...)
Pourquoi garder dans sa mémoire
Le souvenir des choses?
Contre le mur, l'ombre des roses
Est toujours noire...
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