Louisa Paulin : Cour d'Amour (1943)
Cour d'Amour
1943
(Imprimerie artistique de Lavaur)
Prière du Roi
Comme je l'ai chérie, Seigneur,
dans un ineffable supplice
dans les sinueuses délices
de cette fourbe et tendre chair,
la voici toute nue, Seigneur,
nue dans sa gloire et dans sa honte
dans cette robe d'amour souillées
avec ces yeux de ciel d'avril
cette eau divine où jouait mon désir.
Dans cette robe de plaisir
dans la soie blanche de son corps
avec ces veines affleurantes
où la vie tremblait, menacée,
Avec ces bras aux plis d'enfance
où mes lèvres avides buvaient,
avec ces mains - ô sources de caresses -
jointes maintenant sur son coeur
comme e l'ai chérie, Seigneur.
Comme je l'ai chérie, Seigneur,
dans son odeur
d'algue meurtrie et de vent vif
- avec délice, avec terreur -
comme je l'ai chérie, Seigneur.
La voici morte sur sa couche
l'arc détendu de cette bouche
encore blessée
de la plainte aiguë des baisers.
Comme je l'ai chérie, Seigneur,
voilée de ses cheveux sauvages
si vivace de n'être plus
si turbulente dans mon coeur
comme je l'ai chérie, Seigneur.
Avril 1938
Chanson de la Bergerette
Sur la plus haute branche elle a été chantée
la chanson de l'année
par un peuit oiseau qui la disait au vent
la chanson de l'Amour, la chanson du Printemps.
Et l'oiseau nous disait : "Oh! que je suis content.
Oh! que je suis content !
J'ai un nid, j'ai un nid avec trois oeufs dedans
Trois oeufs couleur d'Amour et couleur de Printemps".
Et l'oiseau nous disait : "Oh! que je suis content !
avec trois oeufs dedans
et ma petite femme tout en plumes d'amour
leur tient chaud nuit et jour".
Et les jeunes pêchers l'ont très bien écoutée
la chanson de l'année
et ils se sont couverts de fleurs en rougissant
O chanson de l'Amour ! O chanson du Printemps !
Chante petit oiseau la chanson de l'année
la chanson bien aimée
et que mon doux ami l'entende dans le vent
la chanson de l'Amour, la chanson du Printemps.
Printemps 1933
Chanson de l'Amoureuse Dame
Fleur défendue
tous les baisers - en rêve - je les pose
sur toi, bouche amoureuse, inaccessible rose
et près de toi, ma bouche reste close
sous mon tourment.
Tout un vol de baisers d'enfant
des baisers de printemps
jeunes feuilles claquant dans les brises joyeuses
clair clapotis d'ailes peureuses
aux coins délicieux de ta bouche rieuse
ces deux nids.
Et des baisers sur ton léger sourire
un réseau de baisers pour le garder captif
au plus vif
de mon âme
de lents baisers de femme
lucides et craintifs.
Et puis ce vol têtu de guêpe prisonnière
vers le mur fascinant des dents,
cet aveugle aiguillon qui rêve de ta lèvre
comme d'un fruit gonflé
du suc enivrant de l'été,
de ta lèvre jusqu'au sang meurtrie
sous l'aiguillon mortel
de ce baiser cruel
qui m'éveillerait à ta vie.
Chanson du Fou du Roi
Toc, toc, toc, ce n'est que ma tête
qui se balance à la fenêtre
c'est un ballon gonflé de vent
qui se balance au contrevent
C'est un ballon que l'on m'a pris
après la mort de mon ami
il se balance au gré du vent
toc, toc, toc sur le contrevent.
Elle est là-bas dans un trou d'eau
la queue des rats bat la mesure
je me souviens d'une blessure
je me souviens de ses morsures.
Je l'ai prise un beau soir de mai
elle a mordu tous mes baisers
ma tête lutte avec le vent
ma tête mord le contrevent.
Elle a noyé tous mes amours
avec son petit corps si doux
ma tête se noie dans le vent
ma tête rame au contrevent.
Quand reviendra le mois de mai
j'irai lui rendre ses baisers
la dent des rats mordra le vent
toc, toc, toc sur le contrevent.
Chant de la Reine
Que je hais ton amour qui me rêve captive
comme une rose dans la main !
Es-tu tous les baisers, tous les sourires
toutes les pierres du chemin ?
Es-tu l'eau, le vent et la flamme
ou l'âme de la nuit
l'harmonieuse nuit sensible au coeur des mondes
et mènes-tu la ronde
des fragiles saisons ?
Es-tu la mer aux magiques sillons
gonflés d'amour et de terreurs silencieuses
ou la grotte mélodieuse
élaborant
les univers éblouissants
de purs cristaux
lentes fleurs échappées au coeur secret des eaux
dans la nuit à la douce argile ?
Es-tu la courbe agile
d'un vol blanc de pigeons dans l'angelus du soir ?
Es-tu le matin neuf étincelant d'espoirs ?
Tu n'es qu'un Roi déchu, mais je reste la Reine
moi qui sens battre dans mes veines
le rythme lunaire des mers.
Et je hais ton amour tout nourri d'esclavage
moi qui suis la bête sauvage
amoureuse de l'univers.
A suivre
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