M. (Aline de) Elégies, 1828
Aline de M
(Début 19ème)
Elégie III
Il n'est pas bon, quand on porte un coeur tendre,
Quand tous les feux qu'on respire à vingt ans
Dans un oeil noir se font assez comprendre,
Il n'est pas bon de demeurer aux champs.
Là tout jouit, tout aime, tout soupire:
C'est pour l'amour que chantent les oiseaux,
C'est de l'amour que souffle ce zéphyre,
Et c'est l'amour qui créa ces berceaux!
Je ne sais, mais alors, au trouble qui m'oppresse,
Aux pleurs de volupté que répandent mes yeux,
Je pressens trop d'aimer la redoutable ivresse,
Je pressens un bonheur qui n'appartient qu'aux cieux!
Amour, amour, garde-toi de paraître,
Laisse mon coeur te rêver à loisir;
Et de ce coeur quand tu te rendras maître,
Ne choisis pas pour guide le plaisir!
Elégie VII
Il est donc vrai, la coupe de la vie
Ne m'a laissé qu'un amer souvenir;
Il est donc vrai, j'ai bu jusqu'à la lie,
Je viens de naître et n'ai plus d'avenir.
J'ai vu s'enfuir comme une ombre légère
Le temps heureux de mes premiers amours,
Je ne sais plus comment passent mes jours,
Je n'ai vécu que six mois sur la terre.
J'ai désiré parfois me ranimer,
En souriant aux feux que j'ai fait naître;
Mais le dégoût s'emparait de mon être;
Tout est fini, je ne peux plus aimer.
Et pourquoi donc, si mon âme est glacée,
Pourquoi son nom me fait-il tressaillir?
Et lorsqu'en vain son image est chassée,
Pourquoi ne puis-je y penser sans frémir?
Je l'entends seul dans tout ce que j'écoute,
Il vient s'offir dans tout ce que je vois.
Partout, hélas! je le fuis, le redoute
Et plus que moi, je le retrouve en moi.
Je m'abusais, je suis sensible encore,
Et c'est pour toi, cruel, qui me trahis!
Non, les froideurs, l'absence, le mépris,
Rien ne guérit le mal qui me dévore.
Au clair de lune
J'erre à ta céleste lumière,
Astre des nuits et de l'amour;
La cloche de l'ermite appelle à la prière,
Pour la dernière fois, les bergers d'alentour;
Dans nos bois dépouillés une brise légère
Se glisse, et fait frémir la feuille sous mes pas.
Au loin, dans le vallon, la lueur solitaire
De la lampe qui brille au foyer d'une mère
Apaisant de ses fils les enfantins débats;
Le murmure éloigné des passions de la terre,
Ce fleuve dont les eaux réfléchissent les cieux,
Cette suavité dont la nuit est remplie,
Ces dons des champs étalés à mes yeux;
Tout vient redire à mon âme attendrie:
Connais bien la nature et tu seras heureux.
Charade
Dans mon premier, le riche, loin des villes
Cherche un bonheur que l'or ne donne pas;
Et mon second, pour les âmes serviles,
De la beauté remplace les appas.
Mais de mon tout le portrait m'embarrasse:
Tantôt en aigle il vole jusqu'aux cieux,
Puis, fatigué d'un vol audacieux,
A peine de la terre il rase la surface.
Il fâche la raison, plus souvent la séduit;
Il n'eut aucun modèle et n'a que trop d'émules,
Mais dangereux pour qui le suit,
Il est le chef brillant d'écrivains ridicules.
(Réponse:) Chateaubriand
A M. Papillon
De la Ferté des Entelles
En lui renvoyant deux romans
Grand merci, seigneur du zéphir,
Je vous rends vos romans, je retourne à l'étude:
Si je leur dois une heure de plaisir,
Ils m'ont donné deux jours de vague inquiétude.
D'ailleurs tous ces récits de nobles sentiments,
Des amants forcenés la redoutable ivresse,
Ces terribles effets d'une faible tendresse,
Semblent froids quand on a vingt ans.
Quels écrit, dites-moi, valent la rêverie
D'un coeur plein du besoin d'aimer,
Qui sent avec force la vie,
Qui devine l'amour ou sait l'imaginer?
Mais quand on est loin de cet âge,
Que le feu créateur n'existe plus en nous,
Que nous perdons, hélas! le beau titre de fous,
Un beau roman délasse et ranime le sage:
Il croit y lire encor l'ardent et pur hommage
Qu'il offrit à l'objet de ses jeunes amours;
Cet objet put être volage,
Mais le souvenir de l'orage
Est effacé par celui des beaux jours.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 167 autres membres