Malard (Suzanne) Années 1920-1950?
Suzanne Malard
Années 1930-1950
A la fin des années trente, Cita et Suzanne Malard créèrent des drames radiophoniques religieux d'une grande originalité. (Consulter l'étude approfondie de ces réalisations: French Radio Drama from the Interwar to the Postwar Period (1922-1973), de Richard James Gray)
- Central-Eternité, Radio-Paros, 9 décembre 1932
- L'Impénétrable, comédie en un acte, Poste-Parisien, 4 juin 1934
- Les Survivants, Radio-Paris, 14 février 1937.
- Le Dieu vivant: radio reportage de la Passion en 4 journées, 21 mars 1937, Paris-PTT
- La Nativité, evocation radiophonique, Paris-PTT, 25 décembre 1938
- Evocation monégasque, pièce radiophonique, Radiodiffusion nationale française, 27 février 1942
- Le Dieu-vivant cgez les jeunes, drame en 4 journées, 1947
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On doit également à Suzanne Malard la "découverte d'un jeune talent de la chanson promis à un grand avenir, Léo Ferré. (Voir l'article de Nice-Matin)
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Les poèmes qui suivent ont été publiés dans la revue "Poésie. Cahiers Mensuels Illustrés",
- 1932, Tome 5, page 17
- 1932, Tome 7, page 20
Le recueil intitulé "Radiophonies", très étonnant, date de 1931. Il fait l'éloge, sur mode poétique des nouvelles technologies de l'époque au, service l'amplification par le haut parleur, la diffusion radiophonique, la mondialisation des messages etc... A situer entre Teilhard de Chardin et Marshall Mac Luhan.
Recueils de poèmes
- Pour un ange, 1923
- Essors, ouvrage couronné par "les Amis de la Revue des Poètes", 1930
- Les Energies
- Les agenouillements
Autres ouvrages
- La pentecôte, épilogue du dieu vivant (1938)
- Présence des absents (1943)
- Prisons du ciel (1957)
- Laënnec, génie francais (1959)
- Un million de religieuses (1960)
- La sainte famille de la délivrance en pleine vie (1962)
- Sainte Brigitte de Suède (1964)
- Les femmes dans l'église à la lière de Vatican II (1968)
Souhait
Mon Haut-Parleur, je vous ai mis sur mes genoux;
De là, contre mon coeur, puis jusqu'à mon oreille,
Je vous ai soulevé, mère qui s'émerveille
D'écouter son petit rêver tout haut, tout doux.
Et, selon mon pouvoir, écartant des remous
Poussés par votre souffle harmonieux, l'abeille
Du bruit parasitaire et stérile, ma veille
Enroula le lin bleu du songe autour de vous.
... Sonore berceau d'ombre où respirent les mondes,
En réglant les premiers vagissements des ondes,
Je voulus fondre en leur mystère mes secrets.
Et, - vous dormant déjà - je pensai: quelle fête
Serait pour moi le soir où je vous entendrais
Redire entre mes bras mes chansons de poète!
L'appel au sculpteur
Notre carence, à nous artistes, me désarme
Lorque un vain peuple parle avec légèreté
De celle qui nous prend au mélodieux charme
De sa fluidité.
On hèle sa présence, et si souple, et si vive,
Dans un étroit cercueil plus ou moins opulent,
Et sans qu'un simulacre original décrive
L'orbe de son élan.
Des filles d'harmonie, elle, dernière née,
Est, pourtant, prête à rajeunir les arts trop vieux
Et je voudrais parer sa neuve destinée,
Car elle valait mieux,
Car elle vaut mieux, oui, vraiment, l'Universelle,
Que cette robe de bois peint, de fer laqué,
Riche et pauvre, brillante ou terne, qui recèle
Son être compliqué.
...Je vois avec un grand dégoût mélancolique
Mon poste ressembler à celui du voisin,
Poste en série, et dont foisonne la réplique
Dans chaque magasin.
Incurvant tout d'abord sa forme recourbée,
Le haut parleur s'ouvrait comme un lys; mais voici
Qu'il a l'air à présent d'une lune tombée
Que sa chute obscurcit.
Moi qui le voit avec mon regard de poète,
Je n'en veux, certes, point à ses ingénieurs
De ne lui conférer qu'une forme incomplète:
Leur génie est ailleurs.
Mais que le vôtre, au moins, ô Sculpteur, s'évertue,
Démentant la faillite imminente de l'art,
A modeler à l'Invisible une statue
Avant qu'il soit trop tard.
Nous sommes las, enfin, de vos froides idoles,
Las des marbres muets, et las des bronzes creux...
Il faut donner un sens moderne aux vieux symboles
Pour en être amoureux.
Par le sang neuf d'une opportune analogie
Transfusant de la vie aux mythes oubliés,
Vous rendriez sans peine à la mythologie
Ses emplois familiers:
Qui nous apprend, toujours aussi prompt en sa course,
Les fluctuations décevantes du blé
A Winnipeg, le change et le cours de la Bourse,
Sinon Mercure ailé?
Encor par les forêts de l'éther vagabonde,
Diane infatigable et que nul ne retient
Bondit, tendant partout à la fois sur le monde
Son arc aérien.
Le chant n'a pas cessé, des Sirènes d'Ulysse,
Mais des sorciers, depuis, ont su les captiver...
Loin que leur résonnance, à présent, nous trahisse,
Elle peut nous sauver.
Qu'ainsi donc, tour à tour, la Radiophonie
Soit naïade et soit nymphe, et qu'elle incarne encor
Tout ce qui pallierait à la monotonie
D'un trop banal décor:
Considérant, plus grand à peine qu'un visage,
Le haut parleur, voyez comme il s'adapte avec
Le galbe humain et propice au présage
De l'ancien masque grec.
De ces masques, j'en veux plusieurs: il sied que changent
Les tangibles aspects de l'Inombrable voix
Pourvu qu'eux tous: les doux, les rudes, les étranges,
Concrétisent ma foi.
Comme de Jupiter, Minerve adulte et forte
Jaillit sans que le front de son père éclatât,
Du masque altier de Beethoven, il faut que sorte
L'Appassionata.
Qu'opposant une voie unique à la furie
Des cuivres déchaînés, giclent du masque fier
D'une implacable et véhémente Walkyrie,
Les houles de Wagner.
Coiffez les soirs de jazz d'un bonnet de folie
Mais, que, pour alléger le poids de lourds secrets,
Votre verve, sans peur de déchoir, multiplie
Les plastiques attraits.
Si vous faites avec décence disparaître
Tout l'attirail du charme en le moule sacré
D'une déesse, alors, vous nommant notre maître,
Nous vous en saurons gré.
Mais si votre stérile orgueil tient pour suspecte
La populaire Messagère dont nous plaît
La nouveauté, que l'on invite un architecte
A construire un palais...
Palais menu de la fée avec une chapelle
Pour les sermons, pour l'orgue et pour les carillons,
Et, pour les voix, douze miroirs, où s'interpelle
Un ballet de rayons,
Palais où, prenant soin de n'être qu'entendue,
Avec un frisselis de voiles et d'anneaux,
Passe, en l'enroulement de son rêve, perdue,
La reine des Echos,
Où, dès qu'elle s'annonce, une lumière brille...
Anachronique, puéril...charmant palais
Dont, condamnée avec des chaînes d'or, la grille
Ne s'ouvrira jamais.
Radiophonies: Messages
Interférences
L'espace est trop petit pour l'aventure humaine:
Depuis hier, colonisé
Par l'envahissement des ondes, son domaine,
En trois cents fiefs, est divisé.
Déjà, ce ne sont plus qu'accidents de frontière;
D'invisibles murs mitoyens
Sont dressés, mais voici que, sautant leur barrière,
Zurich couvre saint-Sebastien.
Madrid gêne Rabat, Stockolm dénonce Rome...
Et c'est ainsi que, nulle voix
Ne se taillant dans l'air un empire autonome,
Toutes s'y trouvent à l'étroit.
...Il est des soirs où mon antenne vous accroche,
Sans pouvoir rompre votre accord,
Vous si loin sur la terre et dans le ciel si proches,
O Vilno, Toulouse et Francfort.
Pourtant, si mon tenace effort ne départage
Vos écheveaux entremêlés,
A quoi me sert de vous avoir pour triple otage?
Tous les trois, vous vous annulez.
Une magicienne ironique et jalouse
A dû vouloir que, tout-à-coup,
Lorsque un duo d'amour s'achevait à Toulouse,
Vilno sifflât trois fois: coucou...
Si leurs longueurs n'étaient si voisines, vos ondes
Se brouilleraient-elles autant?
Seuls, les coeurs qu'ont unis des parentés profondes
Vont l'un sur l'autre se heurtant.
Pour dénouer le jeu de votre interférence,
Que faudrait-il? un tourbillon.
Pour qu'un désir ait entre nous la préférence,
Il suffit d'une passion.
Et comme votre duel, pour arbitre, eut l'orage
Qui, sombre geôlier de l'éther,
Sauva l'une en cloîtrant les autres dans sa cage
De grêle, de foudre et d'éclair,
A travers l'ouragan de l'amour, nos oreilles
Ne peuvent percevoir, parmi
Les cadences de tant de musiques pareilles,
Que le rythme du coeur ami.
Radiophonies
Le poème suivant a été
Publié dans les "Jeux Floraux de 1935
CIEL d'OC
Centre International de l'Ecrit en Langue d'Oc
3 Place Joffre, 13130 Berre L'Étang http://www.lpl.univ-aix.fr/ciel/
L’ORGANISTE AVEUGLE,
POEME
qui a obtenu la Violette d’argent, prix du genre, par Mlle Suzanne MALARD.
Grandes orgues aussi tonnantes que la Bible,
Combien de fois, hélas, sur mon cœur dévasté,
Ai-je, en me souvenant du déluge, écouté,
De vos quarante jeux, crouler le flux terrible!
Je n’avais pas compris alors qu’en vos brasiers
Sonores, un phénix: notre âme, se consume
Et renaît, secouant une vibrante écume;
Faut-il le confesser, titan? Vous m’écrasiez.
Et cependant, la Walkyrie et ses cavales,
Traînant des astres chus à leurs sabots de feu,
Sur mon rêve, ont bondi, sans coucher son lin bleu!
Je tenais tête à tout, hormis à vos rafales.
O gorge monstrueuse au multiple larynx,
Taisez-vous, m’écriai-je, et qu’un chœur vous succède,
Fait de fibre vivante et non de tuyaux raides,
Pour qu’enfin l’homme chante à la place du sphinx!
Or, c’était dans le fond de nefs sombres que, morne
Et sentant croître dans mon être un vague effroi,
J’écoutais, Bach et César Franck, pardonnez-moi
Rugir la quinte, la bombarde et le cromorne...
Mais par un soir où, messagères de l’Esprit,
Des colombes, volant derrière la rosace,
Présageaient le secours occulte de la Grâce,
Je suis montée à la tribune et j’ai compris.
Quand, pâli par l’attente et par le crépuscule,
J’ai vu celui qui s’avançait en trébuchant
Vers le triple clavier, sourire en le touchant,
Comme, aux douze travaux, devait sourire Hercule.
J’ai su que, de sa nuit, vous alliez le venger,
Chaos dont il devait faire un monde! Ses paumes,
Sans les pétrir encor, survolaient vos royaumes...
Déjà, l’infirme, en dictateur, était changé!
Ivre et lucide, caressant et dynamique,
Il tirait le tuba, la gambe, le bourdon,
L’unda maris, et, de la pointe et du talon,
Heurtait au pédalier une rage lyrique.
Le masque volontaire et le buste raidi,
Dans cette église toujours mal illuminée
D’où l’on domine à pic la Méditerranée,
Cet aveugle prenait d’assaut le Paradis.
Et, songeant au combat de Jacob avec l’Ange,
J’ai compris que, luttant contre tous, devant Dieu,
Cet homme sans regard et ses quarante jeux
Sortiraient triomphants de cette rixe étrange.
Mais quel vertige alors le cerne quand, prenant
Sa revanche sur les ténèbres d’un coup d’aile,
Il domine la masse obscure des fidèles,
Mon cœur exorcisé le conçoit maintenant!
... Tentation du Bruit, péril de l’Altitude:
Comme la chaire est basse et lointain l’Ostensoir!
A ce logicien trop sûr de son pouvoir,
Qu’importe s’il enchante ou non la multitude!
— Que l’ignorant s’écarte et que le curieux
Monte, semble-t-il dire et, si l’église est vide,
Les archanges du porche et les saints de l’abside
Seront seuls à percer notre art audacieux!
... Mathématicien fougueux, savant prophète,
Devant les mondes inhumains que reconstruit
Votre faste insolent, je comprends aujourd’hui
A quel point l’organiste est frère du poète...
Les jeux que nous tirons, ce sont les battements
De tous les cœurs. Quels cris, quels rires, ou quels râles
Ne sont amplifiés par nos orgues verbales?
Mais nul ne se retrouve en nos emportements.
D’un fuyant équilibre ô poursuite immortelle!
C’est pour aider la foule à prier, qu’on nous met,
Le tonnerre et la brise en main, sur un sommet...
Montez! lui crions-nous. — Descendez! répond-elle.
... Quand nous déclencherons les innombrables jeux
Qu’un souffle éveille aux grandes orgues de l’espace,
Pour attirer l’Esprit derrière la rosace,
Le peuple dans la nef, et, dans les âmes, Dieu,
Au lieu du vain cyclone ou du torrent stérile
Dont notre orgueil, et non le Christ, sortait vainqueur,
Puissions-nous diffuser, aux creux du haut-parleur,
Les ondulations douces de l’Evangile.
Et la divinisante effusion du cœur!
A NOTRE TEMPS,
ODE
qui a obtenu une Mention honorable,
par Mlle Suzanne MALARD, à Monte-Carlo.
Je ne vieillirai point sans t’avoir rendu grâce,
Age dont le désordre a l’odeur du printemps
Et dont chaque progrès renouvelle la face.
Mon enfance a boudé tes charmes haletants;
Ton vertige, aujourd’hui, me cerne et me soulève...
Je viens de te parler comme on parle à l’amour!
Mais l’heure approche où, pour mûrir tes fruits,
le Rêve distendra l’écorce des jours.
C’est ta témérité qui me grise: à mesure
Que tes triomphes ingénus et tes échecs
Insolents nous rendaient l’existence moins sûre,
L’émotion qu’on a pour les choses fragiles.
Et, d’un cœur que tu fis plus prompt et plus amer,
Je t’aime, Temps précis, Temps vibrant, Temps agile
Qui nous annexes tout l’éther.
Temps justicier, Temps ascétique, Temps sublime
Qui, des péchés d’autrui, nous fais les pénitents,
Qui, plus que de vainqueurs, as besoin de victimes
Et brises notre orgueil aux Nécessités, Temps
Où l’homme, responsable au-delà de lui-même,
Lui trop pressé de mordre au fruit vert du Progrès,
Craint de se voir chasser, par son propre anathème,
Des édens que tu lui créais.
C’est de risque, surtout, dont la jeunesse est ivre!
Ah! penser qu’il se peut que l’un d’entre nous, clé
Anonyme que tourne un Archange, délivre
L’équilibre nouveau, par l’ancien recélé...
De même, hélas, qu’il suffirait du trait de plume
D’un agitateur fou, pour qu’il ne restât plus
Rien de la capitale exquise où se résume
L’apport des siècles révolus!
Qu’il fut bref, le frisson qui courut dans nos veines
En apprenant cela: la presse a relié
Tant d’augures au cours des dernières semaines
Que, le pire d’entre eux, nous l’avons oublié.
Moi, depuis qu’on tira ce funeste présage
Des manœuvres aériennes de l’été,
Par le rappel bouleversant de cette image,
Mon écran nocturne est hanté.
Cette image, sans fin, danse dans ma mémoire
Ainsi que, dans la Bible, a dansé Salomé.
Mais le chef blême, ceint d’une sanglante gloire,
Qui fige sur le plat son silence clamé,
N’est plus la tête maudissante du prophète
Qui remplissait jadis le désert de ses cris.
C’est Notre-Dame dont je vois trembler le faîte:
On peut décapiter Paris!
Tout cet enchantement velouté, tout ce tendre
Abandon mesuré dont chaque nation
Est jalouse, pourraient n’être qu’un tas de cendre
Où fume ton débris, Civilisation?
Des avions, quelques obus, un ciel sans astre
Et la complicité du démon suffirait,
Cité du pire et du meilleur, à ton désastre
Qu’aucun autre n’égalerait?
Paris, creuset irremplaçable, où se refondent
Toutes les races, et miroir devant lequel
Le plus civilisé des sourires du monde
Craint de ne point paraître assez spirituel,
Le Luxembourg, l’Arc de Triomphe, l’Obélisque,
Nos fils diraient ces noms tout bas comme des noms De morts?
Oui, siffle l’ennemi... Qu’importe, puisque Notre âme, elle s’exclame: Non!
Paris périr lorsque la France est immortelle,
Quand l’un par l’autre se sauvèrent si souvent!
Mais ne plus croire en lui, ce serait douter d’elle!
Ce cœur cesser de battre en ce corps si vivant?
Non, non! Qu’un défaitisme asphyxiant s’acharne
A suffoquer les confiances... Moi, je crois
Que, demain, le nouveau miracle de la Marne
Se ferait par-dessus les toits!
Car Guynemer monte la garde des nuées
Et Geneviève, de son pont, descendrait si
La Seine lui montrait l’ombre de la ruée
Barbare s’avancer sur le fleuve obscurci!
Mais nous n’aurons pas trop, pour défendre les routes
Aériennes, déjouer les vils desseins,
De tous nos alliés, de tous nos yeux, de toutes
Nos ailes, et de tous nos saints!
Au sursaut d’un seul cœur, au refus d’un seul être,
L’honneur de la patrie est ainsi suspendu.
C’est à cause de nous, de vous, de moi, peut-être,
Que tout sera sauvé, demain, ou tout perdu.
— Etonnez-vous de mon élan, dit la jeunesse:
Tout est remis en cause et je suis dans le jeu!
Aider un monde vieux à se rajeunir, n’est-ce
Pas voler son génie à Dieu?
Si l’exaltation des menaces latentes
Accélère mon pouls, galvanise mes nerfs
Et m’associe au sourd vertige d’une attente
D’où peut sortir infirme ou grandi l’univers,
Je ne méconnais point ce que mon témoignage
A de furtif — quel temps fut plus prompt à l’oubli?
Ni la brièveté sournoise du voyage
Qu’à travers les jours j’accomplis...
Tant de fuyants désirs à des soifs immortelles,
Et tant d’indifférence à tant d’avidité,
Tu demandes pourquoi la jeunesse les mêle?
Temps, c’est pour éveiller en toi l’éternité;
C’est pour y transposer, Ephémère, ton thème,
Et, comme ton mal vient de ton manque de foi,
Pour te forcer à croire en plus Haut que toi-même,
Je commence par croire en toi.
Age cruel où nous peinons, Age splendide
Qui ne permets aucun répit, Age exigeant
Qui frustres le passé pour camoufler ton vide,
Age où tout est instable, Age où tout est urgent,
Age où rien ne nous est garanti, l’héritage
De nos ancêtres, ni le pain de chaque jour,
Toi le plus menaçant, ne serais-tu point l’Age
Qui réclame le plus d’amour?
Poèmes publiés dans les Chaiers Mensuels Illustrés de Janvier 1922
MÉDITERRANÉENNES
Apparences
Ivre de tout l'azur que lui verse le ciel, La mer semble dormir, cuvant son rêve immense ; On dirait que sa chaude et lourde somnolence Des flots a suspendu le cours perpétuel. Ce silence éployé mais superficiel, Cet assoupissement, ce n'est qu'une apparence Sous laquelle la Vie, en pleine effervescence, Lutte contre la Mort dans un duel éternel. Aux étranges lueurs d'aquatiques phosphores,
Monstres inassouvis, les poissons, qu'une faim
Dominatrice meut, toujours s'entre-dévorent...
Ainsi, sous le couvercle uni du crâne humain,
Jusque dans le sommeil, en un multiple essaim,
S'opposent sans répit les pensers omnivores.
Brume
Chargé d'hommes et d'or, l'audacieux vaisseau Quitte la rive heureuse et, défiant l'orage, Il fonce hardiment à travers le barrage De l'onde qui l'étreint en son mouvant réseau. Mais la mer, sur sa proie amenant son troupeau De vagues en fureur, se déchaîne, sauvage ; Et broyant le navire, elle assouvit sa rage, Puis referme sur lui ses flots, comme un tombeau. Vers les cieux grands ouverts un long cortège d'âmes Prend un rapide essor, s'élevant hors des lames, Sous lesquelles les corps inertes vont flottant ; Tandis que, pour celer l'homicide à la terre, Sur la mer une brume opaque et lourde étend Le complice appareil de son drap mortuaire. Le flot couvre le flot, l'onde se meut sur l'onde : La mer, comme le sphinx impassible et muet, A nul être vivant n'a livré le secret Millénaire de son attirance profonde. Du gouffre sépulcral qu'en vain le regard sonde,
Rien jamais ne répond à mon appel ; ce n'est
L'indifférente mer, qu'un mobile reflet
Un corps inconscient, une masse inféconde.
Aussi loin qu'il s'étende, il ne satisfait pas
Ma soif d'illimité, l'océan où ne bat
Nul coeur et dans lequel nulle âme ne rayonne.
Au lieu que, lacs d'azur minuscules, tes yeux,
Que ta pensée, ainsi qu'un fin voilier, sillonne,
Décèlent l'infini de ton âme et des cieux.
Image - Delcampe.fr
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