Maritain (Raïssa) 1883-1960
Raïssa Maritain
1883-1960
- La vie donnée, 1935
- Lettre de nuit, 1939
- Portes de l'horizon, 1952
- Au creux du rocher, 1954
- Poèmes et essais, 1968
Lire "Du recueillement poétique" de Raïssa Maritain
Automne
Une branche sur l'oiseau
Chantait en perdant ses feuilles
L'automne tenait l'archet
Du violon qui gémissait
Dans le vent venu de l'ouest
Murmurant des choses tristes
Et l'oiseau pleurait tout seul
Fleurissant le sombre ormeau
De ses larmes en corolles
De cristal et d'or nouveau
Et la branche et le moineau
Dans la brume pure et grise
Ont marié leur nostalgie
Au mystère de la nuit.
(Quand je t'aurai...)
Quand je t'aurai vaincue Ô ma vie Ô ma mort
Comme un oiseau battant de l'aile
Dénouant dans son vol les attaches terrestres
Quand je t'aurai défait dur attrait du bonheur
Quand j'aurai surmonté la joie et la détresse
Quand j'aurai survolé les sentiers des désirs
Dans l'équilibre sans défaut de tous ses astres
Sera mon coeur dans l'équilibre et la grâce
Comme un navire fortuné
Qui s'en revient au port sa cargaison intacte
J'aborderai le ciel le coeur transfigué
Comme on meurt
Ô douloureux repos ô pure inconnaissance
Dieu présent mais voilé
Du voile éblouissant de Vos Mystères de Votre Essence
Aimant de toute créature
Et l’âme que Votre Esprit attire
Vous-même êtes présent et seul en elle
Vous Dieu caché
Que nul de Son vrai Nom n’appelle
Elle n’a pour Vous parler que son souffle et sa plainte
Elle éprouve d’une crainte sacrée
L’œuvre que Vous accomplissez dans les profondeurs où elle s’ignore
Elle gémit comme l’arbre qui va tomber Comme on meurt
Elle souffre – néant – Votre action
Que son esprit contemple
Interdit submergé et se heurtant
Au cristal de Votre Domaine
Comme un aigle enténébré
Frappe de ses ailes errantes
Aux colonnes de l’air illuminé
Au creux du rocher, 1954
Nocturne
Beau cheval apeuré dans ce pré légendaire
Et mon ombre en passant a troublé les images
D’un monde vaste et redoutable où tu es seul
Pacifique habitant du silence nocturne
Délicat et tremblant et fuyant sous les arbres
Reviens cheval charmant vers mes yeux sans défense
J’ai parcouru ce soir les chemins de mes rêves
Mon visage est baigné de lumière et de pluie
En mon cœur s’étendra ta figure pâlie
Discrète créature ô forme des chimères.
– J’ai eu peur j’ai couru sur la mousse légère
Quand ton ombre en passant a touché mes naseaux
À l’abri sous cet arbre à travers le feuillage
Je te vois à présent plus frêle qu’un roseau
Ton visage est baigné de pleurs et de lumière
Tes lèvres ont tremblé d’un appel incertain
Vers une créature et vers quelque mystère
Et dans la nuit s’est répandu ton chant humain.
J’aspirerai ta douce et patiente complainte
Ô voix qui enveloppe et dit toute la plainte
Les cris et les soupirs de la Création
Et qui sait appeler les bêtes par leur nom.
Raïssa Maritain, Les Îles. (Paru dans La Relève en 1940).
Portes de l’horizon
Portes de l’horizon chancelant dans l’ombre
Écroulement sans fin aux confins des cieux
Épaves des mondes brisés – décombres
Âmes tombées aux labyrinthes infernaux
De la démence Ô désespoir où courir
Dans l’orage universel où tout brûle
Sous la poussée des meurtriers désirs
Tout périt du bonheur de la vie
Plus rien ne sera où vivrait l’espérance
Le feu prend ce que l’homme a trahi
Et le ciel embrasé enfante des astres nouveaux
Luminaires orgueilleux pour éclairer le désastre
Et la mort
Au creux du rocher
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