Martin (Marietta) 1902-1944: Adieu Temps (version page unique)
Martin (Marietta)
Adieu Temps
rédaction (1938), publication (1947)
En construction
Saisie en cours... encore incomplet
Adieu Temps
Adieu Temps qui beau songe était,
Bulle des amants et des fous,
Poète courte pause y fait,
Le réclame autre rendez-vous.
De rire et pleur il fait son chant.
Au Verbe, un cri est arraché,
A quel prix redevient enfant,
Le secret n'a pas trébuché.
Tel était jongleur puéril
Qui n'avait lyre ni bagage,
N'avait que souffle, pouvait-il
De son sang faire humain langage?
N'avait que fronde et point massue,
Fièvre il jetait, perdait son vivre -
Insuffisante et pauvre issue,
Mort entend avoir amant ivre.
Sentait amour, parfum, bouffée,
Nuit trop courte, le jour te presse -
Voulait,peinant, d'âme assoiffée
Faire la surhumaine liesse!
Goûtait, tremblait, ne saisissait
L'avide étreinte d'inconnu,
Butait au mur, cognait, tissait
Le fil implacable et ténu.
Le chemin âpre, dur, obscur,
Il montait, meurtri, corps saignant,
Nue en avant le guidait, sûr
Qu'hâvre serait pour doux plaignant.
Tant chercha ciel le découvrit,
Ciel serein, frais, paix et matin,
Féerie à ses yeux s'ouvrit,
Gazon épais, brocart, satin.
Songe affleura sous le réel.
Le réel s'invertit en songe,
Abandon devint son seul ciel,
Les jours, le fil qui l'erreur longe.
Lors attendit, musant, flânant,
Corps étaient doux et chair volage,
Mais ne voulut, fils et manant,
Qu'amour de son Sire et servage.
Arrêt viendra, quand étreindront
Dans Toujours, sans terme rival,
Les bras défaits, expireront
Baisers calmés, bonheur, aval...
Adieu Temps qui beau songe était,
Songe des amants n'a qu'une heure
L'été finit, grillon chantait,
Songe fuit et point ne demeure.
I
(Comment soupçonner...)
Comment soupçonner que l'écorce
Aurait force,
Il luttait, résistait contre être,
Ah, point maître?
Qui voulait pour lui et sans lui,
Sans son oui,
Qui voulait aller, lui rester,
Exister!
Lui voulait chaleur, éclat, fête,
La conquête,
Le cerveau lourd et qui bourdonne
Rien ne donne.
Il se rebellait sur les seuils,
Point de deuils,
Il voulait régner, triompher
Point créer...
Mais pénétra forêt très close
Où repose
Corps que l'autre corps reconnut,
En mourut.
IX
Il n'a pour arme que conscience
Que cette torche, vacillant,
Pour faire immortelle présence,
Que sang, faible ou fort, oscillant,
C'est maigre écu et pauvre lance
Contre le Temps,
Mais fier dans sa mince défense,
L'homme est content.
De sommeil enfance il s'éveille
Venant d'apprendre quel sort le surveille,
Quel nom, du destin, il aura.
En joyeux partant il s'avance
Vers Inconnu,
Vigueur le soulève, il s'élance,
Mais coeur est nu.
Durs coups, chutes, mainte bataille
Sont fragments d'un même combat,
Dans les assauts, vaille que vaille
Engagé, pafois il s'abat,
Repart,se voit couvert de fange,
Qu'a-t-il joué?
La lutte de l'hommeavec l'ange
L'a bafoué.
Pas jusqu'à mort. Une éclaircie,
Foyer, rayons, éclatement,
La chaleur croît, force affranchie
L'homme à la fois craint, fait serment,
Corps redressé,
Il monte, il dépasse, il est maître,
Nuit a cessé.
Blanc, bleu, soleil, intacte glace,
Le cadavre y conquiert sa paix,
Se conserve pur, à la place
Où le pionnier succombe au faix.
Les pics sont amusements frères,
Jeux de géant
Qui sa virilité libère
Se recréant.
Seul au zénith, passe un vol d'aigle,
O nuages, ô parent,
Royaume léger dont les règles
Sont joie avant d'être pitié.
La pitié oblige à descendre,
Envol fini,
Faibles armes,à les reprendre,
Eclat terni.
Le regret, lâche, n'a pas place!
Le roi reste roi s'il le veut,
Qu'il déguise, éteigne sa face,
C'est riche qui pauvre se veut,
Qui choisit d'imprimer sa marque
Et son sceau
Sur cire à disputer aux Parques
Dans un sursaut.
Rechargeant l'incompréhensible
Car un enfant s'est appuyé,
Va s'endormir, son cou flexible
Il penche, esprits d'éther, fuyez!
Lui, du plus pauvre, n'a d'autre arme,
Nul est l'orgueil,
Le moindre entend l'humaine alarme
Frappe à un seuil.
Part plus grande est part de mystère,
Vois nouvelle à la création,
Parole où futur se référe,
La dire, mettre explication
Sur l'apparence, sous l'image
Trouver réel
Qui fuit comme cours de nuage
Sur léger ciel.
Pivoines, oeillets, chèvrefeuille,
Le jour même au matin naissant,
Oiseaux, saisons... le doute endeuille
Les yeux, partout, reconnaissant
Dans fleurs et maux similitude,
La parenté
D'insaisissable, vain prélude,
Anxiété!
Où le but? Pour dire les îles,
Les vaisselles d'or et d'argent,
Les villages, briques ou tuiles,
Races sous les climats changeants -
Rebelle est déjà le possible
Mots, bégaiement,
Alors vouloir l'inaccessible
Est-il dément?
Pour conquérir fleur de Puissance
Tu n'as que ton humilité,
Cueillir doucement Connaissance
N'est pas d'homme sagacité...
Rémission, Pâques fleuries,
L'esprit descend,
Fillette dans une prairie
Se baisse et prend...
Tu n'as d'arme que solitude
Pour terrasser, fauve dompté,
L'énigme, et pour vicissitude
Transmuer en la vérité -
Tristan a combattu le monstre
Pour cheveu d'or,
Mais d'amour allant à l'encontre
Recut sa mort.
Chevalier, va vers ta promesse,
Ni fétu, ni mol rejeton.
Beau plan éclot sa fleur maîtresse,
Corps jeune comme souple jonc
Est du tournoi la récompense,
Vivant enjeu,
Victoire, après vient indulgence,
Après, aveux.
Passage d'un vol de mouette,
D'un saule flexibilité,
Douceur, tu es aussi conquête,
Les matins ont virginité,
Tu leur ressembles, as du songe
D'avant-réveil
Qui vérité des nuits prolonge,
Toucher pareil.
L'humilité le sol féconde
Dóù l'expression sort jaillissant,
En mercis la parole abonde,
Louange de convalescent -
Mais s-il a fallu que s'éteigne
La rage au coeur,
Que pesant, constant, plus ne geigne
L'humain malheur.
Au sommet, une autre importance,
Plus pathétique violon,
Autre amour veut la préséance,
Assez d'aise, et mieux que flonflons.
D'un seul la propre délivrance
Et primauté
Serait peu, serait foin, pitance
D'homme bâté.
Il est d'autres yeux que de femme,
Il est d'autres corps que de chair,
Il est plus enivrant dictame
Que chant trouvé, que verbe clair,
Action boyante et nécessaire
Cherche à prier
Un pays a son oeuvre à faire
Veut ouvrier.
Comme individu se surpasse,
Il veut la haine dépasser,
Lui désirepour son audace
Par la fraternité surclasser.
A la cause inconnue, humaine,
Pour le lier,
Qui tait son propre sort, l'aliène,
Ménetrier!
N'ayant pour arme que conscience,
Que cette torche, vacillant,
Pour faire immortelle présence,
Que sang, faible ou fort oscillant,
C'est maigre écu et pauvre lance
Contre le Temps,
Mais fier dans sa mince défense,
L'homme est content.
X
La Forme
Forme, marbre exprimé, rêvé,
Forme, quand viendras-tu, qu'es-tu ?
Toi, seuil, et trait parachevé,
Toi en qui contraires inclus
Te font ressembler à plus tard,
A l'après, décor bienheureux
D'âme pure de corps bâtard,
Connaissant, libre, parmi cieux.
Il te faudrait légère, ailée,
Jeune, insouciante et dansante,
Allons, vole pour Renommée,
Rythmes nouveaux, fais, veuille, invente,
Sois feu, chanson, il le faut, vole,
Par-dessus monts, par-dessus plaines,
Parmi esprits que meut Eole,
Loin sont les cahots d'âme humaine...
Il suffit les articuler.
Tu montais, soudaine et stridente,
Descends, pour dans les foins aller,
Dans bois mouillés, terre impatiente,
Son sol, sa glèbe, ses sillons
Comme ceux du mal sur le monde,
Sur face d'homme las - réponds,
L'appel: en bas douleur abonde.
Vieillis, radieuse, charge-toi
D'angoisse, de terreur d'hiver,
Son pressentiment, souviens-toi:
L'automne est donc certain ? Trop fier
L'homme ne dit son sang glacé
Par cette pluie et nuit qui vient,
Tout trébuche, avenir, pitié,
Ciel entrevu, printemps est rien.
Ne reste pas sur les abîmes,
Ni sur les crêts, joie ou souffrance,
Aussi tu dois payer la dîme
A tiédeur, à l'humble présence
Où l'âme sans contours, rêveuse
Assiste à ses jours, étonnée,
Terre semblante à nébuleuse
Enveloppe désincarnée...
Soupir meilleur encor t'attend,
Tu dois fondre en Miséricorde,
En le baume parfait qui tend
Sur le triomphe de la horde
Des esprits mauvais, ennemis,
La pureté d'après orages,
Samedis bleus, loisir béni,
Plages dans le ciel, vertus, images.
Entêtement pour la puissance,
En amour, regard résolu -
Simple ou la plus dure allégeance,
Le fer de l'orgueil est rompu.
Tu décrois ? Rejaillis voyante,
Chamelle, ardente et volontaire,
Champ d'homme où règne dominante
Force de chef sur mercenaires.
Le pardon laisse hors Satan,
La rémission des nuits parfaites
Où la lune trône en rêvant
Est langueur lâchement soustraite
A l'implacable loi des chocs -
L'un sur l'autre atome s'acharne,
S'accouple comme creuse un soc,
Ainsi la matière s'incarne !
Ainsi le destin prend un homme,
L'entraîne là où il ne veut,
De forcé, son féal le nomme,
Lui résiste, dit qu'il ne peut,
Ne reconnaît ces Hespérides:
Dans les mémoires demeurer,
Rien ! en échange, au front des rides...
Forme, là tu dois repasser.
Comme sur les alleluias
Sur Porte de la vie, orée
Pour les adolescents, qui a
Goût de chair encore allaitée.
Repasser sur Amour, Beauté,
Sur pays, vertige et hostie,
Sur mirage Immortalité
Pour quoi, léger, l'imprudent prie.
Sur les grands, sur les beaux présages,
Sur l'enivrement des départs,
Pour gloire nul trop cher péage,
De norme, aux esclaves la part !
Sur la magie intraduisible,
Soupcon d'un être, plénitude
Derrière ce qui est audible,
Soir sur les champs, mansuétude.
Matin qui suit le soir de doute,
Sur thyrses blancs des aubépines,
O toi, dans la nature toute,
Dans le fruit rouge d'églantine,
Les flaques d'eau, reste des pluies,
L'ombre d'un toit sur de la neige,
Dans fleurs à foison des prairies,
Toi, élixir et sortilège !
Tu dois te confondre en le tout,
En tous pays, en tout comparse,
En tailleur qui dieu sous les coups
Dit: les suivants rejouent la farce !
Toi qui, voix aussi d'avenir,
Dans un monde aux formes nouvelles,
Dois donner forcé de partir
A ceux qu'à leur tour Temps appelle.
Malgré la cruauté des foules,
Leur bêtise, l'inanité,
Nombres en vain, d'hommes les houles
Se succèdent au vil marché !
Tu ne sais plus, naine Forme,
Plus qu'eux, ton être et ta raison,
Le mal qu'il faut que tu endormes
N'a pour signe que confusion.
Mètres ou phrases ? Quand ? Quel lien ?
A toi seulement s'apparente
Que péché parfois mène au bien.
Mystère analogue tu hantes,
A contre-coeur, de coeur qui aime
Et dois revenir coeur châtié,
Pourtant fécond et qui essaime.
Tes lois: sèche, hachée et nue,
Tel ressaut d'orgueil qui détend
L'union cependant résolue
Avec volonté une, aidant
De tes propres mains ta blessure,
Sachant qu'il faut tribu de sang,
Sans écart est la procédure
De rachat: flanc ouvert, coulant.
Avec l'épreuve inévitable,
Des poètes la parenté.
Poète souffre, ou bien qu'il meure,
Jeune, il recoit lors ses lauriers,
Celui qui sur terre demeure
Accepte: servir, exprimer.
Comment, inflexible et parfaite,
Dois-tu toujours rester tremblant,
Goutte, larme, à la chute prête,
Toi l'acier qui perces le Temps,
Casses les bercements fáciles,
As des orages la lueur...
Tu dois porter des voeux graciles,
Abaisse-toi, charge les coeurs.
Pour être du passé la somme,
Du tien, des lâchetés qu'il eut,
Lorsque de soi-même économe,
Il préférait faire refus
A l'intrusion douloureuse,
Comme première volupté,
S'entêtant, blsessante et voleuse,
Qui était toi, ô déité !
L'instant tombait, une mémoire
Obligeait veilles et l'effort,
Retenait, en faisant accroire
Avec son mirage de sort !
Plus jamais sur terre enfantine,
Sur vacances et les jeudis,
Dans une existence anodine
Ignorant qu'un jour la finit.
Et tant brisais, et tant broyais,
Que l'homme a pu se demander
Si ton nom même, Mort, n'était
L'autre vocable pour créer,
Si une était la perception
De toi et d'éveil redressé,
De vouloir durer, d'expression -
Double révolte d'insensé !
Obscure, celée et muette,
Flagrants seulement les défauts,
Quand, fugitive, une facette
Miroitait, c'était un lambeau,
Soupçon, trop fragile créance
Que détruisait un autre pas,
Volupté fait plus longue transe,
Ton baiser ne se connaît pas.
Car tu es l'onde initiale
Qui fit terre et la création,
Mais l'esprit captif plus n'exhale
Que d'Eden perdu le poison.
A l'univers sa secrète âme,
Infirme, le sens défaillant
N'arrache plus que vaine flamme,
Stérile est son embrassement.
Mystérieux or, tu as un chiffre
Que le créateur ne sait pas,
Tandis qu'en peinant il déchiffre
Des Angelus, aussi des glas,
Et ne reconnaît ta présence
Où nul mot ne peut se changer,
Qu'à ce qu'un jour il veut souffrance,
La chérit plus et mieux qu'aimer.
En ce jour, Forme, tu essores,
Mènes ronde d'éternité
Parmi les jeunes météores
Qui rient de ta félicité,
Et correspondance ingénue
A l'astre au firmament monté,
De ses mains sculptant Inconnue,
L'homme a façonne la Beauté.
XI
Endormi, vie, en toi, comme sur un beau sein,
C'est l'odeur d'un nénuphar blanc, pur, au coeur jaune,
Qui devient tienne, et monte, ensorcelant parfum,
Jusqu'à conscience, hybride volupté de faune.
Les pétales s'ouvrant achèvent la corolle
Qui se meut suivant l'onde, en un parfait ouïr
Ecoutant, pour un seul, secrète barcarolle -
Ainsi l'âme tu prends, mènes au défaillir.
Annihiles rappels, injustice, misère,
Les taudis où rageur, l'humilié s'exaspère,
Le square où vient en vain l'ivresse des tilleuls
Le soir, parmi les bancs grouillants, la poussière âcre...
L'oubli de ce à quoi poète se consacre
Tu verses, vie, est-ce extase, ou est-ce un linceul ?
XII
Pourquoi coeur meurtri,
Gentil mon ami,
Pourquoi coeur dolent
Gentil mon amant ?
Sans supercherie,
Gentille et amie,
Sois donc mieux boyante,
Gentille et amante.
Regard te dédit,
Gentil mon ami,
De toi j'ait tourment,
Gentil mon amant.
Femme se confie,
Gentille et amie,
Homme s'impatiente,
Gentille et amante,
Et contre quoi, dis,
Gentil mon ami,
Tu n'auras dépens,
Gentil mon amant ?
Haut je me récrie,
Gentille et amie,
Toi pour confidente,
Gentille et amante!
Je sais ton souci,
Gentil et ami,
Et baisers pourtant,
Gentil mon amant !
...Enlèvent point vie,
Gentille et amie,
Ni tempe battante,
Gentille et amante.
Battre pour quel prix,
Gentil mon ami,
Quels agonisants,
Gentil mon amant ?
Du Temps jonglerie,
Gentille et amie,
Ame est ressentante
Gentille et amante.
C'est là vain ennui,
Gentil mon ami,
De sot nécromant
Gentil mon amant.
Pourtant douleur crie,
Gentille et amie,
Douleur haletante,
Gentille et amante...
Corps à l'étourdi,
Gentil mon ami,
Oublient s'étreignant,
Gentil mon amant.
XIII
Mort, avant d'être cendre, froid,
Avant que ta riche image
Au lieu du trait enchanté, roi,
Marque les rides, creux, présage
Du hideux travail souterrain,
Qui viendra, sera, lèvres, bouche
Auront eu beau baiser, airain
Plus fort, sape, étreint, touche,
O mort, pourquoi ?
Mais s'il faut, puisque tu es sûre,
Puisque pour ton plus fol amant
Tu será implacable, dure,
Feras d'un vainqueur, un tremblant,
D'un héros, la loque apeurée,
Confuse, en sueur, ce paria,
Que lui qui t'avait caressée,
Lui, ton mignon, tu détruiras,
Tu prendras quoi ?
Sais-tu qui tes mains vont jeter
Au rien, telle proie à vautour,
Veux-tu réouïr son parler,
Toi qui es sourde à tout recours?
C'est toi, nuit, Obéron ailé !
L'or en fusion dans les couchants,
Entre les arbres, dans les blés,
Dans les cieux et dans les étangs,
C'est toi qu'il voit.
Dans les forêts et les jardins,
Le soir ou au premier matin,
Il pourrait, éperdu, nommer
Par ton nom et par ton baiser
Qu'ici-bas n'a pas de soutien
Autre que toi, unique lien
Entre parcelles à saisir,
A aggriper, mais vient Finir
Qui a nom toi.
Toi, rivage au bout de musique,
Toi, le désir après les livres,
Toi, l'alcool, l'encens qui fait vivre...
Ces mots, voilà quel est son crime !
Jusqu'à le défaire et détruire
Voilà ce pour quoi tu le brimes,
Azur, raison, cesse de luire,
Apparaît toi !
Son mal, son péché, diras-tu ?
Il gît vivant encor, amour,
Ta faux ne l'a pas abattu,
Monstre, idole, tu es autor,
Où se trompe-t-il, où ment-il,
Comment faut-il mieux t'appeler,
Quel est ta loi, ton voeu subtil,
Est-ce ne pas dissimuler,
Quels mots pour toi ?
Tu veux que soit toute, réelle,
L'adoration ? tu veux image
Comme aurore sembler pareille
A récompense d'enfant sage,
Non plus celée, après un voile,
Derrière aubes et crépuscules,
Mais brillante dans chaque étoile,
Et ce qui dans la brise ondule,
Que ce soit toi.
Toi dans tout, mêmedans l'enfance,
Toi dans la musique et les libres,
Facile, seule clairvoyance...
Mais barre, obstacle: les sens ivres.
Tu ne peux, Mort, être l'étreinte
Tu n'es pas corps entre les bras,
Tu n'es pas le momento sans feinte,
Corps qui dort comme comme en un trépas,
Mort, comme en toi.
Ce corps d'amant, défait, rompu,
Qui enfin las, peut-être sait
Le total, cycle révolu
De ce qu'en naissant il quittait
Pour être fruit d'embrassement,
Issu de chair et de contact,
Ravi au muet bercement
De l'avant-monde, d'être intact,
Libre de toi.
Là tu n'es pas, C'est contre toi
Que le corps aime, ce secret
Est un gouffre meilleur que toi,
Aussi profond, aussi muet,
Cette chair collée à la chair
Dans ce sommeil lourd, fatigué,
Sait plus, sait mieux, le spasme est clair,
A fait fi d'immortalité,
Sait contre toi.
Tu prends tout, mais le désir, non,
Lui meut, certain, le flux du sang,
Pas de faute à divination,
La peau touche, la chair ressent.
Rival, un seul: lors des drapeaux,
Quqnd destin, tel soleil levant,
Paraît ! Don, ultime joyau
Brille. Combat, sort captivant,
Suprême foi...
Entre les blés, matin, Juillet,
Marche, feu, le membre fléchit,
Quelqu'un a tiré du bosquet...
Pour un sol mêmement épris.
Femme ou pays, les deux autant,
Même aunage. `L'être assouvi,
De l'un et l'autre offre comptant,
Tout ou la fin, rien, corps ravi,
Riante croix.
Le trait part ferme, sans détour,
Vigueur, tension,nulle ombre, peine,
Les comparaisons alentour
Ne l'éteignent pas, pays mène
Sur l'alouette dans ciel d'Août,
Sur le grillon au bord de route,
La cigogne qui à grands coups
D'aile, du zénith fend la route,
Première loi.
Comme pour regard de beaux yeux,
Comme sève de feuille vert,
Le sol crie, appel prestigieux,
Envoûtement donné par perte
D'argile, de seul vase lourd...
Le frisson est même accompli,
Aussi certain, entier qu'amour -
Mort, ce sein qui offre repli,
C'était donc toi ?
XIV
Le choix
Contre ce qui rôdait, hantise, espoir brûlant,
Qui montait, scintillant, fiévreux, du crépuscule
Lorsque le bleu croissait, le soir s'amoncelant,
Quand Futur promettait, dévorant son crédule,
Quand la nuit de la ville, allumée à ses feux,
Effaçait la lumière, en chassait la texture
Encor se souvenant du matin, de ses dieux
Malgré l'acharnement du jour à les exclure -
Lorsque l'adolescent, pour affermir le sol
Qu'il sent fuir sous ses pas, en vain, d'oiseaux en vol;
Mais le faux éclat gagne et transforme en grimoire
Clarté, limpidité, fait appel à chaleur
Comme à fièvre de sang, dans la pièce enfumée
L'accroît, ainsi surgit l'esprit d'une vapeur -
Contre l'âme en recul derrière chair pâmée,
Choix.
L'heure ainsi que l'oubli pressait, faisait l'aveu
De présence à broyer, présence positive,
Rappel, soupçon, les lampes détruiront ce feu
Ou il envahira - ce mal, ardeur rétive
Sur laquelle placer l'alcool comme un onguent,
Ce mal à terrasser avait nom clairvoyance.
Lucidité guettait, ainsi qu'un fou cherchant
Place où poser son rapt: que terre était démence !
Alors des notes, non pas l'infini traînant,
Mais celle qui menait à la chair, à la femme,
Au désir des épaules nues, au cou s'offrant,
Aux parfums, à l'étoffe, au babil comme gamme
D'oiseau vers un haut trille, et décharge d'amour,
L'oublier dans l'action, au fort boisson meilleure -
Encor le cri, oubli, son Léthé, son secours...
Contre le piètre champ, de lice supérieure
Choix,
Sur quelle terre, naufragé,
Pour que paysage ait changé,
Pour que destin sit engagé,
Que rebelle soit obligé
A se connaître protégé ?
Quel est appui meilleur que livre,
De quelle ébriété l'homme ivre,
Quel but apparaît à poursuivre,
Quelle est jeune oriflamme à suivre,
Pour quelle charge appel de cuivre ?
Le refus obstiné se transforme en un choix
Qui comporte pour loi, unique, la promesse:
Un homme se décide à remplir son emploi
Contre son propre pleur et sa propre faiblesse;
La vision meurtrira autant que cécité,
Lucidité fait mal, aller dans la lumière
Est aussi dur chemin que dans obscurité
De ciel qui se refuse à l'anxieuse prière;
Les matins trop parfaits étouffent, ils crieront
Comme misère crie hideuse patenôtre,
Là où luxure et honte, ensemble comme plomb
S'accouplent, où la fille, où l'ivrogne se vautre !
De toute oppression, du désir belliqueux
D'affronter, nu, les maux, puisque l'ingratitude
Autrement, triomphant, fait de l'homme un peureux
Qui préfère oublier, préfère l'hébétude -
Choix.
Choix des lourdes chutes d'ivresses,
Du goût cendre oppressant soudain,
C'est la mort qui son droit d'ainesse
Affirme, implacable et certain.
Mort qui passe dans baisers même,
Dans crépuscule du matin,
Ceux dont le poète a fait thème
De son effroi, de leur venin.
Parmi les peurs, peur de la foule,
Celle, féroce, du plaisir,
A noyer dans vin, ou s'écoule
La face ! un corps que prend moisir !
Choix du souvenir de misère,
Le ciel, reflet dans les ruisseaux,
En haut, bleu moqueur qui s'insère
Entre des toits, pièce, morceau !
Aubes pures ? Le choix des autres,
De lourdeur, d'avoir le corps las,
De reniement, mauvais apôtre
Qui s'enfuit, d'être celui-là.
Ainsi frappé le blessé crie
Qui a fait sacrifice avant,
Mais qui à la mort, plus ne prie
Que par sa douleur et son sang.
Choix en étreignant les nuées -
Telle la haute voix d'un choeur,
Qui soutient, la plus élevée -
Même à bas, choix d'être vainqueur.
Choix de matière ravinée,
Loin du front lisse, du front pur,
De marquer chaque jour, année,
Par un sillon, par un trait dur.
Sur le corps de porter la trace,
L'oeil cave après mauvais sommeil,
Veille est ridicule menace
Si contre nuit vaut plus éveil.
Contre ce que le corps désire
Dans les deux-à-deux passionnés,
Narguer le ricanement pire:
A vivre, hommes sont condamnés...
Les femmes ont meilleure chance,
La suprême drogue d'amour
Pour elles n'est pas suppléance,
Elles n'y cherchent pas secours.
Choix des ressacs, de la tempête,
Des risques, dangers, aléas,
De la chute et de la défaite
Inséparable de tout pas.
Choix du goût lugubre d'Octobre,
De la pluie et claques de vent,
Lorsque l'hiver vient comme opprobre
Evadé perdu poursuivant.
Du frisson, de la mort qui coule
Dans la poitrine des fiévreux,
Le choix est signé d'où découle
Sûr terrain au mal insidieux.
De tout ce que la chair comporte,
De sa liesse et de sa mort,
L'homme ainsi choisit sa cohorte
Où les maux sont plus pur trésor.
Donc nuits ne seront plus avec rivages loin,
Où l'âme en évasion prend de corps sa vacance,
Se livre à l'abandon comme enfant dans les soins,
Retourne à son séjour et à sa permanence -
La nuit qui se déroule ainsi que majesté
Etrangère aux humains, fermée à leur requête,
A leurs sursauts, à leur petite obscurité,
Tandis qu'elle accomplit son immobile fête
En ses étoiles implacables, en son ciel.
Semblable bercement n'est que pour son fidèle
Qui arrive au sommeil, sans rappel, sans nul fiel.
Contre la démission, le choix de la querelle
Qui est ravir au gouffre, un souffle, une expression -
De l'esprit harassé qui revoit ses cadences
Eteintes, dans le jour, elles avaient passion -
De la lutte inégale et de ses défaillances
Choix.
Choix définitif et loyal,
Choix redressé, autoritaire,
Choix décidé pour intégral,
Choix qui sait ce qu'il lui faut taire.
Le faix d'enfantement, la lente gestation,
L'impatience avant le terme délivrance,
Le germe ridicule et sa déformation
Avant récompense des traits, avant naissance.
L'oeuvre mue à tâtons, faite avec chair et sang,
Alimentant ses sucs aux pleurs, même à la faute,
Mystère de l'appel de l'esprit gémissant
Qui contre amour donné, charge le mal et l'ôte.
Choix qui ne sera pas, en franchissant le seuil,
Un choix qui se maudit, remâche sa révolte,
Comme esclave muet, ne gardant que l'orgueil,
Obligé de lier du maître la récolte
Mais le faisant fermé dans haine et dans mépris,
Ni choix qui déjà sait qu'il a fourni la preuve
De signifier pouvoir, d'avoir triomphe pris -
Ciel, ne t'entrouvre pas, de difficile épreuve
Choix.
XV
O gloire, ô déesse,
Tel enfant vermeil à la poupe,
Telle fière amazone en croupe,
Approche, Beauté !
Suprême largesse,
Comme certitude d'aurore,
Comme croyant qui Dieu adore,
Luis, félicité !
Plus sûre promesse
Que de sexe la farandole
Qui gambade vers fausse idole,
Montre probité.
Pose ta caresse
Comme une main sur un visage,
Tel satin de lèvre volage,
Qui émeut péché.
Tu es la tendresse
Qui n'affadit, qui mieux fait vivre,
Qui réveille l'ardeur à suivre,
Donne à satiété.
Parfaite maîtresse,
Toi, défi du temps tu endures,
Ripostes par meilleur murmure
D'immortalité.
Ta sûre noblesse
Moquant, se rit du vain passage
Qui de finir doit prendre image,
Pour éternité.
Viens cueillir hardiesse
D'une étreinte contre chair même,
Dans les bras d'autre homme qui t'aime
Virile beauté !
XVI
La demeure
I
La demeure appartient au Père,
Ainsi que palais chez les fées
Les murs ont tissu de mystère,
L'ange et l'élu font coryphées.
Les portes sont portes de perle,
La ville est faite d'or très pur,
L'onde des bienheureux déferle,
S'abîme en le gouffre d'azur.
L'autre dont la lumière éclaire
A transparence de cristal,
Le soleil, le reflet lunaire,
Cèdent devant l'Agneau lilial.
Jaspe, béryl et calcédoine,
Des murs le précieux ciment,
Avec améthyste et sardoine
Sont de muraille fondement.
Comme vers l'époux une épouse
Vient dans ses riches ornements,
La ville ayant de portes douze
S'élève au son des instruments.
Jeu des harpes fait l'harmonie
Pour chant du cantique nouveau
Célèbrent l'élection bénie
De celui qui ouvrit le sceau.
Eclairs brillent, voix et tonnerre,
Mugit le bruit de grandes eaux,
Transparente comme le verre,
Une mer étend ses niveaux.
D'éclat pareil à l'émeraude,
Autour du trône, un arc-en-ciel
Est nombre, révérence et laude
Auprès du siège intemporel.
D'autres trônes, couronnes, coupes,
Les parfums, prières des saints,
D'élus, les innombrables troupes
Revenues après corps humains.
Sur des chevaux blancs, des armées,
Vêtues en fin lin virginal,
Et les sept lampes allumées
Qui sont l'Esprit vainqueur du mal.
La rivière qui sort du trône
Marque en la place le milieu,
De son eau vive est faite aumône,
Il est donné au victorieux.
Les feuilles de l'arbre de vie
Guérissent toutes les nations,
Leur haine, peine, leur envie
Se transforme en bénédictions.
Que pourraient ouïr les oreilles.
Et comment pourraient voir les yeux,
Musique et scène non pareilles
Dépassent les possibles voeux.
Le jugement dit au fidèle:
Vous n'avez renoncé mon Nom !
Bien qu'ayant été homme frêle
Il recueille ici floraison.
Son front, le signe qu'il espère,
L'or ayant passé par le feu,
Reçoit la marque qui s'avère
celle de l'éternel enjeu.
Ici, honneur, gloire et puissance,
Ici le principe et la fin,
L'alpha, l'omniscience
La parenté des séraphins...
La Demeure appartient au Père,
Ainsi que palais chez les fées
Les murs ont tissu de mystère,
L'ange et l'élu font coryphées.
II
Le Fils étant venu sur terre
Pour y jouer la Rédemption,
A, la demeure de son Père,
Traduit en humaine expression.
Ayant connu le coeur de l'homme,
Il a dit pour ce faible coeur,
Les mots nouveaux dont se dénomme
La palme livrée au vainqueur.
La caresse de la Parole
Règne comme un essaim léger,
Telle flotterait banderole,
Pavois dressé pour louanger.
Les pauvres ici sont les rois,
Pauvres en fait et en esprit,
L'aumône aura toujours emplois,
Versez donc du parfum le prix !
Souveraineté ils partagent,
Ils règnent avec les enfants,
De ceux-ci fut donnée image
Pour modèle et enseignement.
Avec les purs, les pacifiques,
Les doux aussi sont bienheureux,
Les visions béatifiques
A l'infini parent leurs yeux.
Traités avec miséricorde
Seront les miséricordieux,
De l'éternité blanche exorde,
Ils s'appellent enfants de Dieu.
La faim et soif de la justice
Qui brûle en les persécutés,
Est d'accomplissement prémice,
Les avides sont rassasiés.
La certitude la meilleure,
Que les yeux un jour sont séchés,
Est dite: Heureux sont ceux qui pleurent,
Au terme ils seront consolés.
Le don fait avec toute force
Contre-balance le péché,
Si le pécheur son poids efforce
A aimer, de soi détaché,
Son prochain contre autre lui-même:
Pour posséder la vie en soi,
Point n'est besoin d'autre baptême,
Formule telle a eu la loi.
La terre redevient féconde,
Même si l'homme est imparfait,
Celui qui requiert pour le monde
Froment, pluie et ruisseaux de lait.
D'infirmités et de bassesse
Le vivant se doit glorifier,
Car pour soutenir sa faiblesse
La grâce le vient fortifier.
A ceux qui blessent, la réponse
C'est: ils ne savent ce qu'ils font,
Lèvres rien d'autre ne prononcent
Au sein de la désolation
Ouvert est à celui qui frappe,
Car à son fils qui veut du pain,
Père donne-t-il pas agape,
Le laisse-t-il mourir de faim ?
Afin que joie en soit parfaite
Demandez et vous recevrez,
Point ne s'établit la défaite
Si vous cherchez, vous trouverez...
La Demeure appartient au Père,
Ainsi que palais chez les fées
Les murs ont tissu de mystère,
L'ange et l'élu font coryphées.
III
L'esprit, c'est le parler des arbres,
De monts, plaines et océans,
Comme forme incluse en des marbres
Que délivre un ciseau puissant.
C'est le murmure des feuillages
Qui s'élève avant le matin,
C'est silence sous des ombrages
Auquel cède penser hautain.
C'est déjà dans l'amibe, enclose
Vie pour sa lente ascension,
Qui en l'homme sera déclose
Au terme de la progression.
La pierre, esclave, le possède,
Les paroles ont éclat changeant,
Il est, bien que muet, l'aède
Qui éclora dans un enfant.
Il remonte le cours des règnes
Du minéral jusqu'à l'humain,
Végétal, animal imprègne
Se nomme fleur, se nomme instinct,
Depuis la sève dans les plantes
Doit devenir l'aspiration,
Ce désir, élu, qui te hante
Tant que tu n'as fait soumission.
"Que tu ne m'aies connu, Moi-l'âme
Partout, d'univers satiété,
Moi, dans musique qui te pâme,
Sûr tropisme d'éternité.
Je suis cet appel ineffable
Qui t'a voulu voir défaillir,
Le Fidèle et le Véritable,
Dans mes champs, viens moisson cueillir.
Comme de ton oeil la prunelle,
Je garde, te satisferai,
La protection de mon aile
Te couvrira, puissance j'ai.
Tu as quitté la servitude,
Tu es enfant d'adoption,
Dépouille crainte et lassitude
Héritier de bénédiction !
Le rajeunissement de l'aigle,
Celui par qui chair refleurit,
C'est moi le Verbe, Moi la Règle
Qui à la création prescrit.
L'éprouvé avec douleur sème,
Mais retour fait en chantant
Ses gerbes sont de ciel emblème,
Son Te Deum est un Péan."
Esprit, de Toi, de la lumière,
Pourquoi a-t-il fallu partir,
Pour pleurer hors de la prière,
Pour la douceur de revenir ?
Toi dont parfois folle évade,
Pardonne, rappelle, reprends,
Aie pitié, en la chair nomade
La créature peu comprend,
Ne voit qu'un phare, n'a qu'un gîte,
L'enveloppement du manteau
Qui toutes les douleurs abrite,
Qui à la peine est un berceau:
L'accomplissement du mystère
Sur le rivage au port certain,
C'est qu'une Vierge y est la Mère
De son Dieu et du genre humain...
La Demeure appartient au Père,
Ainsi que palais chez les fées
Les murs ont tissu de mystère,
L'ange et l'élu font coryphées.
XVII
Double tentation
Puisque le port est là, pourquoi pas le toucher ?
le soleil qui s'éteint abandonne la pierre,
A, de gris le couvrant, noyé l'or éphémère,
Comme sur un glacier que la nuit vient chercher.
Le jour rentre au sommeil l'horloge d'un clocher
Mesure pas ses coups un temps qui n'exaspère,
Cherche à s'évanouir, perfection espère,
Ici doit la rejoindre - encor pourquoi marcher ?
Semblable à l'eau du fleuve, allant vers inconnu.
Pourquoi pas amener sans rapt, cours continu,
A l'océan de l'être, humaine randonnée...
Encor au bord du monde, arrivant à l'esprit,
Souffle déposerait son faix endolori,
Et près des morts passés, conterait sa journée...
II
Mensonge ! au lendemain, lorsque le jour naîtra
Faiblesse de couchant s'efface, ici la terre,
La fête qui paraît avec matin, lumière
Le fantôme d'hier est absurde, il fuira.
Ce démon doucereux que le soir libéra
Est traîtrise, est abus de vapeur délétère !
Caresse, aube, tu es, ta texture est sincère,
Tisse fil de réel, annonce alleluia.
Le gris du crépuscule est couleur de chagrin...
Tu voudrais, courberais ? Vassal à suzerain,
Lâche, au Temps tu dirais: "Puisque brève est la somme..."
Insensé ! Tourne-toi, un visage t'attend
T'a fait signe... Entre infini et lui, qui se tend,
Double est la tentation, double, dupe, est un homme...
III
En avant terre et ses plaisirs,
A la cueillette des désirs !
les jeux un jour sont puérils,
En avant terre et ses périls !
En avant terre et ses présents,
Malgré tempête et les brisants,
Abrupte pente il faut gravir
En avant terre et la ravir !
En avant terre et ses frissons,
Marins supportent les moussons,
Au port trouvent délassement,
En avant terre et ses diamants !
En avant terre et ses moissons,
Courses à travers les buissons,
Dames servent les chevaliers,
En avant terre et ses lauriers !
En avant terre et ses bravos,
Ont beau railler les cieux rivaux,
Contre la chair ils ont dépit,
En avant terre et ses répits !
En avant la terre et ses fers,
Combattants n'ont pas peur d'enfers,
Courage est leur frivolité,
En avant terre et son été !
En avant terre et ses midis,
La chance vient aux étourdis,
A méfiance des érudits,
En avant terre et ses édits !
En avant terre et ses babils,
Amants préfèrent les Avrils,
Courtes ils font leurs oraisons,
En avant terre et ses gazons !
En avant terre et ses arrêts,
Obscurs sont tous autres décrets,
Le bonheur point n'est un délit,
En avant terre et ses parvis !
III
En avant terre et ses plaisirs,
A la cueillette des désirs !
Les jeux un jour sont puérils,
En avant terre et ses périls !
En avant terre et ses présents,
Malgré tempête et les brisants,
Abrupte pente il faut gravir
En avant terre et la ravir !
En avant terre et ses frissons,
Marins supportent les moussons,
Au port trouvent délassement,
En avant terre et ses diamants !
En avant terre et ses moissons,
Courses à travers les buissons,
Dames servent les chevaliers,
En avant terre et ses lauriers !
En avant terre et ses bravos,
Ont beau railler les cieux rivaux,
Contre la chair ils ont dépit,
En avant terre et ses répits !
En avant la terre et ses fers,
Combattants n'ont pas peur d'enfers,
Courage est leur frivolité,
En avant terre et son été !
En avant terre et ses midis,
La chance vient aux étourdis,
A méfiance des érudits,
En avant terre et ses édits !
En avant terre et ses babils,
Amants préfèrent les Avrils,
Courtes ils font leurs oraisons,
En avant terre et ses gazons !
En avant terre et ses arrêts,
Obscurs sont tous autres décrets,
Le bonheur point n'est un délit,
En avant terre et ses parvis !
XVIII
Exigence
Ose, corps, âme, ose avancer !
Le signe ? il est caché ? Qu'importe !
Le marteau pour le bien lancer,
Le muscle, de tout l'effort, porte,
Vibre... C'est le tressaillement
Qu'est le soupçon de l'héroïsme
A risquer, le redressement
Jusqu'à pure image, ancien prisme
Translucide, tel autrefois,
Avant la chute. Survivance
En chaque enfant, nouvel émoi,
Un instant, un éclair, jouvence...
L'adulte renie, il dément !
Faire face, il faut, être libre,
Ose l'épanouissement,
Tendue à son excès, la fibre !
Faiblesse est plus, tu la contrains,
Oblige à dissoner, ta forme
Quel voeu ? que reçoivent les mains ?
Sceptre, glaive, empire, réforme,
Même écarlate à la passion ?
Ose être simple, prends le globe
Et t'y attache ! tout à l'action,
Avec sang pur, résultat probe !
Assurance, tranquillité,
La faute est pure cicatrice,
S'avoisine à l'immensité,
L'indulgence y a ses blandices !
Vite, avec des temps saccadés,
Dégoût, l'écoeurante harmonie !
Essouflement, les évadés
Halètent ! Tiédeur, anémie,
Vomissures, mieux vaut partir
Avant que chair trop s'habitue
A son séjour, mieux vaut sortir
L'amour que future statue !
Au mot vieillesse, nul écho ?
La marche rebondit légère,
Pas rajeuni, nouveau, dispos,
Accablement ? rire ! naguère !
L'âge ressemble à contorsion
D'effort humain, auprès de l'ange
Qui lui, par toucher, sans pression,
Vainc. Succès, la grâce l'engrange.
Ainsi que promet un brouillard
Le matin , quand jour il épelle -
Calice, corolle avec nard,
Il est plus secrète asphodèle
Que la meilleure, humain amour,
Que la parfaite fleur de terre:
Lorsque homme, et femme, au reste sourds,
Sont en deux, comme solitaire,
Le monde autour s'est effacé...
Les gardiennes à l'entrée
Du tombeau d'empereur passé
Appellent à leur contrée,
Elles connaissent le tracé,
Sourire est leur invitation,
Vers où ? Les surprises d'Erèbe !
Jeune épousée, à la passion
Réponds ! ou comme aime un éphèbe !
Ose, Moïse au Sinaï
Recevait terreur pour les autres ?
Ancienne loi ! Nouveau pays,
Nouveau royaume, heureux apôtres !
Les rayons ciel ne foudroient plus,
Attirent, récoltent la manne
Des visages, d'aisé salut,
L'amour seul est terrestre, glane
Des épis vrais. Incantations ?
Heures où la correspondance
Est parfaite à la suggestion
Des étoiles, à la présence
Qu'elles cachent, à un couchant,
La mer à l'horizon, sereine,
Ou, lors de la moisson, les champs ?
Aller dans trop ardente arène...
Soudain chute. Pourquoi ? Adam
Est las, déjà, las de ce souffle
Que le doigt d'Eternel lui tend.
Gloire, maîtrise, l'art s'essouffle,
Pourquoi ? Pourquoi commencement ?
Pourquoi l'égoïste genèse
A-t-elle rompu firmament,
Voulu son reflet dans la glaise ?
Pourquoi le monde à soutenir
Sur une scène où la sottise,
Reine, donne goût de haïr !
Le médiocre,obsession, hantise !
Les drapeaux, même à eux, pourquoi ?
Tentation, l'indifférence !
Devoir, choisir force ou le droit ?
Cupidité, l'unique ambiance !
Les monuments gardent quel bien ?
Héros ? Les voix d'ailleurs s'éteignent,
Pourquoi un monde au lieu du rien ?
Le troupeau suit ? suit quelle enseigne !
Au mal, lendemain désisté,
Mémoire à peine des ténèbres,
Il fait beau, il fait enchanté,
Qu'ignorants sont les chants funèbres !
A l'homme est fait cadeau du jour,
De l'aube, bien qu'encore il dorme,
N'assiste que peu à la cour
D'aurore au ciel prenant sa forme.
Les yeux hantés de la forêt,
Les peurs de nuit ? Cauchemar, crainte !
Dans protection, effroi benêt !
Douleur décroît jusqu'à l'empreinte,
Le conte ouvre, l'inexploré,
Galop pressé, vers l'aventure !
Lèvres ont à peine effleuré,
Le goût est d'eau et de verdure,
Août, Septembre, les mois bénis,
Attardé le quartier de lune
Reste au matin... vers l'inouï !
Ose ! Mystère est la fortune
De savoir pour qui ne sait pas,
Pour ceux qui n'en ont déchirure,
Pour ceux que soif n'altère pas,
Boire. Souffrir la meurtrissure
Pour ceux qui ne sont pas meurtris.
Sentir le poids qui exaspère
Pour fronts qui ne sont pas flétris,
N'ont pas angoisse d'éphémère.
Au nouveau maître, à un enfant
Qui naît, passer la coupe pleine,
Le preux embouche l'olifant
Bien que de mort il ait la peine,
L'élan donne chance au record
D'infini mis à claire-voie,
De découverte d'un accord
Entre nuit et jour, pleur et joie...
XIX
Fierté
Avec fleurs, il faut,
Brillant sans défaut !
Avec âme altière,
Combat la rend fière.
Il est temps d'aller,
Fini de celer.
Sur marche du monde,
Présence féconde.
Preuve humilité
A eu satiété.
Un nom à l'aimée,
Sa loi renommée,
C'est: Matière France
Aide à la connaissance.
Avec parler haut,
Avec verbe chaud !
France douce et sainte
De l'homme fait plainte,
L'homme tout entier,
Sans inimitié.
Rivales patries?
Même confrérie,
Monde pélerin
Suit un seul chemin.
Tantôt est Cythère,
Tantôt baie amère,
D'univers le cours,
France fait secours.
Avec rythme ardent,
Avec suc mordant !
En rond, en facile
Parole ductile !
Derrière pleureurs,
Les triomphateurs ?
France, d'esprit l'hôte,
A clarté sans faute,
Meut la progression.
Chérit transgression.
En mal d'éphémère
Transcrit le mystère,
Vit dans la saison
D'humaine raison.
Avec front dressé.
Membre délassé !
Par la pure flamme
De ses Notre-Dame,
Strasbourg, Reims, Amiens,
L'humanité tient.
Ame comme un fleuve
Coule son épreuve.
Seine, Loire et Rhin,
Ont gai riverain.
La Garonne et Rhône
Font au midi trône,
Entre blés et vigne,
France a double signe.
Avec oeil riant
Au plaisir s'ouvrant !
Quercy et Saintonge
Il est pour tout songe,
France aucun désir
Laisse sans remplir.
Montagnes et plaine
Ont diverse haleine.
Thyms et serpolets,
Ruisseaux aigrelets,
Aussi la bruyère,
Landes et fougère...
Assez ondoyé,
Assez hésité.
Tel soldat s'armant,
Son dû réclamant,
Ranimant la cendre,
S'élançant vers prendre,
France dont le nom
A foi pour renom
De la créature
Adopte vêture,
Refait nouveaux saints,
En livre l'essaim,
Dresse l'oriflamme
Aux héros proclame:
Efficacité
Accomplit l'été.
(Temps de qui le tissu changeant...)
Temps de qui le tissu changeant
A fil de joie et de misère,
A ton jongleur, maître indulgent,
Apporte les dons qu'il espère.
Qu'espère bouche qui aspire
Ensemble l'air avec l'amour...
Adolescent qui sein respire,
Tu pars pour voyage au long cours !
Appel de sort, cri de destin,
Quand il réclame, exige d'être,
Tu goûteras à son festin
Il obéit, tu es le maître.
Triomphe a pour mots "tout est vôtre !"
Cours, t'acharnes, prends les travaux,
Ta corde est prête, contre l'autre,
Jaillissent accents triomphaux !
Pars aussi pour les abandons,
Pour Noëls et pour Pentecôtes.
Pour calmes au milieu des dons,
Pour jeux et ris, aimé, bel hôte !
Lorsque t'éveillera l'angoisse
Des démences d'un monde fou,
Lui-même oeuvrant pour qu'il décroisse,
S'entre-tuant, sans voir le coût
De vivants, souffle anéanti,
Créatures perdant l'haleine
Destinées à vaincre infini,
Au lieu de la commune peine
Tous supporter, tous la réduire
Par sang, effort universel,
Bonté, nouveau soleil séduire,
Terre livrant combat au ciel...
Tu trouveras total salut,
Amour, indiscernable brume,
L'élixir parfait, absolu,
Dont femme comble, emplit, parfume,
Qui sur le reste fait silence
Peut la blessure égaliser,
Te fait toucher suprême science,
L'ont pareille fleurs et baiser.
Le but, c'est vouloir éperdu
De fixer une heure immortelle,
Si par grâce tu as vaincu,
Content, rentre alors à tutelle...
Adieu Temps qui beau songe était,
Songe des amants n'a qu'une heure,
L'été finit, grillon chantait,
Songe fuit, viens en ta demeure.
Paris, été 1938
Fin
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