Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Martin (Marietta) 1902-1944: Adieu Temps (version page unique)

Martin (Marietta)

Adieu Temps

rédaction (1938), publication (1947)

 

En construction

Saisie en cours... encore incomplet

 

 

 

Adieu Temps

 

Adieu Temps qui beau songe était,

Bulle des amants et des fous,

Poète courte pause y fait,

Le réclame autre rendez-vous.

 

De rire et pleur il fait son chant.

Au Verbe, un cri est arraché,

A quel prix redevient enfant,

Le secret n'a pas trébuché.

 

Tel était jongleur puéril

Qui n'avait lyre ni bagage,

N'avait que souffle, pouvait-il

De son sang faire humain langage?

 

N'avait que fronde et point massue,

Fièvre il jetait, perdait son vivre -

Insuffisante et pauvre issue,

Mort entend avoir amant ivre.

 

Sentait amour, parfum, bouffée,

Nuit trop courte, le jour te presse -

Voulait,peinant, d'âme assoiffée

Faire la surhumaine liesse!

 

Goûtait, tremblait, ne saisissait

L'avide étreinte d'inconnu,

Butait au mur, cognait, tissait

Le fil implacable et ténu.

 

Le chemin âpre, dur, obscur,

Il montait, meurtri, corps saignant,

Nue en avant le guidait, sûr

Qu'hâvre serait pour doux plaignant.

 

Tant chercha ciel le découvrit,

Ciel serein, frais, paix et matin,

Féerie à ses yeux s'ouvrit,

Gazon épais, brocart, satin.

 

Songe affleura sous le réel.

Le réel s'invertit en songe,

Abandon devint son seul ciel,

Les jours, le fil qui l'erreur longe.

 

Lors attendit, musant, flânant,

Corps étaient doux et chair volage,

Mais ne voulut, fils et manant,

Qu'amour de son Sire et servage.

 

Arrêt viendra, quand étreindront

Dans Toujours, sans terme rival,

Les bras défaits, expireront

Baisers calmés, bonheur, aval...

 

Adieu Temps qui beau songe était,

Songe des amants n'a qu'une heure

L'été finit, grillon chantait,

Songe fuit et point ne demeure.

 

 

I

(Comment soupçonner...)

 

Comment soupçonner que l'écorce

Aurait force,

Il luttait, résistait contre être,

Ah, point maître?

 

Qui voulait pour lui et sans lui,

Sans son oui,

Qui voulait aller, lui rester,

Exister!

 

Lui voulait chaleur, éclat, fête,

La conquête,

Le cerveau lourd et qui bourdonne

Rien ne donne.

 

Il se rebellait sur les seuils,

Point de deuils,

Il voulait régner, triompher

Point créer...

 

Mais pénétra forêt très close

Où repose

Corps que l'autre corps reconnut,

En mourut.

 


Adieu 02 (Ivresse et détresse…).jpg
Adieu 03 (Seul les délices…).jpg

 

Adieu 04 - (Celui qui est saisi par Dieu).jpg

 

Adieu 05 Maladie.jpg

 

Adieu 06 Convalescence.jpg

 

Adieu 07 (Reprends ta forme…).jpg

 

Adieu VIII (Qui veut les voir…).jpg

 

 

 

IX

 

Il n'a pour arme que conscience

Que cette torche, vacillant,

Pour faire immortelle présence,

Que sang, faible ou fort, oscillant,

C'est maigre écu et pauvre lance

Contre le Temps,

Mais fier dans sa mince défense,

L'homme est content.

 

De sommeil enfance il s'éveille

Venant d'apprendre quel sort le surveille,

Quel nom, du destin, il aura.

En joyeux partant il s'avance

Vers Inconnu,

Vigueur le soulève, il s'élance,

Mais coeur est nu.

 

Durs coups, chutes, mainte bataille

Sont fragments d'un même combat,

Dans les assauts, vaille que vaille

Engagé, pafois il s'abat,

Repart,se voit couvert de fange,

Qu'a-t-il joué?

La lutte de l'hommeavec l'ange

L'a bafoué.

 

Pas jusqu'à mort. Une éclaircie,

Foyer, rayons, éclatement,

La chaleur croît, force affranchie

L'homme à la fois craint, fait serment,

Corps redressé,

Il monte, il dépasse, il est maître,

Nuit a cessé.

 

Blanc, bleu, soleil, intacte glace,

Le cadavre y conquiert sa paix,

Se conserve pur, à la place

Où le pionnier succombe au faix.

Les pics sont amusements frères,

Jeux de géant

Qui sa virilité libère

Se recréant.

 

Seul au zénith, passe un vol d'aigle,

O nuages, ô parent,

Royaume léger dont les règles

Sont joie avant d'être pitié.

La pitié oblige à descendre,

Envol fini,

Faibles armes,à les reprendre,

Eclat terni.

 

Le regret, lâche, n'a pas place!

Le roi reste roi s'il le veut,

Qu'il déguise, éteigne sa face,

C'est riche qui pauvre se veut,

Qui choisit d'imprimer sa marque

Et son sceau

Sur cire à disputer aux Parques

Dans un sursaut.

 

Rechargeant l'incompréhensible

Car un enfant s'est appuyé,

Va s'endormir, son cou flexible

Il penche, esprits  d'éther, fuyez!

Lui, du plus pauvre, n'a d'autre arme,

Nul est l'orgueil,

Le moindre entend l'humaine alarme

Frappe à un seuil.

 

Part plus grande est part de mystère,

Vois nouvelle à la création,

Parole où futur se référe,

La dire, mettre explication

Sur l'apparence, sous l'image

Trouver réel

Qui fuit comme cours de nuage

Sur léger ciel.

 

Pivoines, oeillets, chèvrefeuille,

Le jour même au matin naissant,

Oiseaux, saisons... le doute endeuille

Les yeux, partout, reconnaissant

Dans fleurs et maux similitude,

La parenté

D'insaisissable, vain prélude,

Anxiété!

 

Où le but? Pour dire les îles,

Les vaisselles d'or et d'argent,

Les villages, briques ou tuiles,

Races sous les climats changeants -

Rebelle est déjà le possible

Mots, bégaiement,

Alors vouloir l'inaccessible

Est-il dément?

 

Pour conquérir fleur de Puissance

Tu n'as que ton humilité,

Cueillir doucement Connaissance

N'est pas d'homme sagacité...

Rémission, Pâques fleuries,

L'esprit descend,

Fillette dans une prairie

Se baisse et prend...

 

Tu n'as d'arme que solitude

Pour terrasser, fauve dompté,

L'énigme, et pour vicissitude

Transmuer en la vérité -

Tristan a combattu le monstre

Pour cheveu d'or,

Mais d'amour allant à l'encontre

Recut sa mort.

 

Chevalier, va vers ta promesse,

Ni fétu, ni mol rejeton.

Beau plan éclot sa fleur maîtresse,

Corps jeune comme souple jonc

Est du tournoi la récompense,

Vivant enjeu,

Victoire, après vient indulgence,

Après, aveux.

 

Passage d'un vol de mouette,

D'un saule flexibilité,

Douceur, tu es aussi conquête,

Les matins ont virginité,

Tu leur ressembles, as du songe

D'avant-réveil

Qui vérité des nuits prolonge,

Toucher pareil.

 

L'humilité le sol féconde

Dóù l'expression sort jaillissant,

En mercis la parole abonde,

Louange de convalescent -

Mais s-il a fallu que s'éteigne

La rage au coeur,

Que pesant, constant, plus ne geigne

L'humain malheur.

 

Au sommet, une autre importance,

Plus pathétique violon,

Autre amour veut la préséance,

Assez d'aise, et mieux que flonflons.

D'un seul la propre délivrance

Et primauté

Serait peu, serait foin, pitance

D'homme bâté.

 

Il est d'autres yeux que de femme,

Il est d'autres corps que de chair,

Il est plus enivrant dictame

Que chant trouvé, que verbe clair,

Action boyante et nécessaire

Cherche à prier

Un pays a son oeuvre à faire

Veut ouvrier.

 

Comme individu se surpasse,

Il veut la haine dépasser,

Lui désirepour son audace

Par la fraternité surclasser.

A la cause inconnue, humaine,

Pour le lier,

Qui tait son propre sort, l'aliène,

Ménetrier!

 

N'ayant pour arme que conscience,

Que cette torche, vacillant,

Pour faire immortelle présence,

Que sang, faible ou fort oscillant,

C'est maigre écu et pauvre lance

Contre le Temps,

Mais fier dans sa mince défense,

L'homme est content.

 

 

 

X

 

La Forme

 

Forme, marbre exprimé, rêvé,

Forme, quand viendras-tu, qu'es-tu ?

Toi, seuil, et trait parachevé,

Toi en qui contraires inclus

Te font ressembler à plus tard,

A l'après, décor bienheureux

D'âme pure de corps bâtard,

Connaissant, libre, parmi cieux.

 

Il te faudrait légère, ailée,

Jeune, insouciante et dansante,

Allons, vole pour Renommée,

Rythmes nouveaux, fais, veuille, invente,

Sois feu, chanson, il le faut, vole,

Par-dessus monts, par-dessus plaines,

Parmi esprits que meut Eole,

Loin sont les cahots d'âme humaine...

 

Il suffit les articuler.

Tu montais, soudaine et stridente,

Descends, pour dans les foins aller,

Dans bois mouillés, terre impatiente,

Son sol, sa glèbe, ses sillons

Comme ceux du mal sur le monde,

Sur face d'homme las - réponds,

L'appel: en bas douleur abonde.

 

Vieillis, radieuse, charge-toi

D'angoisse, de terreur d'hiver,

Son pressentiment, souviens-toi:

L'automne est donc certain ? Trop fier

L'homme ne dit son sang glacé

Par cette pluie et nuit qui vient,

Tout trébuche, avenir, pitié,

Ciel entrevu, printemps est rien.

 

Ne reste pas sur les abîmes,

Ni sur les crêts, joie ou souffrance,

Aussi tu dois payer la dîme

A tiédeur, à l'humble présence

Où l'âme sans contours, rêveuse

Assiste à ses jours, étonnée,

Terre semblante à nébuleuse

Enveloppe désincarnée...

 

Soupir meilleur encor t'attend,

Tu dois fondre en Miséricorde,

En le baume parfait qui tend

Sur le triomphe de la horde

Des esprits mauvais, ennemis,

La pureté d'après orages,

Samedis bleus, loisir béni,

Plages dans le ciel, vertus, images.

 

Entêtement pour la puissance,

En amour, regard résolu -

Simple ou la plus dure allégeance,

Le fer de l'orgueil est rompu.

Tu décrois ? Rejaillis voyante,

Chamelle, ardente et volontaire,

Champ d'homme où règne dominante

Force de chef sur mercenaires.

 

Le pardon laisse hors Satan,

La rémission des nuits parfaites

Où la lune trône en rêvant

Est langueur lâchement soustraite

A l'implacable loi des chocs -

L'un sur l'autre atome s'acharne,

S'accouple comme creuse un soc,

Ainsi la matière s'incarne !

 

Ainsi le destin prend un homme,

L'entraîne là où il ne veut,

De forcé, son féal le nomme,

Lui résiste, dit qu'il ne peut,

Ne reconnaît ces Hespérides:

Dans les mémoires demeurer,

Rien ! en échange, au front des rides...

Forme, là tu dois repasser.

 

Comme sur les alleluias

Sur Porte de la vie, orée

Pour les adolescents, qui a

Goût de chair encore allaitée.

Repasser sur Amour, Beauté,

Sur pays, vertige et hostie,

Sur mirage Immortalité

Pour quoi, léger, l'imprudent prie.

 

Sur les grands, sur les beaux présages,

Sur l'enivrement des départs,

Pour gloire nul trop cher péage,

De norme, aux esclaves la part !

Sur la magie intraduisible,

Soupcon d'un être, plénitude

Derrière ce qui est audible,

Soir sur les champs, mansuétude.

 

Matin qui suit le soir de doute,

Sur thyrses blancs des aubépines,

O toi, dans la nature toute,

Dans le fruit rouge d'églantine,

Les flaques d'eau, reste des pluies,

L'ombre d'un toit sur de la neige,

Dans fleurs à foison des prairies,

Toi, élixir et sortilège !

 

Tu dois te confondre en le tout,

En tous pays, en tout comparse,

En tailleur qui dieu sous les coups

Dit: les suivants rejouent la farce !

Toi qui, voix aussi d'avenir,

Dans un monde aux formes nouvelles,

Dois donner forcé de partir

A ceux qu'à leur tour Temps appelle.

 

Malgré la cruauté des foules,

Leur bêtise, l'inanité,

Nombres en vain, d'hommes les houles

Se succèdent au vil marché !

Tu ne sais plus, naine Forme,

Plus qu'eux, ton être et ta raison,

Le mal qu'il faut que tu endormes

N'a pour signe que confusion.

 

Mètres ou phrases ? Quand ? Quel lien ?

A toi seulement s'apparente

Que péché parfois mène au bien.

Mystère analogue tu hantes,

A contre-coeur, de coeur qui aime

Et dois revenir coeur châtié,

Pourtant fécond et qui essaime.

 

Tes lois: sèche, hachée et nue,

Tel ressaut d'orgueil qui détend

L'union cependant résolue

Avec volonté une, aidant

De tes propres mains ta blessure,

Sachant qu'il faut tribu de sang,

Sans écart est la procédure

De rachat: flanc ouvert, coulant.

 

Avec l'épreuve inévitable,

Des poètes la parenté.

Poète souffre, ou bien qu'il meure,

Jeune, il recoit lors ses lauriers,

Celui qui sur terre demeure

Accepte: servir, exprimer.

 

Comment, inflexible et parfaite,

Dois-tu toujours rester tremblant,

Goutte, larme, à la chute prête,

Toi l'acier qui perces le Temps,

Casses les bercements fáciles,

As des orages la lueur...

Tu dois porter des voeux graciles,

Abaisse-toi, charge les coeurs.

 

Pour être du passé la somme,

Du tien, des lâchetés qu'il eut,

Lorsque de soi-même économe,

Il préférait faire refus

A l'intrusion douloureuse,

Comme première volupté,

S'entêtant, blsessante et voleuse,

Qui était toi, ô déité !

 

L'instant tombait, une mémoire

Obligeait veilles et l'effort,

Retenait, en faisant accroire

Avec son mirage de sort !

Plus jamais sur terre enfantine,

Sur vacances et les jeudis,

Dans une existence anodine

Ignorant qu'un jour la finit.

 

Et tant brisais, et tant broyais,

Que l'homme a pu se demander

Si ton nom même, Mort, n'était

L'autre vocable pour créer,

Si une était la perception

De toi et d'éveil redressé,

De vouloir durer, d'expression -

Double révolte d'insensé !

 

Obscure, celée et muette,

Flagrants seulement les défauts,

Quand, fugitive, une facette

Miroitait, c'était un lambeau,

Soupçon, trop fragile créance

Que détruisait un autre pas,

Volupté fait plus longue transe,

Ton baiser ne se connaît pas.

 

Car tu es l'onde initiale

Qui fit terre et la création,

Mais l'esprit captif plus n'exhale

Que d'Eden perdu le poison.

A l'univers sa secrète âme,

Infirme, le sens défaillant

N'arrache plus que vaine flamme,

Stérile est son embrassement.

 

Mystérieux or, tu as un chiffre

Que le créateur ne sait pas,

Tandis qu'en peinant il déchiffre

Des Angelus, aussi des glas,

Et ne reconnaît ta présence

Où nul mot ne peut se changer,

Qu'à ce qu'un jour il veut souffrance,

La chérit plus et mieux qu'aimer.

 

En ce jour, Forme, tu essores,

Mènes ronde d'éternité

Parmi les jeunes météores

Qui rient de ta félicité,

Et correspondance ingénue

A l'astre au firmament monté,

De ses mains sculptant Inconnue,

L'homme a façonne la Beauté.

 

 

XI

 

Endormi, vie, en toi, comme sur un beau sein,

C'est l'odeur d'un nénuphar blanc, pur, au coeur jaune,

Qui devient tienne, et monte, ensorcelant parfum,

Jusqu'à conscience, hybride volupté de faune.

 

Les pétales s'ouvrant achèvent la corolle

Qui se meut suivant l'onde, en un parfait ouïr

Ecoutant, pour un seul, secrète barcarolle -

Ainsi l'âme tu prends, mènes au défaillir.

 

Annihiles rappels, injustice, misère,

Les taudis où rageur, l'humilié s'exaspère,

Le square où vient en vain l'ivresse des tilleuls

 

Le soir, parmi les bancs grouillants, la poussière âcre...

L'oubli de ce à quoi poète se consacre

Tu verses, vie, est-ce extase, ou est-ce un linceul ?

 

 

XII

 

Pourquoi coeur meurtri,

Gentil mon ami,

Pourquoi coeur dolent

Gentil mon amant ?

 

Sans supercherie,

Gentille et amie,

Sois donc mieux boyante,

Gentille et amante.

 

Regard te dédit,

Gentil mon ami,

De toi j'ait tourment,

Gentil mon amant.

 

Femme se confie,

Gentille et amie,

Homme s'impatiente,

Gentille et amante,

 

Et contre quoi, dis,

Gentil mon ami,

Tu n'auras dépens,

Gentil mon amant ?

 

Haut je me récrie,

Gentille et amie,

Toi pour confidente,

Gentille et amante!

 

Je sais ton souci,

Gentil et ami,

Et baisers pourtant,

Gentil mon amant !

 

...Enlèvent point vie,

Gentille et amie,

Ni tempe battante,

Gentille et amante.

 

Battre pour quel prix,

Gentil mon ami,

Quels agonisants,

Gentil mon amant ?

 

Du Temps jonglerie,

Gentille et amie,

Ame est ressentante

Gentille et amante.

 

C'est là vain ennui,

Gentil mon ami,

De sot nécromant

Gentil mon amant.

 

Pourtant douleur crie,

Gentille et amie,

Douleur haletante,

Gentille et amante...

 

Corps à l'étourdi,

Gentil mon ami,

Oublient s'étreignant,

Gentil mon amant.

 

 

XIII

 

Mort, avant d'être cendre, froid,

Avant que ta riche image

Au lieu du trait enchanté, roi,

Marque les rides, creux, présage

Du hideux travail souterrain,

Qui viendra, sera, lèvres, bouche

Auront eu beau baiser, airain

Plus fort, sape, étreint, touche,

O mort, pourquoi ?

 

Mais s'il faut, puisque tu es sûre,

Puisque pour ton plus fol amant

Tu será implacable, dure,

Feras d'un vainqueur, un tremblant,

D'un héros, la loque apeurée,

Confuse, en sueur, ce paria,

Que lui qui t'avait caressée,

Lui, ton mignon, tu détruiras,

Tu prendras quoi ?

 

Sais-tu qui tes mains vont jeter

Au rien, telle proie à vautour,

Veux-tu réouïr son parler,

Toi qui es sourde à tout recours?

C'est toi, nuit, Obéron ailé !

L'or en fusion dans les couchants,

Entre les arbres, dans les blés,

Dans les cieux et dans les étangs,

C'est toi qu'il voit.

 

Dans les forêts et les jardins,

Le soir ou au premier matin,

Il pourrait, éperdu, nommer

Par ton nom et par ton baiser

Qu'ici-bas n'a pas de soutien

Autre que toi, unique lien

Entre parcelles à saisir,

A aggriper, mais vient Finir

Qui a nom toi.

 

Toi, rivage au bout de musique,

Toi, le désir après les livres,

Toi, l'alcool, l'encens qui fait vivre...

Ces mots, voilà quel est son crime !

Jusqu'à le défaire et détruire

Voilà ce pour quoi tu le brimes,

Azur, raison, cesse de luire,

Apparaît toi !

 

Son mal, son péché, diras-tu ?

Il gît vivant encor, amour,

Ta faux ne l'a pas abattu,

Monstre, idole, tu es autor,

Où se trompe-t-il, où ment-il,

Comment faut-il mieux t'appeler,

Quel est ta loi, ton voeu subtil,

Est-ce ne pas dissimuler,

Quels mots pour toi ?

 

Tu veux que soit toute, réelle,

L'adoration ? tu veux image

Comme aurore sembler pareille

A récompense d'enfant sage,

Non plus celée, après un voile,

Derrière aubes et crépuscules,

Mais brillante dans chaque étoile,

Et ce qui dans la brise ondule,

Que ce soit toi.

 

Toi dans tout, mêmedans l'enfance,

Toi dans la musique et les libres,

Facile, seule clairvoyance...

Mais barre, obstacle: les sens ivres.

Tu ne peux, Mort, être l'étreinte

Tu n'es pas corps entre les bras,

Tu n'es pas le momento sans feinte,

Corps qui dort comme comme en un trépas,

Mort, comme en toi.

 

Ce corps d'amant, défait, rompu,

Qui enfin las, peut-être sait

Le total, cycle révolu

De ce qu'en naissant il quittait

Pour être fruit d'embrassement,

Issu de chair et de contact,

Ravi au muet bercement

De l'avant-monde, d'être intact,

Libre de toi.

 

Là tu n'es pas, C'est contre toi

Que le corps aime, ce secret

Est un gouffre meilleur que toi,

Aussi profond, aussi muet,

Cette chair collée à la chair

Dans ce sommeil lourd, fatigué,

Sait plus, sait mieux, le spasme est clair,

A fait fi d'immortalité,

Sait contre toi.

 

Tu prends tout, mais le désir, non,

Lui meut, certain, le flux du sang,

Pas de faute à divination,

La peau touche, la chair ressent.

Rival, un seul: lors des drapeaux,

Quqnd destin, tel soleil levant,

Paraît ! Don, ultime joyau

Brille. Combat, sort captivant,

Suprême foi...

 

Entre les blés, matin, Juillet,

Marche, feu, le membre fléchit,

Quelqu'un a tiré du bosquet...

Pour un sol mêmement épris.

Femme ou pays, les deux autant,

Même aunage. `L'être assouvi,

De l'un et l'autre offre comptant,

Tout ou la fin, rien, corps ravi,

Riante croix.

 

Le trait part ferme, sans détour,

Vigueur, tension,nulle ombre, peine,

Les comparaisons alentour

Ne l'éteignent pas, pays mène

Sur l'alouette dans ciel d'Août,

Sur le grillon au bord de route,

La cigogne qui à grands coups

D'aile, du zénith fend la route,

Première loi.

 

Comme pour regard de beaux yeux,

Comme sève de feuille vert,

Le sol crie, appel prestigieux,

Envoûtement donné par perte

D'argile, de seul vase lourd...

Le frisson est même accompli,

Aussi certain, entier qu'amour -

Mort, ce sein qui offre repli,

C'était donc toi ?

 

 

XIV

 

Le choix

 

Contre ce qui rôdait, hantise, espoir brûlant,

Qui montait, scintillant, fiévreux, du crépuscule

Lorsque le bleu croissait, le soir s'amoncelant,

Quand Futur promettait, dévorant son crédule,

Quand la nuit de la ville, allumée à ses feux,

Effaçait la lumière, en chassait la texture

Encor se souvenant du matin, de ses dieux

Malgré l'acharnement du jour à les exclure -

Lorsque l'adolescent, pour affermir le sol

Qu'il sent fuir sous ses pas, en vain, d'oiseaux en vol;

Mais le faux éclat gagne et transforme en grimoire

Clarté, limpidité, fait appel à chaleur

Comme à fièvre de sang, dans la pièce enfumée

L'accroît, ainsi surgit l'esprit d'une vapeur -

Contre l'âme en recul derrière chair pâmée,

Choix.

 

L'heure ainsi que l'oubli pressait, faisait l'aveu

De présence à broyer, présence positive,

Rappel, soupçon, les lampes détruiront ce feu

Ou il envahira - ce mal, ardeur rétive

Sur laquelle placer l'alcool comme un onguent,

Ce mal à terrasser avait nom clairvoyance.

Lucidité guettait, ainsi qu'un fou cherchant

Place où poser son rapt: que terre était démence !

Alors des notes, non pas l'infini traînant,

Mais celle qui menait à la chair, à la femme,

Au désir des épaules nues, au cou s'offrant,

Aux parfums, à l'étoffe, au babil comme gamme

D'oiseau vers un haut trille, et décharge d'amour,

L'oublier dans l'action, au fort boisson meilleure -

Encor le cri, oubli, son Léthé, son secours...

Contre le piètre champ, de lice supérieure

Choix,

 

Sur quelle terre, naufragé,

Pour que paysage ait changé,

Pour que destin sit engagé,

Que rebelle soit obligé

A se connaître protégé ?

 

Quel est appui meilleur que livre,

De quelle ébriété l'homme ivre,

Quel but apparaît à poursuivre,

Quelle est jeune oriflamme à suivre,

Pour quelle charge appel de cuivre ?

 

Le refus obstiné se transforme en un choix

Qui comporte pour loi, unique, la promesse:

Un homme se décide à remplir son emploi

Contre son propre pleur et sa propre faiblesse;

La vision meurtrira autant que cécité,

Lucidité fait mal, aller dans la lumière

Est aussi dur chemin que dans obscurité

De ciel qui se refuse à l'anxieuse prière;

Les matins trop parfaits étouffent, ils crieront

Comme misère crie hideuse patenôtre,

Là où luxure et honte, ensemble comme plomb

S'accouplent, où la fille, où l'ivrogne se vautre !

De toute oppression, du désir belliqueux

D'affronter, nu, les maux, puisque l'ingratitude

Autrement, triomphant, fait de l'homme un peureux

Qui préfère oublier, préfère l'hébétude -

Choix.

 

Choix des lourdes chutes d'ivresses,

Du goût cendre oppressant soudain,

C'est la mort qui son droit d'ainesse

Affirme, implacable et certain.

 

Mort qui passe dans baisers même,

Dans crépuscule du matin,

Ceux dont le poète a fait thème

De son effroi, de leur venin.

 

Parmi les peurs, peur de la foule,

Celle, féroce, du plaisir,

A noyer dans vin, ou s'écoule

La face ! un corps que prend moisir !

 

Choix du souvenir de misère,

Le ciel, reflet dans les ruisseaux,

En haut, bleu moqueur qui s'insère

Entre des toits, pièce, morceau !

 

Aubes pures ? Le choix des autres,

De lourdeur, d'avoir le corps las,

De reniement, mauvais apôtre

Qui s'enfuit, d'être celui-là.

 

Ainsi frappé le blessé crie

Qui a fait sacrifice avant,

Mais qui à la mort, plus ne prie

Que par sa douleur et son sang.

 

Choix en étreignant les nuées -

Telle la haute voix d'un choeur,

Qui soutient, la plus élevée -

Même à bas, choix d'être vainqueur.

 

Choix de matière ravinée,

Loin du front lisse, du front pur,

De marquer chaque jour, année,

Par un sillon, par un trait dur.

 

Sur le corps de porter la trace,

L'oeil cave après mauvais sommeil,

Veille est ridicule menace

Si contre nuit vaut plus éveil.

 

Contre ce que le corps désire

Dans les deux-à-deux passionnés,

Narguer le ricanement pire:

A vivre, hommes sont condamnés...

 

Les femmes ont meilleure chance,

La suprême drogue d'amour

Pour elles n'est pas suppléance,

Elles n'y cherchent pas secours.

 

Choix des ressacs, de la tempête,

Des risques, dangers, aléas,

De la chute et de la défaite

Inséparable de tout pas.

 

Choix du goût lugubre d'Octobre,

De la pluie et claques de vent,

Lorsque l'hiver vient comme opprobre

Evadé perdu poursuivant.

 

Du frisson, de la mort qui coule

Dans la poitrine des fiévreux,

Le choix est signé d'où découle

Sûr terrain au mal insidieux.

 

De tout ce que la chair comporte,

De sa liesse et de sa mort,

L'homme ainsi choisit sa cohorte

Où les maux sont plus pur trésor.

 

Donc nuits ne seront plus avec rivages loin,

Où l'âme en évasion prend de corps sa vacance,

Se livre à l'abandon comme enfant dans les soins,

Retourne à son séjour et à sa permanence -

La nuit qui se déroule ainsi que majesté

Etrangère aux humains, fermée à leur requête,

A leurs sursauts, à leur petite obscurité,

Tandis qu'elle accomplit son immobile fête

En ses étoiles implacables, en son ciel.

Semblable bercement n'est que pour son fidèle

Qui arrive au sommeil, sans rappel, sans nul fiel.

Contre la démission, le choix de la querelle

Qui est ravir au gouffre, un souffle, une expression -

De l'esprit harassé qui revoit ses cadences

Eteintes, dans le jour, elles avaient passion -

De la lutte inégale et de ses défaillances

Choix.

 

Choix définitif et loyal,

Choix redressé, autoritaire,

Choix décidé pour intégral,

Choix qui sait ce qu'il lui faut taire.

 

Le faix d'enfantement, la lente gestation,

L'impatience avant le terme délivrance,

Le germe ridicule et sa déformation

Avant récompense des traits, avant naissance.

L'oeuvre mue à tâtons, faite avec chair et sang,

Alimentant ses sucs aux pleurs, même à la faute,

Mystère de l'appel de l'esprit gémissant

Qui contre amour donné, charge le mal et l'ôte.

Choix qui ne sera pas, en franchissant le seuil,

Un choix qui se maudit, remâche sa révolte,

Comme esclave muet, ne gardant que l'orgueil,

Obligé de lier du maître la récolte

Mais le faisant fermé dans haine et dans mépris,

Ni choix qui déjà sait qu'il a fourni la preuve

De signifier pouvoir, d'avoir triomphe pris -

Ciel, ne t'entrouvre pas, de difficile épreuve 

Choix.

 

 

XV

 

O gloire, ô déesse,

Tel enfant vermeil à la poupe,

Telle fière amazone en croupe,

Approche, Beauté !

 

Suprême largesse,

Comme certitude d'aurore,

Comme croyant qui Dieu adore,

Luis, félicité !

 

Plus sûre promesse

Que de sexe la farandole

Qui gambade vers fausse idole,

Montre probité.

 

Pose ta caresse

Comme une main sur un visage,

Tel satin de lèvre volage,

Qui émeut péché.

 

Tu es la tendresse

Qui n'affadit, qui mieux fait vivre,

Qui réveille l'ardeur à suivre,

Donne à satiété.

 

Parfaite maîtresse,

Toi, défi du temps tu endures,

Ripostes par meilleur murmure

D'immortalité.

 

Ta sûre noblesse

Moquant, se rit du vain passage

Qui de finir doit prendre image,

Pour éternité.

 

Viens cueillir hardiesse

D'une étreinte contre chair même,

Dans les bras d'autre homme qui t'aime

Virile beauté !

 

 

XVI

 

La demeure

 

I

 

La demeure appartient au Père,

Ainsi que palais chez les fées

Les murs ont tissu de mystère,

L'ange et l'élu font coryphées.

 

Les portes sont portes de perle,

La ville est faite d'or très pur,

L'onde des bienheureux déferle,

S'abîme en le gouffre d'azur.

 

L'autre dont la lumière éclaire

A transparence de cristal,

Le soleil, le reflet lunaire,

Cèdent devant l'Agneau lilial.

 

Jaspe, béryl et calcédoine,

Des murs le précieux ciment,

Avec améthyste et sardoine

Sont de muraille fondement.

 

Comme vers l'époux une épouse

Vient dans ses riches ornements,

La ville ayant de portes douze

S'élève au son des instruments.

 

Jeu des harpes fait l'harmonie

Pour chant du cantique nouveau

Célèbrent l'élection bénie

De celui qui ouvrit le sceau.

 

Eclairs brillent, voix et tonnerre,

Mugit le bruit de grandes eaux,

Transparente comme le verre,

Une mer étend ses niveaux.

 

D'éclat pareil à l'émeraude,

Autour du trône, un arc-en-ciel

Est nombre, révérence et laude

Auprès du siège intemporel.

 

D'autres trônes, couronnes, coupes,

Les parfums, prières des saints,

D'élus, les innombrables troupes

Revenues après corps humains.

 

Sur des chevaux blancs, des armées,

Vêtues en fin lin virginal,

Et les sept lampes allumées

Qui sont l'Esprit vainqueur du mal.

 

La rivière qui sort du trône

Marque en la place le milieu,

De son eau vive est faite aumône,

Il est donné au victorieux.

 

Les feuilles de l'arbre de vie

Guérissent toutes les nations,

Leur haine, peine, leur envie

Se transforme en bénédictions.

 

Que pourraient ouïr les oreilles.

Et comment pourraient voir les yeux,

Musique et scène non pareilles

Dépassent les possibles voeux.

 

Le jugement dit au fidèle:

Vous n'avez renoncé mon Nom !

Bien qu'ayant été homme frêle

Il recueille ici floraison.

 

Son front, le signe qu'il espère,

L'or ayant passé par le feu,

Reçoit la marque qui s'avère

celle de l'éternel enjeu.

 

Ici, honneur, gloire et puissance,

Ici le principe et la fin,

L'alpha, l'omniscience

La parenté des séraphins...

 

La Demeure appartient au Père,

Ainsi que palais chez les fées

Les murs ont tissu de mystère,

L'ange et l'élu font coryphées.

 

 

II 

 

Le Fils étant venu sur terre

Pour y jouer la Rédemption,

A, la demeure de son Père,

Traduit en humaine expression.

 

Ayant connu le coeur de l'homme,

Il a dit pour ce faible coeur,

Les mots nouveaux dont se dénomme

La palme livrée au vainqueur.

 

La caresse de la Parole

Règne comme un essaim léger,

Telle flotterait banderole,

Pavois dressé pour louanger.

 

Les pauvres ici sont les rois,

Pauvres en fait et en esprit,

L'aumône aura toujours emplois,

Versez donc du parfum le prix !

 

Souveraineté ils partagent,

Ils règnent avec les enfants,

De ceux-ci fut donnée image

Pour modèle et enseignement.

 

Avec les purs, les pacifiques,

Les doux aussi sont bienheureux,

Les visions béatifiques

A l'infini parent leurs yeux.

 

Traités avec miséricorde

Seront les miséricordieux,

De l'éternité blanche exorde,

Ils s'appellent enfants de Dieu.

 

La faim et soif de la justice

Qui brûle en les persécutés,

Est d'accomplissement prémice,

Les avides sont rassasiés.

 

La certitude la meilleure,

Que les yeux un jour sont séchés,

Est dite: Heureux sont ceux qui pleurent,

Au terme ils seront consolés.

 

Le don fait avec toute force

Contre-balance le péché,

Si le pécheur son poids efforce

A aimer, de soi détaché,

 

Son prochain contre autre lui-même:

Pour posséder la vie en soi,

Point n'est besoin d'autre baptême,

Formule telle a eu la loi.

 

La terre redevient féconde,

Même si l'homme est imparfait,

Celui qui requiert pour le monde

Froment, pluie et ruisseaux de lait.

 

D'infirmités et de bassesse 

Le vivant se doit glorifier,

Car pour soutenir sa faiblesse

La grâce le vient fortifier.

 

A ceux qui blessent, la réponse

C'est: ils ne savent ce qu'ils font,

Lèvres rien d'autre ne prononcent

Au sein de la désolation

 

Ouvert est à celui qui frappe,

Car à son fils qui veut du pain,

Père donne-t-il pas agape,

Le laisse-t-il mourir de faim ?

 

Afin que joie en soit parfaite

Demandez et vous recevrez,

Point ne s'établit la défaite

Si vous cherchez, vous trouverez...

 

La Demeure appartient au Père,

Ainsi que palais chez les fées

Les murs ont tissu de mystère,

L'ange et l'élu font coryphées.

 

III

 

 

L'esprit, c'est le parler des arbres, 

De monts, plaines et océans,

Comme forme incluse en des marbres

Que délivre un ciseau puissant.

 

C'est le murmure des feuillages

Qui s'élève avant le matin,

C'est silence sous des ombrages

Auquel cède penser hautain.

 

C'est déjà dans l'amibe, enclose

Vie pour sa lente ascension,

Qui en l'homme sera déclose

Au terme de la progression.

 

La pierre, esclave, le possède,

Les paroles ont éclat changeant,

Il est, bien que muet, l'aède

Qui éclora dans un enfant.

 

Il remonte le cours des règnes

Du minéral jusqu'à l'humain,

Végétal, animal imprègne

Se nomme fleur, se nomme instinct,

 

Depuis la sève dans les plantes

Doit devenir l'aspiration,

Ce désir, élu, qui te hante

Tant que tu n'as fait soumission.

 

"Que tu ne m'aies connu, Moi-l'âme

Partout, d'univers satiété,

Moi, dans musique qui te pâme,

Sûr tropisme d'éternité.

 

Je suis cet appel ineffable

Qui t'a voulu voir défaillir,

Le Fidèle et le Véritable,

Dans mes champs, viens moisson cueillir.

 

Comme de ton oeil la prunelle,

Je garde, te satisferai,

La protection de mon aile

Te couvrira, puissance j'ai.

 

Tu as quitté la servitude,

Tu es enfant d'adoption,

Dépouille crainte et lassitude

Héritier de bénédiction !

 

Le rajeunissement de l'aigle,

Celui par qui chair refleurit,

C'est moi le Verbe, Moi la Règle

Qui à la création prescrit.

 

L'éprouvé avec douleur sème,

Mais retour fait en chantant

Ses gerbes sont de ciel emblème,

Son Te Deum est un Péan."

 

Esprit, de Toi, de la lumière,

Pourquoi a-t-il fallu partir,

Pour pleurer hors de la prière,

Pour la douceur de revenir ?

 

Toi dont parfois folle évade,

Pardonne, rappelle, reprends,

Aie pitié, en la chair nomade

La créature peu comprend,

 

Ne voit qu'un phare, n'a qu'un gîte,

L'enveloppement du manteau

Qui toutes les douleurs abrite,

Qui à la peine est un berceau:

 

L'accomplissement du mystère

Sur le rivage au port certain,

C'est qu'une Vierge y est la Mère

De son Dieu et du genre humain...

 

La Demeure appartient au Père,

Ainsi que palais chez les fées

Les murs ont tissu de mystère,

L'ange et l'élu font coryphées.

 

 

 

XVII

 

Double tentation

 

Puisque le port est là, pourquoi pas le toucher ?

le soleil qui s'éteint abandonne la pierre,

A, de gris le couvrant, noyé l'or éphémère,

Comme sur un glacier que la nuit vient chercher.

 

Le jour rentre au sommeil l'horloge d'un clocher

Mesure pas ses coups un temps qui n'exaspère,

Cherche à s'évanouir, perfection espère,

Ici doit la rejoindre - encor pourquoi marcher ?

 

Semblable à l'eau du fleuve, allant vers inconnu.

Pourquoi pas amener sans rapt, cours continu,

A l'océan de l'être, humaine randonnée...

 

Encor au bord du monde, arrivant à l'esprit,

Souffle déposerait son faix endolori,

Et près des morts passés, conterait sa journée...

 

 

 

II

 

Mensonge ! au lendemain, lorsque le jour naîtra

Faiblesse de couchant s'efface, ici la terre,

La fête qui paraît avec matin, lumière

Le fantôme d'hier est absurde, il fuira.

 

Ce démon doucereux que le soir libéra

Est traîtrise, est abus de vapeur délétère !

Caresse, aube, tu es, ta texture est sincère,

Tisse fil de réel, annonce alleluia.

 

Le gris du crépuscule est couleur de chagrin...

Tu voudrais, courberais ? Vassal à suzerain,

Lâche, au Temps tu dirais: "Puisque brève est la somme..."

 

Insensé ! Tourne-toi, un visage t'attend

T'a fait signe... Entre infini et lui, qui se tend,

Double est la tentation, double, dupe, est un homme...

 

 

 III

 

En avant terre et ses plaisirs,

A la cueillette des désirs !

les jeux un jour sont puérils,

En avant terre et ses périls !

 

En avant terre et ses présents,

Malgré tempête et les brisants,

Abrupte pente il faut gravir

En avant terre et la ravir !

 

En avant terre et ses frissons,

Marins supportent les moussons,

Au port trouvent délassement,

En avant terre et ses diamants !

 

En avant terre et ses moissons,

Courses à travers les buissons,

Dames servent les chevaliers,

En avant terre et ses lauriers !

 

En avant terre et ses bravos,

Ont beau railler les cieux rivaux,

Contre la chair ils ont dépit,

En avant terre et ses répits !

 

En avant la terre et ses fers,

Combattants n'ont pas peur d'enfers,

Courage est leur frivolité,

En avant terre et son été !

 

En avant terre et ses midis,

La chance vient aux étourdis,

A méfiance des érudits,

En avant terre et ses édits !

 

En avant terre et ses babils,

Amants préfèrent les Avrils,

Courtes ils font leurs oraisons,

En avant terre et ses gazons !

 

En avant terre et ses arrêts,

Obscurs sont tous autres décrets,

Le bonheur point n'est un délit,

En avant terre et ses parvis !

 

 

 

III

 

 

En avant terre et ses plaisirs,

A la cueillette des désirs !

Les jeux un jour sont puérils,

En avant terre et ses périls !

 

 

En avant terre et ses présents,

Malgré tempête et les brisants,

Abrupte pente il faut gravir

En avant terre et la ravir !

 

En avant terre et ses frissons,

Marins supportent les moussons,

Au port trouvent délassement,

En avant terre et ses diamants !

 

En avant terre et ses moissons,

Courses à travers les buissons,

Dames servent les chevaliers,

En avant terre et ses lauriers !

 

En avant terre et ses bravos,

Ont beau railler les cieux rivaux,

Contre la chair ils ont dépit,

En avant terre et ses répits !

 

En avant la terre et ses fers,

Combattants n'ont pas peur d'enfers,

Courage est leur frivolité,

En avant terre et son été !

 

En avant terre et ses midis,

La chance vient aux étourdis,

A méfiance des érudits,

En avant terre et ses édits !

 

En avant terre et ses babils,

Amants préfèrent les Avrils,

Courtes ils font leurs oraisons,

En avant terre et ses gazons !

 

En avant terre et ses arrêts,

Obscurs sont tous autres décrets,

Le bonheur point n'est un délit,

En avant terre et ses parvis !

 

 

XVIII

Exigence

 

Ose, corps, âme, ose avancer !

Le signe ? il est caché ? Qu'importe !

Le marteau pour le bien lancer,

Le muscle, de tout l'effort, porte,

Vibre... C'est le tressaillement

Qu'est le soupçon de l'héroïsme

A risquer, le redressement

Jusqu'à pure image, ancien prisme

Translucide, tel autrefois,

Avant la chute. Survivance

En chaque enfant, nouvel émoi,

Un instant, un éclair, jouvence...

L'adulte renie, il dément !

Faire face, il faut, être libre,

Ose l'épanouissement,

Tendue à son excès, la fibre !

Faiblesse est plus, tu la contrains,

Oblige à dissoner, ta forme

Quel voeu ? que reçoivent les mains ?

Sceptre, glaive, empire, réforme,

Même écarlate à la passion ?

Ose être simple, prends le globe

Et t'y attache ! tout à l'action,

Avec sang pur, résultat probe !

Assurance, tranquillité,

La faute est pure cicatrice,

S'avoisine à l'immensité,

L'indulgence y a ses blandices !

Vite, avec des temps saccadés,

Dégoût, l'écoeurante harmonie !

Essouflement, les évadés

Halètent ! Tiédeur, anémie,

Vomissures, mieux vaut partir

Avant que chair trop s'habitue

A son séjour, mieux vaut sortir

L'amour que future statue !

Au mot vieillesse, nul écho ?

La marche rebondit légère,

Pas rajeuni, nouveau, dispos,

Accablement ? rire ! naguère !

L'âge ressemble à contorsion

D'effort humain, auprès de l'ange

Qui lui, par toucher, sans pression,

Vainc. Succès, la grâce l'engrange.

Ainsi que promet un brouillard

Le matin , quand jour il épelle -

Calice, corolle avec nard,

Il est plus secrète asphodèle

Que la meilleure, humain amour,

Que la parfaite fleur de terre:

Lorsque homme, et femme, au reste sourds,

Sont en deux, comme solitaire,

Le monde autour s'est effacé...

Les gardiennes à l'entrée

Du tombeau d'empereur passé

Appellent à leur contrée,

Elles connaissent le tracé,

Sourire est leur invitation,

Vers où ? Les surprises d'Erèbe !

Jeune épousée, à la passion

Réponds ! ou comme aime un éphèbe !

Ose, Moïse au Sinaï

Recevait terreur pour les autres ?

Ancienne loi ! Nouveau pays,

Nouveau royaume, heureux apôtres !

Les rayons ciel ne foudroient plus,

Attirent, récoltent la manne

Des visages, d'aisé salut,

L'amour seul est terrestre, glane

Des épis vrais. Incantations ?

Heures où la correspondance

Est parfaite à la suggestion

Des étoiles, à la présence

Qu'elles cachent, à un couchant,

La mer à l'horizon, sereine,

Ou, lors de la moisson, les champs ?

Aller dans trop ardente arène...

Soudain chute. Pourquoi ? Adam

Est las, déjà, las de ce souffle

Que le doigt d'Eternel lui tend.

Gloire, maîtrise, l'art s'essouffle,

Pourquoi ? Pourquoi commencement ?

Pourquoi l'égoïste genèse

A-t-elle rompu firmament,

Voulu son reflet dans la glaise ?

Pourquoi le monde à soutenir

Sur une scène où la sottise,

Reine, donne goût de haïr !

Le médiocre,obsession, hantise !

Les drapeaux, même à eux, pourquoi ?

Tentation, l'indifférence !

Devoir, choisir force ou le droit ?

Cupidité, l'unique ambiance !

Les monuments gardent quel bien ?

Héros ? Les voix d'ailleurs s'éteignent,

Pourquoi un monde au lieu du rien ?

Le troupeau suit ? suit quelle enseigne !

 

Au mal, lendemain désisté,

Mémoire à peine des ténèbres,

Il fait beau, il fait enchanté,

Qu'ignorants sont les chants funèbres !

A l'homme est fait cadeau du jour,

De l'aube, bien qu'encore il dorme,

N'assiste que peu à la cour

D'aurore au ciel prenant sa forme.

Les yeux hantés de la forêt,

Les peurs de nuit ? Cauchemar, crainte !

Dans protection, effroi benêt !

Douleur décroît jusqu'à l'empreinte,

Le conte ouvre, l'inexploré,

Galop pressé, vers l'aventure !

Lèvres ont à peine effleuré,

Le goût est d'eau et de verdure,

Août, Septembre, les mois bénis,

Attardé le quartier de lune

Reste au matin... vers l'inouï !

Ose ! Mystère est la fortune

De savoir pour qui ne sait pas,

Pour ceux qui n'en ont déchirure,

Pour ceux que soif n'altère pas,

Boire. Souffrir la meurtrissure

Pour ceux qui ne sont pas meurtris.

Sentir le poids qui exaspère

Pour fronts qui ne sont pas flétris,

N'ont pas angoisse d'éphémère.

Au nouveau maître, à un enfant

Qui naît, passer la coupe pleine,

Le preux embouche l'olifant

Bien que de mort il ait la peine,

L'élan donne chance au record

D'infini mis à claire-voie,

De découverte d'un accord

Entre nuit et jour, pleur et joie...

 

 

XIX

 

Fierté

 

Avec fleurs, il faut,

Brillant sans défaut !

Avec âme altière,

Combat la rend fière.

Il est temps d'aller,

Fini de celer.

Sur marche du monde,

Présence féconde.

Preuve humilité

A eu satiété.

Un nom à l'aimée,

Sa loi renommée,

C'est: Matière France

Aide à la connaissance.

 

Avec parler haut,

Avec verbe chaud !

France douce et sainte

De l'homme fait plainte,

L'homme tout entier,

Sans inimitié.

Rivales patries?

Même confrérie,

Monde pélerin

Suit un seul chemin.

Tantôt est Cythère,

Tantôt baie amère,

D'univers le cours,

France fait secours.

 

Avec rythme ardent,

Avec suc mordant !

En rond, en facile

Parole ductile !

Derrière pleureurs,

Les triomphateurs ?

France, d'esprit l'hôte,

A clarté sans faute,

Meut la progression.

Chérit transgression.

En mal d'éphémère

Transcrit le mystère,

Vit dans la saison

D'humaine raison.

 

Avec front dressé.

Membre délassé !

Par la pure flamme

De ses Notre-Dame,

Strasbourg, Reims, Amiens,

L'humanité tient.

Ame comme un fleuve

Coule son épreuve.

Seine, Loire et Rhin,

Ont gai riverain.

La Garonne et Rhône

Font au midi trône,

Entre blés et vigne,

France a double signe.

 

Avec oeil riant

Au plaisir s'ouvrant !

Quercy et Saintonge

Il est pour tout songe,

France aucun désir

Laisse sans remplir.

Montagnes et plaine

Ont diverse haleine.

Thyms et serpolets,

Ruisseaux aigrelets,

Aussi la bruyère,

Landes et fougère...

Assez ondoyé,

Assez hésité.

 

Tel soldat s'armant,

Son dû réclamant,

Ranimant la cendre,

S'élançant vers prendre,

France dont le nom

A foi pour renom

De la créature

Adopte vêture,

Refait nouveaux saints,

En livre l'essaim,

Dresse l'oriflamme

Aux héros proclame:

Efficacité

Accomplit l'été.

 

 

(Temps de qui le tissu changeant...)

 

Temps de qui le tissu changeant

A fil de joie et de misère,

A ton jongleur, maître indulgent,

Apporte les dons qu'il espère.

 

Qu'espère bouche qui aspire

Ensemble l'air avec l'amour...

Adolescent qui sein respire,

Tu pars pour voyage au long cours !

 

Appel de sort, cri de destin,

Quand il réclame, exige d'être,

Tu goûteras à son festin

Il obéit, tu es le maître.

 

Triomphe a pour mots "tout est vôtre !"

Cours, t'acharnes, prends les travaux,

Ta corde est prête, contre l'autre,

Jaillissent accents triomphaux !

 

Pars aussi pour les abandons,

Pour Noëls et pour Pentecôtes.

Pour calmes au milieu des dons,

Pour jeux et ris, aimé, bel hôte !

 

Lorsque t'éveillera l'angoisse

Des démences d'un monde fou,

Lui-même oeuvrant pour qu'il décroisse,

S'entre-tuant, sans voir le coût

De vivants, souffle anéanti,

Créatures perdant l'haleine

Destinées à vaincre infini,

Au lieu de la commune peine

Tous supporter, tous la réduire

Par sang, effort universel,

Bonté, nouveau soleil séduire,

Terre livrant combat au ciel...

 

Tu trouveras total salut,

Amour, indiscernable brume,

L'élixir parfait, absolu,

Dont femme comble, emplit, parfume,

 

Qui sur le reste fait silence

Peut la blessure égaliser,

Te fait toucher suprême science,

L'ont pareille fleurs et baiser.

 

Le but, c'est vouloir éperdu

De fixer une heure immortelle,

Si par grâce tu as vaincu,

Content, rentre alors à tutelle...

 

Adieu Temps qui beau songe était,

Songe des amants n'a qu'une heure,

L'été finit, grillon chantait,

Songe fuit, viens en ta demeure.

 

 

Paris, été 1938

 

 

 

Fin

 

 

 

 

 

 

 

 



11/04/2014
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 165 autres membres