Martin (Marietta) 1904-1944
Marietta Martin
(Pseudonyme éventuel: François Martin)
1904-1944
- Résistante
- Dimension mystique de l'oeuvre. (Voir l'article d'A. Béguin, Esprit, juillet 1954)
Adieu Temps
Celui qui est saisi par Dieu
Adieu temps
...Poète souffre, ou bien qu'il meure,
Jeune, il reçoit lors ses lauriers,
Celui qui sur terre demeure
Accepte: servir, exprimer...
La Forme
Ivresse et détresse
ivresse et détresse, ô deux soeurs!
Enchantements humains, serments,
Rires, éclats, près sont les pleurs,
Les pleurs trop doux au coeur dolent!
Jours de détresse, coeur dépris,
Le divin pleinement donné,
Mais point d'humain, tout est repris
A l'homme d'ange mâtiné.
Mal mâtiné, blessure, plaie,
Pourquoi brûlez-vous, pourquoi lui?
Bon grain, ivraie, avec l'ivraie
L'homme choisit terre et ses fruits!
Ses fruits dorés, ses fruits pulpeux,
Cette douce chair, doux les bras,
Chair d'amante, et d'amant les yeux,
Leur regard, fixe, ne ment pas.
Il donne, mire, il est vraiment,
Tandis que concept vaut fumée,
Tandis que le cerveau dément
Ce que corps veut, sa bien-aimée.
Toujours des cubes, des soleils,
Les nuits folles, juin, mai, les aoûts,
L'hiver trompe moins, les éveils
Des jours sombres prévoient les coups.
Vie, implacable adoration,
Toi qui meus ce limon obtus,
De l'éternité perversion,
Approcher, dire, voudras-tu?
Daigneras-tu enfin baiser
L'homme qui ne voulait que toi?
Tu sais bien qu'il tentait celer
Qu'un seul feu le brûlait: ta loi.
Il était bavard, gai, léger,
Il aimait, tu te refusais,
Te taisais, lui pour t'oublier
Se prostituait avec les niais.
Seul, son désir le reprenait,
Ne point sombrer, être, encore être,
Finir? Jamais! Il te serrait,
Immortalité, jour, renaître!
Mais ses mots brusquement tombaient,
A toi défait, châtié, point veule,
Il revenait, ses bras ouvraient,
Assagi, murmurait: toi seule...
Ah! viendras-tu, répondras-tu?
Parleras-tu en certitude,
Viendras-tu sur ce front têtu
Verser enfin béatitude?
Adieu Temps
Adieu Temps qui beau songe était,
Bulle des amants et des fous,
Poète courte pause y fait,
Le réclame autre rendez-vous.
De rire et pleur il fait son chant.
Au Verbe, un cri est arraché,
A quel prix redevient enfant,
Le secret n'a pas trébuché.
Tel était jongleur puéril
Qui n'avait lyre ni bagage,
N'avait que souffle, pouvait-il
De son sang faire humain langage?
N'avait que fronde et point massue,
Fièvre il jetait, perdait son vivre -
Insuffisante et pauvre issue,
Mort entend avoir amant ivre.
Sentait amour, parfum, bouffée,
Nuit trop courte, le jour te presse -
Voulait,peinant, d'âme assoiffée
Faire la surhumaine liesse!
Goûtait, tremblait, ne saisissait
L'avide étreinte d'inconnu,
Butait au mur, cognait, tissait
Le fil implacable et ténu.
Le chemin âpre, dur, obscur,
Il montait, meurtri, corps saignant,
Nue en avant le guidait, sûr
Qu'hâvre serait pour doux plaignant.
Tant chercha ciel le découvrit,
Ciel serein, frais, paix et matin,
Féerie à ses yeux s'ouvrit,
Gazon épais, brocart, satin.
Songe affleura sous le réel.
Le réel s'invertit en songe,
Abandon devint son seul ciel,
Les jours, le fil qui l'erreur longe.
Lors, attendit, musant, flânant,
Corps étaient doux et chair volage,
Mais ne voulut, fils et manant,
Qu'amour de son Sire et servage.
Arrêt viendra, quand étreindront
Dans Toujours, sans terme rival,
Les bras défaits, expireront
Baisers calmés, bonheur, aval...
Adieu Temps qui beau songe était,
Songe des amants n'a qu'une heure
L'été finit, grillon chantait,
Songe fuit et point ne demeure.
(Temps de qui le tissu changeant)
Temps de qui le tissu changeant
A fil de joie et de misère,
A ton jongleur, maître indulgent,
Apporte les dons qu'ils espère.
Qu'espère bouche qui aspire
Ensemble l'air avec l'amour...
Adolescent qui sein respire,
Tu pars pour voyage au long cours!
Appel de sort, cri de destin,
Quand il réclame, exige d'être,
Tu goûteras à son festin
Il obéit, tu es le maître.
Triomphe a pour mots "tout est vôtre"!
Cours, t'acharnes, prends les travaux,
Ta corde est prête, contre l'autre,
Jaillissent accents triomphaux!
Pars aussi pour les abandons,
Pour Noëls et pour Pentecôtes.
Pour calmes au milieu des dons,
Pour jeux et ris, aimé, bel hôte!
Lorsque s'éveillera l'angoisse
Des démences d'un monde fou,
Lui-même oeuvrant pour qu'il décroisse,
S'entretuant, sans voir le coût
De vivants, souffle anéanti,
Créatures perdant l'haleine
Destinées à vaincre infini,
Au lieu de la commune peine
Tous supporter, tous la réduire
Par sang, effort universel,
Bonté, nouveau soleil séduire,
Terre livrant combat au ciel...
Tu trouveras total salut,
Amour, indiscernable brume,
L'élixir parfait, absolu,
Dont femme comble, emplit , parfume,
Qui sur le reste fait silence
Peut la blessure égaliser,
Te fait toucher suprême science,
L'ont pareille fleurs et baiser.
Le but, c'est vouloir éperdu
De fixer une heure immortelle,
Si par grâce tu as vaincu,
Content, rentre alors à tutelle...
Adieu Temps qui beau songe était,
Songe des amants n'a qu'une heure,
L'été finit, grillon chantait,
Songe fuit, viens en ta demeure.
Adieu Temps, 1947 (écrit en 1938)
Revue Esprit, juillet 1954, extrait
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