Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Martin (Vio): 1906-1986)

Vio Martin

(poétesse romande)

1906-1986

 

   Trop souvent cantonnée dans le registre de la poésie pour enfants, facile à mémoriser , et finalement oubliée, cette poétesse romande mérite d'être redécouverte.

 

 

Bibliographie complète sur

"Le culturactif suisse"

 

 

Les poèmes qui suivent sont extraits de l'anthologie réalisée par Huguette Junod,

"Si les femmes nous étaient contées"

 

Voyage

 

Venoge, 1943

 

La délicatesse d'un paysage

lointain et presque uniformément bleu,

la houle nonchalante des nuages,

Quelques clochers épars, le jour laiteux,

les flaques de neige grise à l'orée

des bois, le tremblement clair des bouleaux

minces sur la pelouse abandonnée,

le sillage muet d'un vol d'oiseaux,

tout nous emporte vers d'autres domaines

où se confondent le songe et le soir,

où la mort à l'aube se mêle, amène

et calme, où la clarté n'est plus l'espoir.


            Les saisons parallèles, Revue moderne, Paris, 1952



Crépuscule

 

Peut-être que si je restais là

A regarder les choses jusqu'à

La fin des jours que Dieu m'a donnés,

Peut-être qu'à les tant contempler

Je connaîtrais le visage vrai

De la pierre dormante et du bois

Où se figera comme en secret

Ce soir une eau rouillée et sans voix.

                 

                    Les saisons parallèles, Revue Moderne, Paris, 1952

 


 

Le nom

 

Cette vague qui bruit

De toi-même à moi-même

Dans la moelle des nuits,

Ce sanglot dans les veines

Plus dur que les à-coups

Du sang rompu par l'âge,

Quel nom de vierge vent

Et de haute colonne.

De sol doux au passant

Et de blanche anémone?

 

Quel nom, ô mon amour?

 

Visages de la flamme, Ed. La Baconnière, Boudry, 1963


 

Des myriades d'insectes heureux

Habitent ma frêle maison de terre.

 

Ils sont éclos dans la source des pleurs

Le jour où ma soif étant trop amère

J'ai arraché du sol toutes les pierres.

 

Grave et tendre voyage, ED La Baconnière, Boudry, 1969

 


 

Routes

 

   O route prise dans le piège des parfums de juin! Me voici malgré moi - et sans défense - submergée par la vague chaude et odorante remontée soudain de ces dimanches d'enfance passés à l'ourlet des foins trop prompts à murir.

   Prise dans les mailles de ce tricot d'odeurs tièdes, emmiellées, nourissantes, une main de soleil sur la nuque, les pieds dans la poudre blanche des vieilles routes de campagne.

   Le grincement toujours le même du char à échelles au tournant de la route descendante, le ramier roucouleur dans l'ombre brune des frênes, dix heures qui sonnent au clocher sur la colline: rien n'est changé.

   Tu l'attendais, ce voyageur perdu, ô calme terre paysanne, terre de prime été aux courtes céréales bleues, aux murmurantes solitudes des clairières, des prés fermés, des vergers dans le dos des villages.

   Tu l'attendais, ô route cernée par le passé vivant...

   Me voici donc sur la route d'enfance retrouvée, parmi les foins victorieux. Je monte vers la colline. L'unique rue du bourg m'ouvre un chemin d'anciennes façades, de croisées gothiques, de fleurs rouges. La fillette rose et grise de mes huit ans sautille sur la bordure du trottoir. Le château avance sur la vallée une terrasse à créneaux, le temple écrase une large tour basse sous une tulipe rose renversée, le cimetière penche des touffes d'iris violets vers les prés de sauges et de scabieuses...

   Je ne serai jamais mieux que sur ce mur ensoleillé, les voiles glissantes des montagnes pâles au loin, les petits monts bleus boisés, le chemin droit de la forêt, le train fumeux qui joue tout seul sur le rail et, près de moi, dans ce beau livre blanc, le chant très pur d'un poète...

 

Equinoxe d'automne, Ed. Payot, Lausanne, 1947



02/01/2012
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