Marvig (Jeanne) 1882-1966
Jeanne Marvig
1882-1966
Au coeur des Pyrénées (1910)
Premiers frimas
Au poète François Tressère
Sequins de chrysoprase ou paillettes de rouille,
Les feuilles, aujourd'hui, pleuvent sur mon jardin,
Et font de ce refuge étroit de citadin,
La tombe où l'été mort enferme sa dépouille.
Elles tissent, pour que son aile ne se souille,
Un somptueux tapis au reflet purpurin
Où, comme les émaux d'un coffre byzantin,
Luisent des ors pâlis qu'un léger brouillard mouille.
Feuilles aux verts déteints, aux chromes indécis,
Aux rougeurs de corail, aux ocres de soucis,
Tombez, accumulez vos tons d'apothéoses,
Pour que de vos béryls, vos rubis, vos grenats,
S'empourpre la fraîcheur des printanières roses,
Et s'avive leur sang de tous vos incarnats!
Le château de Misère
Sous l'encorbellement massif d'une échauguette,
Dans la nappe de lierre enrobant chaque tour
Du gothique avant-corps jusqu'à la girouette,
L'aronde familière a fixé son séjour.
Scolopendre et lambruche, aristoloche et mousse
S'accrochant aux linteau, modillon et corbeau,
Aux moellons effrités font une verte housse
Et devant chaque baie un frémissant rideau.
La sinistre chouette au regard nyctalope,
Le hibou, le chouca, lorsque s'enfuit le jour
Et que d'un manteau noir le Castel s'enveloppe,
Jettent par les créneaux leur hululement sourd.
Comme accompagnement à ce concert fantasque,
Aux ais des vieux vantaux, aux battants sans verrous,
Aux chevrons dévêtus, quand il souffle en bourrasque,
Le vent impétueux arrache des cris fous.
On le nomme, aux entours, le Château de Misère
Et l'on narre tout bas des contes effrayants,
Où vampire, lamie, empouse léthyfère
Dansent l'affreux sabbat des Monstres dévorants.
Connaître
S'il connaissait la nuit et son cruel mystère,
Oserait-il chanter le rossignol des bois:
Bondirait-il, le vent, s'il connaissait la terre,
Et la mer, dont les flots mugissent à sa voix?
Si la rose savait, du soleil, la puissance,
Oserait-elle offrir sa délicate fleur;
Connaissant l'avenir, vivrait-on d'espérance,
Oserais-je t'aimer, si tu m'ouvrais ton coeur?
Le livre du poète (1933)
Je suis l'Arbre...
Je suis l'Arbre: un tronc droit, substantiel et dur,
La lente ascension d'un assemblage pur
De fibres, de rayons, de silence et de sève!
Je suis l'Arbre, une force invincible qui rêve:
La colonne du temple où, sans faste et sans bruit,
Le firmament s'unit aux fastes de la nuit.
Je suis l'Arbre porteur de vie et de lumière,
L'eau puisée au coeur sombre et poreux de la terre
Qui rejoint dans l'orgueil du feuillage nombreux
Cette eau vive échappée aux prunelles des dieux.
La Dryade
Nature
Nature, si vers toi, soumise et végétale,
J'ai simplement tendu les bras;
Si j'ai voulu, disciple à l'âme de vestale,
Dans tes forêts, prier tout bas;
Si je me suis faite arbre, oiseau, liane ou source,
Cellule pour me perdre en toi;
Si j'ai pris ton azur pour terme de ma course,
Ton souffle pour rythme et pour loi,
C'est que j'avais en vain d'ombre en ombre illusoire
Ailleurs cherché la vérité,
J'ai tant besoin d'aimer, j'ai tant besoin de croire,
Prends-moi dans ton éternité.
Avec les dieux... et les héros (1928)
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