Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Mauge (Gilbert) ou E. de La Rochefoucauld) 1895-1991

Gilbert Mauge

(Edmée de la Rochefoucauld)

1895-1991

 

La Revue de Paris

 

Oeuvres poétiques

- 1926: Nombre

- 1932: Le même et l'autre

- 1936: Concert

- 1941: Chasse cette vivante (1948: éd. augmentée)

- 1952: Plus loin que Bételgeuse

 

 

Il descend

 

Il descend l'escalier monumental, les yeux

Vagues, avec l'horreur d'être vu par les yeux

Des autres, il descend - entre la forêt verte

Déchiquetée, au bleu scintillement ouverte.

 

Il marche dans l'allée, attend, voit les oiseaux

Et retrouve soudain la clairière où les eaux

Du soleil trempent l'arbre et baignent l'herbe pue

Que touche enfin son corps jusqu'à la chevelure.

 

Il est étendu seul, blême. La voiture hier

L'emportait de la sorte, inerte et dorait l'air

Suivant la route bleue et les blanches rivières

De la nuit, aux contours des collines légères

 

Il voyait fuir le haut des arbres, l'archipel

Des astres et le bleu vertigineux du ciel.

Ainsi, perdu parmi les fleurs de la clairière,

Son corps sent aujourd'hui que l'emporte la terre.

 

Le Même et l'Autre

 

 

Une noire voiture

 

Une voiture un peu tiède à grand bruit

Hors des faubourgs les mène au milieu de la nuit.

Chaque décor leur offre une épuisante épreuve:

Ils seront plus heureux au-delà de ce fleuve,

De ces lourdes forêts - et se taisent tous deux

Pour sentir si la joie est plus profonde en eux.

Le pays qui vient semble, au mouvement des roues,

Se diviser sur leurs fronts durs comme des proues,

Ils aiment la nuit froide et leur fuite d'enfant

Vers une Chine absurde aux Rois philosophant.

Les villes ont passé, les forêts et le fleuve;

Leurs doigts se sont disjoints sans que l'un d'eux s'émeuve.

Aucune voix, ce soir, nul geste inattendu

Ne veut solliciter leur destin suspendu.

Ils écoutent, longeant la rivière naissante,

Le bruit mystérieux de leur course innocente...

 

 

Forêt

 

Sans plaisir, écartant les feuilles de ses doigts

Elle avance en l'horrible obscurité du bois

Et souhaitant que la forêt naissante croisse

Se défend de céder à l'infantine angoisse.

Quel changement, en elle, un jour, va du dehors

Lui rappeler ce bois et l'herbage aux abords?

 

Sous les rameaux que tristement sa main dévie

Elle commence à voir ainsi de loin sa vie...

 

Concert

 

 

Le Promeneur

 

je veux m'imaginer que ce noir promeneur

Traversant le jardin précieux à l'automne

Et que je suis d'un pas rapide et monotone

Fuit sous les arbres d'or quelque étrange douleur.

Je respire après lui le mince étang qui stagne

Je vois les rocs, le saule et la frêle campagne.

Il marche devant moi, ce passant, et je crains

D'apercevoir des traits qui ne seraient les tiens

Je veux suivre de loin, sans la perdre, cette ombre

Jusqu'à ce que le parc devienne froid et sombre

Et derrière un vivant que je ne connais pas

Ralentir, ou presser, en sanglotant, mes pas.

 

Plus loin que Bételgeuse...

 

 

Poèmes publiés dans "l'Anthologie de la Poésie Féminine française" de Marcel Béalu (1953)

 

 



18/03/2012
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