Maurel (Micheline)
Micheline Maurel
La Grande Nuit
(Ravensbrûck)
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(Tristesse, tristesse,...)
Tristesse, tristesse, tristesse,
De tous les coins de la prison,
Monte un seul chant à l'unisson,
Tristesse, tristesse, tristesse:
La pluie et les sabots traînés
Sur les pavés et sur la piste,
Disent la même chanson triste,
Qu'on lit au front des internés.
Et quand un des fronts se redresse
Pour espérer, le ciel fermé
Répond aux voeux qu'il a formés,
Tristesse, tristesse, tristesse.
Fort de Romainville, juillet 1943
La Passion selon Ravensbruck
30 avril 1967
A Ravensbruck étaient déportées les résistantes françaises pendant la dernière guerre. L'une des survivantes, Micheline MAUREL, a écrit dans ce camp une série de poèmes qui, du désespoir à l'espérance, retracent tous les sentiments éprouvés par les prisonnières. Autour de Micheline MAUREL, plusieurs femmes, qui parfois portent un nom célèbre : Geneviève ANTHONIOZ de GAULLE, Renée MIRANDE-LAVAL, Marie Claude VAILLANT-COUTURIER, Madame IOLI, Marie Jo CHOMBART DE LAUWE et Denise VERNAY sont réunies et se souviennent. Elles écoutent les poèmes qui ressuscitent leur passé, apportent leur témoignage et disent ce que représente Ravensbruck, pour elles, vingt ans après. Les textes sont dits, entre autre par Catherine SELLERS, Silvia MONFORT, Emmanuelle RIVA.
Document INA
Poèmes dits par Silvia Montfort, Emmanuelle Riva, Catherine Sellers et Jany Sylvaire
Micheline Maurel, qui avait quitté le fort de Romainville en août 1943, arriva dans les kommandos de Ravensbrück, camp de femmes, en principe destiné à des femmes allemandes opposées au régime nazi, dans lequel arrivèrent de 1941 à 1944 plus de 10000 Françaises...
"Au camp, j'écrivais des vers... Malgré leur maladresse, ils exprimaient sous forme rythmée et rimée, ce que toutes les prisonnières éprouvaient..."
Jacques Gaucheron: La poésie, la Résistance, 1979,p. 175-176
Face A du Vinyl
Face B
La Passion selon Ravensbruck
(Si je mourais ici...)
Si je mourais ici comme Denise est morte
Autour de mon châlit ne venez pas pleurer,
La mort d'une inconnue aisément se supporte,
Votre douleur, je crois, ne sera pas trop forte,
Je serai chaude encor lorsque vous m'oublierez.
Pourquoi viendriez-vous? Le spectacle vous tente
De visions d'horreur à décrire là-bas?
Non, je sais bien plutôt le point qui vous tourmente:
Les dépouilles! Voici la question importante;
Qui prendra ma chemise, et qui prendra mes bas?
Longtemps avant ma mort on m'aura visitée,
Pour compter et peser mes malheureux trésors,
La troupe des amis, inquiète, exaltée,
Viendra pencher sur moi une mine attristée,
Et causera partage avant d'être dehors.
Pour mes vers, je le crois, on sera très honnête,
Ils ne se mangent pas, ils ne tiennent pas chaud.
Et nul contre du pain n'en voudrait faire emplette.
On parlera d'en faire une édition complète
Et quand on les perdra on gémira bien haut.
Ah! je les vois déjà ces odieux rapaces
A dépecer les morts plus âpres et plus prompts:
Que les tristes corbeaux qui tournent dans l'espace!
Et les seuls qui m'aimaient, repoussés de leur place,
Soupireront tout bas et m'abandonneront.
(Au Revier de Neubrandebourg, 15 janvier 1944.)
(De mon lit de prison...)
De mon lit de prison qui geint quand on s'y pose
Si petit et si bas que l'on n'y peut s'asseoir,
Vers le ciel du levant et les pins au tronc rose
Je me tourne, le soir.
Là-bas est le pays du grand ami que j'aime
Et si je ne sais plus sous quels cieux il combat
Je sais que son regard, des antipodes même,
Se tourne vers là-bas.
Lui pour la liberté fait au loin sa besogne,
Moi, le sort à brisé mon travail et mes vœux,
Mais son cœur et le mien s'envolent en Pologne
Se rejoindre tous deux.
Ravensbrück, septembre 1943
(Il faudra que je me souvienne)
Il faudra que je me souvienne
Plus tard, de ces horribles temps,
Froidement, gravement, sans haine,
Mais avec franchise pourtant.
De ce triste et laid paysage
Du vol incessant des corbeaux,
Des longs blocks sur ce marécage,
Froids et noirs comme des tombeaux.
De ces femmes emmitouflées
De vieux papiers et de chiffons,
De ces pauvres jambes gelées
Qui dansent dans l'appel trop long.
Des batailles á coups de louche,
À coups de seau, á coups de poing,
De la crispation des bouches
Quand la soupe n'arrive point.
De ces "coupables" que l'on plonge
Dans l'eau vaseuse des baquets
De ces membres jaunis que rongent
De larges ulcères plaqués.
De cette toux á perdre haleine,
De ce regard désespéré,
Tourné vers la terre lointaine,
O mon Dieu, faites-nous rentrer!...
Il faudra que je me souvienne...
(Automne 1944)
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