Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Merens-Melmer, Madeleine: Psyché au miroir (suite de pièces), 1928

Madeleine Merens-Melmer

activité poétique entre 1920 et 1940...?

 

Recueils poétiques:

1924: Sous l'auvent

1926: Sous le signe de la musique

1929: A la fontaine de Narcisse

 

 

Psyché au miroir

Suite de pièces

1928

 

Ne cherche plus en moi la Psyché de jadis,

Enfant silencieux et compagne ingénue.

(Henri de Régnier.)

 

Je suis le signe féminin devant l'Amour,

Le visage ébloui des vierges en attente,

La frêle élue aux royautés intermittentyes

Que l'Inconnu ravit et blesse tour à tour.

 

Je suis l'intelligence aux flammes créatrices

Qui prolonge en beauté l'ivresse d'un moment,

Le rêve insatisfait, l'indicible tourment

Du coeur rebelle aux ténèbres qui l'engloutissent.

 

Et, figure anxieuse au geste de clarté,

Angoisse en qui palpite un plus large symbole,

Je suis l'Inquiétude Humaine que désole

Le mutisme incompris de sa Divinité.

 

 

 

I   (Juliette)

 

Ce sont de fleurs précoces qui ne tarderont pas à se flétrir.

Shakespeare (Roméo et Juliette)

 

J'ai lu, comme un reproche, un âge sur ta tombe,

Juliette, brève aurore au sillage de feu;

De ta main volontaire et due à d'autres jeux

Tu pris l'Amour comme on capture une Colombe.

 

Tu t'es penchée, enfant hardie et trop précoce,

Sur un jardin néfaste aux fruits empoisonnés;

Non, ce n'était pas l'aube, ô chanteurs alternés,

Mais la nuit, le silence et cette double fosse.

 

Laisse-moi, vers ton ombre immortelle inclinée,

Implorer ton pardon, amante de quinze ans,

Et sceller dans mon coeur comme un remords cuisant

Le rire éteint de ta jeunesse assassinée.

 

 

 

II (Virginie)

 

J'ai été trouvée fidèle aux lois de la nature, de l'amour et de la vertu.

Bernardin de Saint-Pierre (Paul et Virginie)

 

A cette heure tragique où sombre ton navire,

De la poupe à la proue encloué sur l'écueil,

De quel rivage élu monte, indicible accueil,

L'effluve reconnu que ta lèvre respire?

 

Ecoute! Du pays doré de ton enfance

L'amour vers toi jette un appel désespéré;

Oseras-tu, fidèle à ton coeur déchiré,

Le geste de salut dont ta vertu s'offense?

 

Hélas! plutôt le gouffre et sa trouble agonie

Et ton corps innocent qui se brise au rocher!

Mais tu mourras, serrant sur ta chair sans péché

Ta robe chaste, ô triste et chaste Virginie!

 

 

 

III (Ophélie)

 

Mon Dieu, nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons devenir...

... pour vous ce sera l'herbe de grâce, pour moi l'herbe de douleur...

Shakespeare (Hamlet)

 

Ma raison s'est noyée aux larmes d'Ophélie!

Ai-je sans le vouloir, d'un rayon indiscret,

Epié le silence et surpris le secret

De celui dont le nom cache mort et folie?

 

Quel pardon - sans péché -chasse de ma mémoire

L'amoureuse ingénue et sage que je fus?

Je poursuis par le monde un fantôme confus

Sous les chants de démence et les fleurs dérisoires.

 

Ce soir, je m'étendrai sur l'onde fraternelle,

Fluide, insaisissable et pure ainsi que moi;

Comme elle je ne sais quelle suprême loi

Nous entraîne à la mer d'une fuite éternelle.

 

 

 

IV (Omphale)

 

... le front baisé par les lèvres d'Omphale.

José Maria de Hérédia.

 

Hercule! souviens-toi du beau rire d'Omphale

Et de l'éclair d'orgueil au regard triomphant

Lorsque, sur le fuseau fait pour ses doigts d'enfant,

Tes mains rudes nouaient de rétives spirales.

 

La femme qui t'enchaîne aux replis de sa robe

N'a rien d'une Circé ni d'une Dalila;

Cherche au secret des yeux qu'une pudeur voila

L'aveu que sa faiblesse à ta force dérobe.

 

Eternelle vaincue aux furtives revanches,

Elle exulte de voir, soumis à son plaisir,

Tes redoutables poings frissonner de désir

Des grâces de sa gorge au galbe de ses hanches.

 

 

 

V (Hélène)

 

Mon coeur, hélas! est dévoré de tristesse et d'amertume.

(Iliade)

 

Je n'ai jamais voulu la douleur ni les larmes;

Aux murs de Troie en flamme, hélas! j'ai reculé

Devant la mort, l'odeur de sang, les yeux brûlés

Qui m'accusaient, forme si frêle aux mains sans armes.

 

Les Dieux seuls ont choisi pour moi l'étroite route

Où gisent les vaincus, captifs de mes bras blancs;

Si je mêle la vie et le mal dans mes flancs

C'est un verdict ancien qui m'y condamne toute.

 

Je suis - néfaste amante - idole au coeur de pierre -

Dans le couple éternel aux baisers ennemis,

L'innocent Beauté par qui l'Homme, soumis,

Naît, lutte, souffre, crée... et redevient poussière.

 

 

 

VI (Iphigénie)

 

D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice...

Racine (Iphigénie).

 

Plus qu'Hélène je suis la pure Iphigénie,

Le rire insoucieux que dore un bleu matin,

Le corps au don royal qu'un sublime destin

Consacre aux seuls autels d'un austère Génie.

 

Sous le bandeau de la victime immaculée

J'attarde sur le monde aux séduisants chemins

Des yeux encore emplis des mirages humains,

Qui pleurent ma jeunesse et ma grâce immolées.

 

Mais à la voix des Dieux dont l'ordre me dépasse,

J'offre sans plainte lâche, un juste orgueil au front

- Virginal holocauste en prodiges fécond -

Le sang qui fait durer le pays et la race.

 

 

 

VII (Sapho)

 

Après la mort, il ne reste de toi nul souvenir, ni dans le présent, ni dans l'avenir, ca tu ne cueilles pas les roses de la Piérie...

(Sapho)

 

Chante, Sapho! la mer, d'un incessant orage,

Encercle le refuge altier de ta douleur;

Chaque lame qui croule, au rythme de ton coeur,

Est le remous secret de quel lointain naufrage?

 

Ta sûre et triste voix comme un cri de vigie

Signale aux égarés la barre et le récif;

Plus d'un pilote errant, d'un sursaut décisif,

Guidera vers le havre une barque assagie.

 

Elargis sous le ciel la plainte qui délivre;

Avant de t'engloutir aux abîmes sans fond,

Chante, Sapho! du haut de ton roc infécond,

Le mal que fait l'amour à qui croyait en vivre.

 

 

 

VIII (Madeleine)

 

Marie prit un vase contenant un nard précieux, en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux.

(Evangile selon saint Jean).

 

A tes joyaux de pécheresse, Madeleine,

Je leurre une âme ardente et rivée à la chair.

Que le mirage brûle, au loin, d'un ruisseau clair,

Et qui tremble de soif près d'une âcre fontaine.

 

Sous tes cheveux déchus  et tes larmes lustrales

S'éveille le frisson dont tu désespérais;

Aux pieds du Maître, doux à ton amer regret,

Oublie un long détour aux épuisants dédales.

 

Tu cherchais l'Infini! - Dans la nuit où nous sommes

La foi glisse un rayon, frêle pont étoilé.

Va vers l'amour sans tache et le repos comblé

Que tu ne trouveras jamais aux bras d'un homme.

 

 

 

IX (Thérèse d'Avila)

 

... A mes chrétiennes, donnez une pensée tendre à ces vierges folles!...

   L'ivresse qui, jadis, commandait les bacchantes, nous la retrouvons dans le tambourin de Thérèse...

Maurice Barrès (Enquête au pays du Levant.)

 

J'ai courbé mon angoisse aux dalles des églises,

Reniant aux lueurs des cierges sur l'autel

La sûre volupté que versent aux mortels

Les chauds soleils et les étoiles indécises.

 

Dans mon corps alangui quel appel a fait battre

Le coeur brûlant de la Mystique d'Avila?

Mon âme sans mesure et que rien n'égala

Fut la brebis lassée aux épaules du pâtre.

 

Quelle étreinte eût donné - cendre étouffant la braise -

L'extase qu'a connue, entre des murs déserts,

Au silence du cloître, aux jeunes de la chair,

L'exigeante ferveur d'une sainte Thérèse?

 

 

 

 

Recueil de l'Académie des Jeux Floraux, 1928, Toulouse, p. 84...

 

 

 

 





12/06/2013
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