Mes poèmes préférés (2)
Mes poèmes préférés (02)
Chalut-Bachofen (Etiennette)
(La vie verte, 1962)
Dauguet (Marie)
Il est doux de mourir un peu
Aux berges des forêts mouillées,
Et parmi les feuilles rouillées
Qui s'égouttent du brouillard bleu;
Il est doux de mourir un peu.
Il est doux de n'être plus rien
Que la brume qui s'échevèle,
Moins que le frôlis sourd d'une aile,
Aux velours pourpré des fusains;
Il est doux de n'être plus rien.
Il est doux de mourir un peu
Avec les eaux qui se corrompent,
Avec les lointains qui s'estompent,
Avec les buis, les houx fangeux;
Il est doux de mourir un peu.
Il est doux de n'être plus rien,
Moins que le frisson d'une rose,
Dont le vent d'hiver décompose
La chair de nacre et de carmin.
Il est doux de n'être plus rien.
A travers le voile, 1902
Desborde-Valmore (Marceline)
(Mémoire)
Extrait de "Sol natal"
Mémoire! étang profond couvert de fleurs légères;
Lac aux poissons dormeurs tapis dans les fougères,
Quand la pitié du temps, quand son pied calme et sûr,
Enfoncent le passé dans ton flot teint d'azur,
Mémoire! au moindre éclair, au moindre goût d'orage,
Tu montres tes secrets, tes débris, tes naufrages,
Et sur ton voile ouvert les souffles les plus frais,
Ne font longtemps trembler que larmes et cyprès!
Pauvres fleurs, 1839
Grouard (Marie-Laure)
Sonnet (vers 1840)
A M. L. Ulback.
Vous m'avez dit un jour : Jeune fille poëte,
Ne chantez point votre âme et cachez votre coeur;
La femme, parmi nous, doit demeurer muette,
Renier ses amours et garder sa douleur.
Et moi je vous réponds: Dites à la tempête,
Aux grands vents, aux grands flots d'étouffer leur fureur;
Faites taire au vallon l'écho fort qui répète
Ou le cri de souffrance ou le cri du bonheur;
Dites au rossignol, sous la grande ramée,
Que son accent fait peine à votre âme alarmée...
Qu'il se taise toujours... Défendez au reclus
D'invoquer l'espérance et la liberté sainte;
Faites taire tout bruit, tout chant et toute plainte:
Quand tout sera muet, je ne chanterai plus.
(Marie-Laure Grouard, vers 1840)
d'Adeline Joliveau de Segrais
(début XIXème siècle)
L'Aigle disait au Ver sur un arbre attrapé:
"Pour t'élever si haut, qu'as-tu fait? - J'ai rampé".
Les deux charrues
Le soc d'une Charrue, après un long repos ,
S'était couvert de rouille , il voit passer son frère,
Tout radieux , revenant des travaux :
— Forgé des mêmes bras, de semblable matière,
Lui dit-il, je suis terne , et toi, poli, brillant :
Où pris-tu cet éclat, mon frère ? — En travaillant.
Souvenirs des camps)
Pour avoir écouté la Passion de Jésus
de Jésus qui a souffert quelques jours et qui est mort
et depuis lors ne souffre plus.
Voici:
C'étaient des femmes
il y avait des hommes aussi
mais je vais vous parler des femmes
parce que je sais mieux.
C'étaient des femmes et il il y en avait des milliers
mais la chose était pour chacune.
Quand je les ai connues
chacune d'elles avait été injuriée et battue
frappée à la tête au visage et partout
jusqu'au sang
chacune d'elles avait eu les cheveux arrachés par poignées
et les mains tordues
et même souvent brûlées à la flamme.
C'étaient des femmes...
A ma mère,
morte à vingt-huit ans.
Rencontre funèbre (vers 1910-1920)
Si nous nous rencontrons au-delà du trépas,
O ma mère, enlevée en ta fleur de jeunesse,
Et moi, ta fille morte en sa grande vieillesse,
Que pourrons-nous nous dire en nous voyant là-bas?
O ma mère, enlevée en ta fleur de jeunesse,
O ma mère, si tendre et si jolie, alors,
Nous reconnaîtrons-nous errant parmi les morts?
Et m'éloigneras-tu si je veux ta caresse?
Moi, ta fille ravie en sa grande vieillesse,
A l'heure du déclin terrible de son corps:
Et ton coeur sans péchés, et le mien plein de torts,
Seront-ils étrangers l'un à l'autre sans cesse?
Que pourrons-nous nous dire en nous voyant là-bas?
Moi qui sus tout, toi, rien, des soucis de la terre.
Deviendras-tu ma fille et serai-je ta mère,
Si nous nous rencontrons au delà du trépas?
Un blanc dominicain, figure lente et pâle,
Que semble envelopper l'atmosphère claustrale,
Mais où la jeunesse erre et se révolte encor.
Sur la lèvre mobile un léger duvet d'or,
Et, dans le long regard si tristement austère,
La surprise et l'effroi des choses de la terre
Et parfois une flamme étrange qui s'enfuit.
Autour du jeune moine avec un léger bruit
Des rosiers effleurant des jonquilles mi-closes,
Car nous sommes à Rome, à la villa des Roses,
Et c'est le mois de mai, si j'en crois le ciel bleu.
Et l'homme qui s'en va vers les choses de Dieu
Frémit soudain de voir que le vent qui le frôle
Fait mourir une rose en pleurs sur son épaule,
Et les pétales blancs roulent jusqu'à sa main.
Alors un lent soupir, un regard presque humain,
Et l'ascète, essuyant son front avec sa manche,
Secoue enfin les fleurs de sur sa robe blanche.
L'âme sereine, Rayons d'Italie, 1896
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