Michel (Louise) 1830-1905
Pareil à la sève d'avril, le sang monte au renouveau séculaire dans le vieil arbre humain ( le vieil arbre de misère ).
Sous l'humus des erreurs qui tombent pour s'entasser pareilles à des feuilles mortes, voici les perce-neige et les jonquilles d'or, et le vieil arbre frissonne aux souffles printaniers.
Les fleurs rouges du joli bois sortent saignantes des branches ; les bourgeons gonflés éclatent : voici les feuilles et les fleurs nouvelles.
C'est une étape de la nature.
Cela deviendra les fourrés profonds où s'appelleront les nids, où mûriront les fruits ; et tout retournera au creuset de la vie universelle.
Ainsi souffle la brise matinière à la vermeille aurore du Monde nouveau.
Les religions et les États sont encore là, devant nos yeux, mais les cadavres n'ont-ils pas gardé l'apparence humaine quand on les ensevelit pour les confier à la terre ?
La pâleur, la rigidité des morts, l'odeur de la décomposition, n'indiquent-elles pas que tout est fini pour l'être qui a cessé de vivre ?
Cette pâleur, cette décomposition, la vieille société les a déjà dans les affres de son agonie.
Elle se meurt la vieille ogresse qui boit le sang humain depuis les commencements pour faire durer son existence maudite.
Ses provocations, ses cruautés incessantes, ses complots usés, tout cela n'y fera rien ; c'est l'hiver séculaire, il faut que ce monde maudit s'en aille : voici le printemps où la race humaine préparera le nid de ses petits, plus malheureux jusqu'à présent que ceux des bêtes.
Il faut bien qu'il meure ce vieux monde, puisque nul n'y est plus en sûreté, puisque l'instinct de conservation de la race s'éveille, et que chacun, pris d'inquiétude et ne respirant plus dans la ruine pestilentielle, jette un regard désespéré vers l'horizon.
On a brûlé les étapes ; hier encore, beaucoup croyaient tout cela solide ; aujourd'hui, personne autre que des dupes ou des fripons ne nie l'évidence des faits. -- La Révolution s'impose. L'intérêt de tous exige la fin du parasitisme.
Quand un essaim d'abeilles, pillé par les frelons, n'a plus de miel dans sa ruche, il fait une guerre à mort aux bandits avant de recommencer le travail.
Nous, nous parlementons avec les frelons humains, leur demandant humblement de laisser un peu de miel au fond de l'alvéole, afin que la ruche puisse recommencer à se remplir pour eux.
Les animaux s'unissent contre le danger commun ; les boeufs sauvages s'en vont par bandes chercher des pâtures plus fertiles : ensemble, ils font tête aux loups.
Les hommes, seuls, ne s'uniraient pas pour traverser l'époque terrible où nous sommes ! Serions-nous moins intelligents que la bête ?
Que fera-t-on des milliers et des milliers de travailleurs qui s'en vont affamés par les pays noirs dont ils ont déjà tiré tant de richesses pour leurs exploiteurs ?
Ici les bois sont toujours verts ;
De l'Océan, la fraîche brise
Souffle sur les mornes déserts,
Et si profond est le silence
Trouble seul le calme des airs.
Le soir, sur ces lointaines plages,
S'élève parfois un doux chant :
Ce sont de pauvres coquillages
Qui le murmurent en s'ouvrant.
Dans la forêt, les lauriers-roses,
Les fleurs nouvellement écloses
Frissonnent d'amour sous le vent.
Poindre ces errantes blancheurs !
Des flottes sont à pleines voiles
Dans la nuit qu'éclairent les mondes,
Voyez sortir du sein des ondes
Ces phosphorescentes lueurs !
Viens en sauveur, léger navire,
Ici, dans les fers il expire :
Le bagne est pire que la mort.
En nos coeurs survit l'espérance,
Et si nous revoyons la France,
Ce sera pour combattre encor !
Voici la lutte universelle :
Dans l'air plane la Liberté !
A la bataille nous appelle
... L'aurore a chassé l'ombre épaisse,
Et le Monde nouveau se dresse
A l'horizon ensanglanté !
Les Œillets rouges
Si j'allais au noir cimetière,
Frère, jetez sur votre soeur,
Comme une espérance dernière,
De rouges œillets tout en fleurs.
Dans les derniers temps de l'Empire,
Lorsque le peuple s'éveillait,
Rouge œillet, ce fut ton sourire
Qui nous dit que tout renaissait.
Aujourd'hui, va fleurir dans l'ombre
Des noires et tristes prisons.
Va fleurir près du captif sombre,
Et dis-lui bien que nous l'aimons.
Dis-lui que par le temps rapide
Tout appartient à l'avenir
Que le vainqueur au front livide
Plus que le vaincu peut mourir.
Maison d'arrêt de Versailles, 4 septembre 1871
Les oeillets rouges ????(Vérifier les sources)
Dans ces temps-là, les nuits, on s'assemblait dans l'ombre,
Indignés, secouant le joug sinistre et noir
De l'homme de Décembre, et l'on frissonnait, sombre
Comme la bête à l'abattoir.
L'Empire s'achevait. Il tuait à son aise,
Dans son antre où le seuil avait l'odeur du sang.
Il régnait, mais dans l'air soufflait la Marseillaise.
Rouge était le soleil levant.
Il arrivait souvent qu'un effluve bardique,
Nous enveloppant tous, faisait vibrer nos coeurs.
A celui qui chantait le recueil héroïque,
Parfois on a jeté des fleurs.
De ces rouges oeillets que, pour nous reconnaître,
Avait chacun de nous, renaissez, rouges fleurs.
D'autres vous répondront aux temps qui vont paraître,
Et ceux-là seront les vainqueurs.
Le soleil était rouge à son coucher ce soir
Le soleil était rouge à son coucher ce soir
Victor Hugo
L'herbe du cimetière
Fumait au vent des nuits, solennel encensoir
Qui du sein de la terre
S'élève vers le ciel emporté par les vents,
Muette voix des morts dans les choeurs des vivants.
Qu'ils sont doux les parfums des fleurs au soir (sanglant)!
Le village dormait sur l'horizon brumeux
Et couché sur la pierre
Un spectre reposait ses ossements hideux
Qu'avait froissés la bière
Ecoutant (...) que la nuit quand tout dort
Tout bas dans le cercueil interroge la mort.
Qu'il fait beau près de lui reposer sur la pierre!
Dieu que la rose est belle et que les lys sont frais
Aux pieds blancs d'un squelette!
Sur la tombe à minuit, bergère, cueille-les
Pour en orner ta tête.
Regarde, chevalier à l'armure d'airain,
Roi, poète, guerrier, regarde, c'est ta fin.
Que les lauriers sont beaux sur le font d'un squelette!
Vroncourt, 29 juin 1850
A ceux qui m'ont élevée
Abandonné à l'ombre en un coin solitaire,
Là-bas sous les sapins ils dorment, et jamais
Nul ne vient arracher l'herbe rongeant la pierre,
Ou voir si l'arbre encor de son feuillage épais
Recouvre la tranchée ouverte la dernière.
Moi je m'en vais toujours où la prison m'enserre;
Je vais sans savoir où, comme la feuille au vent,
Et nul rameau ne tombe ou de rose ou de lierre
Sur leurs os refroidis, et jamais sur la terre
Nul ami ne réveille un bruit sourd en marchant.
Rude est l'hiver là-bas; longtemps les fleurs du givre
Fleurissent comme en mai les branches; et le vent
Mugit dans la forêt avec un son de cuivre,
Ou pareil à des voix se roule en gémissant.
Paris
Toute l'ombre a versé ses ténébreuses urnes;
Toute la sombre nuit, ses spectres taciturnes;
L'eau dort sinistre et glauque, et dans son lit profond,
Gouffre toujours ouvert, dans l'horrible silence,
On entend tout à coup vers le mystère immense,
Quelque chose tomber d'un pont.
On dirait qu'à la fois les pâles réverbères,
Tous les gouffres glacés de toutes les misères,
Les fantômes vivants et les froids trépassés,
Les bandits embusqués sous les portes dans l'ombre
S'en vont au même point, vers la morgue, où sans nombre
En entrant, ils sont effacés.
Procession hideuse! où les hommes, les femmes,
Les enfants, les uns, corps, d'autres âmes,
En vain s'y refusant, s'en vont, s'en vont sans fin!
Tous y sont! par les spectres ou bien par la pensée,
Oui, tous ont là leur place et la route est tracée
Large et lugubre le matin.
Bouche close
Nul souffle humain n'est sur ces pages,
Rien que celui des éléments,
Le cyclone, hurlant sur les plages,
La légende des océans;
Les sapins verts sous les nuées
Tordant leurs branches désolées
Comme des harpes dans les vents,
Sous les coraux ou sous les sables,
La nature, parfois ouvrant
Dans ses tourmentes formidables
Un cercueil, ville ou continent;
En l'être, ayant la bouche close,
Feuille de chêne ou bien de rose
Tombant au gré de l'ouragan.
Sous les flots
I
Au fond lointain des mers sont des forêts mouvantes;
Des poissons ont leurs nids, ainsi que les oiseaux.
Dans d'étranges massifs dont les fleurs sont vivantes
Autour errent légers les colibris des eaux.
Des monstres inconnus sous les flots vont s'ébattre,
Et la méduse bleue, et le poulpe blanchâtre
Errent à travers les rameaux.
Quand sur la mer paisible, on voit flotter les ombres
Des mornes vers le soir, de petits point brillants
S'étoilent en dansant dans les espaces sombres;
Comme on voit dans les bois briller les vers luisants
Où parfois réunis, formant un disque intense,
Ils voguent lentement, pareils dans l'onde immense,
A des soleils étincelants.
II
La mer se retirant a laissé sur la grève
Un peu de son écume et des varechs flottants,
Et des êtres pareils à des formes de rêve,
Et l'on n'entend plus rien au loin que les brisants
C'est la paix du désert, la grande paix sauvage,
Que les flots gris du sable et les flots de la plage
Conservent dans leurs plis mouvants.
Le livre du bagne (1873-1880)
Chanson de cirque
Corrida de muerte
Les hauts barons blasonnés d'or,
Les duchesses de similor,
Les viveuses toutes hagardes,
Les crevés aux faces blafardes,
Vont s'égayer. Ah ! oui, vraiment,
Jacques Bonhomme est bon enfant.
C'est du sang vermeil qu'ils vont voir.
Jadis, comme un rouge abattoir,
Paris ne fut pour eux qu'un drame
Et ce souvenir les affame ;
Ils en ont soif. Ah ! oui, vraiment,
Jacques Bonhomme est bon enfant.
Peut-être qu'ils visent plus haut.
Après le cirque, l'échafaud;
La morgue corsera la fête.
Aujourd'hui seulement la bête
Et demain l'homme.Ah! oui, vraiment
Jacques Bonhomme est bon enfant.
Les repus ont le rouge aux yeux
Et cela fait songer aux gueux,
Les gueux expirants de misère.
Tant mieux! aux fainéants la guerre;
Ils ne diront plus si longtemps:
Jacques Bonhomme est bon enfant.
Germinal (1881-1901) La légende future
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 167 autres membres