Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Poétesses d'expression française (du Moyen-Age au XXème siècle)

Noailles (Anna de)1876-1933

Anna de Noailles
(1876-1933)
 
 
Ecouter Anna de Noailles disant ses propres poèmes. Enregistrée en 1921
Jeunesse
J'écris pour que le jour

Retrouver l'intégralité de l'ensemble de poèmes intitulé "La Guerre", paru dans le recueil "Les Forces Eternelles" en 1920
 
Voir la galerie des nombreuse photos d'Anna de Noailles sur la page d'accueil

 

J'écris pour que le jour...

 

J’écris pour que le jour où je ne serai plus

On sache comme l’air et le plaisir m’ont plu,

Et que mon livre porte à la foule future

Comme j’aimais la vie et l’heureuse Nature.

 

Attentive aux travaux des champs et des maisons,

J’ai marqué chaque jour la forme des saisons,

Parce que l’eau, la terre et la montagne flamme

En nul endroit ne sont si belles qu’en mon âme !

 

J’ai dit ce que j’ai vu et ce que j’ai senti,

D’un cœur pour qui le vrai ne fut point trop hardi,

Et j’ai eu cette ardeur, par l’amour intimée,

Pour être, après la mort, parfois encore aimée,

 

Et qu’un jeune homme, alors, lisant ce que j’écris,

Sentant par moi son cœur ému, troublé, surpris,

Ayant tout oublié des épouses réelles,

M’accueille dans son âme et me préfère à elles…

 

Extrait de " L’ombre des jours "



 
Jeunesse
 
Pourtant tu t'en iras un jour de moi, Jeunesse,
Tu t'en iras, tenant l'Amour entre tes bras,
Je souffrirai, je pleurerai, tu t'en iras,
Jusqu'à ce que plus rien de toi ne m'apparaisse.
 
 La bouche pleine d'ombre et les yeux pleins de cris,
Je te rappellerai d'une clameur si forte
Que, pour ne plus m'entendre appeler de la sorte,
La mort entre ses mains prendra mon coeur meurtri.
 
Pauvre Amour, triste et beau, serait-ce bien possible
Que vous ayant aimé d'un si profond souci,
On pût encore marcher sur le chemin durci
Où l'ombre de vos pieds ne sera plus visible?
 
Revoir sans vous l'éveil douloureux du printemps,
Les dimanches de mars, l'orgue de barbarie,
La foule heureuse, l'air doré, le jour qui crie,
La musique d'ardeur qu'Yseult dit à Tristan.
 
Sans vous, connaître encore le bruit sourd des voyages,
Le sifflement des trains, leur hâte et leur arrêt,
Comme au temps juvénile, abandant et secret
Où dans vos yeux clignés riaient des paysages.
 
Amour, loin de vos jeux revoir le bord des eaux
Où trempent azurés et blancs des quais de pierre,
Pareils à ceux qu'un jour, dans l'Hellas printanière,
Parcoururent Léandre et la belle Héro.
 
Voir sans vous, sous la lune assise au haut du cèdre,
La volupté des nuits laiteuses d'Orient,
Et souffrir, le passé au coeur se réveillant,
Les étourdissements d'Hermione et de Phèdre;
 
Toujours privé de vous, feuilleter par hasard,
Tandis que l'âcre été répand son chaud malaise,
Ce livre où noblement la Cassandre française
Couche au linceul de gloire et sourit à Ronsard.
                         
                     (Début du recueil intitulé "l'ombre des jours", 1902)

 
 
 
Nature, vous avez fait le monde pour moi

Nature, vous avez fait le monde pour moi,
     Pour mon désespoir et ma joie ;
Le soleil pour qu'il glisse entre mes bras étroits,
     Et l'air bleu pour que je m'y noie !

Vous avez fait l'odeur du lin, du mélilot
     Et de la verveine si bonne,
Pour que mon âme soit comme un riant îlot
     Que l'immense ivresse environne.

Vous avez fait pour moi le sensible oranger.
     Les soirs percés d'étoiles vives,
La feuille courbe où la cigale vient loger.
     Les eaux avec leurs belles rives !

Mais quand je suis, si chaude et tout ivre de moi,
     Debout dans les jardins du monde,
La rose de mon rêve enfonce dans mon doigt
     Son épine la plus profonde :

Savoir qu'un jour ma tiède et légère beauté
     N'aura plus ses rayons qu'on frôle,
Savoir que je n'aurai plus l'âge de l'été,
     Cela fait si mal aux épaules !

Cela blesse le cœur, la langueur, le désir,
     Le sang, plus qu'on ne pourrait croire !
juvénile ardeur, voluptueux plaisir,
     C'est vous la seule verte gloire.

O animale terre, amoureuse du jour !
     O soleil fier d'un beau visage !
Vous savez que je n'ai d'orgueil, de grave amour,
     Que le doux honneur de mon âge.

Que ferai-je plus tard du délicat dédain
     Qui gonfle mon cou vif que j'aime?
Vous verrai-je souffrir pendant le bleu matin,
     Mon orgueil plus fort que moi-même ?

Attendrai-je que l'ombre atteigne mes genoux?
     Que les regrets sur moi s'avancent?
Il faudrait, quand on est aussi tendre que nous,
     Mourir au cœur des belles chances...

                                Les Éblouissements.


Les regrets

Allez, je veux rester seule avec les tombeaux.
— Les morts sont sous la terre et le matin est beau,
L'air a l'odeur de l'eau, de l'herbe, du feuillage,
Les morts sont dans la mort pour le reste de l'âge...
Un jour, mon corps dansant sera semblable à eux,
J'aurai l'air de leur front, le vide de leurs yeux,
J'accomplirai cet acte unique et solitaire,
Moi qui n'ai pas dormi seule, aux jours de la terre.
— Tout ce qui doit mourir, tout ce qui doit cesser,
La bouche, le regard, le désir, le baiser
Etre la chose d'ombre et l'être de silence,
Tandis que le printemps, vert et vermeille, s'élance
Et monte trempé d'or, de sève et de moiteur
Avoir eu comme moi le cœur si doux, le cœur
Plein de plaisir, d'espoir, de rêve et de mollesse
Et ne plus s'attendrir de ce que l'aube naisse :
Etre au fond du repos l'éternité du temps.
— D'autres seront alors vivants, joyeux, contents.
Des hommes marcheront auprès des jeunes filles,
Ils verront des labours, des moissons, des faucilles,
La couleur délicate et changeante des mois.
Moi, je ne verrai plus, je serai morte, moi.
Je ne saurai plus rien de la douceur de vivre...
Mais ceux-là qui liront les pages de mon livre.
Sachant ce que mon âme et mes yeux ont été.
Vers mon ombre riante et pleine de clarté
Viendront, le cœur blessé de langueur et d'envie,
Car ma cendre sera plus chaude que leur vie...

                                        L'ombre des jours



La prière devant le soleil
...............................................................
Que je meure n'est rien, mais faut-il qu'elle meure,
Elle, la Terre heureuse et grave, la demeure
Des humaines ardeurs, des travaux et des jeux
Tant de fois caressée et rose de vos vœux.
Elle, si tendre, si dansante et si profonde.
Faut-il qu'elle s'épuise, ô la belle du monde!
Faut-il qu'elle, si chaude et si fraîche au matin.
Porte des fleuves secs et des volcans éteints.
Et que, morte, elle soit d'une blancheur de craie,
Elle qui respirait des roses dans la haie!...
— Elle, Vous, Soleil, Terre, ineffable douceur !
Soleil, vous la verrez, votre émouvante sœur
Qui, ce matin, dans l'or de vos baisers se pâme.
Lassée et froide ainsi que la lune sans âme,
Les veines et le cœur lugubrement ouverts...
O fragile ! ô penchant ! ô petit univers !
Que toute chose soit mouvante, périssable,
Que les tombeaux aussi soient mortels, que le sable
Soit fait de la victoire éteinte des jours grecs,
Que l'avenir, inerte et froid, soit fait avec
Les bras de Desdémone et les soupirs d'Hélène...
Savoir qu'un jour la Terre, aride et sans haleine,
N'aura plus d'eau, plus d'air, plus d'ombre et de chaleur,
Nul homme pour pleurer sur l'homme, nulle ardeur
Par quoi l'esprit était plus beau que les étoiles,
Nulle mer, nul vaisseau glissant avec ses voiles
Et passant lentement sur le ciel triste et doux...
— Et nous ! avoir été tous amoureux de vous.
Avoir chanté, avoir aimé plus que les autres;
Avoir été le tendre et véhément apôtre
De la ferveur, de la pitié, de la beauté,
Et que le temple soit brisé de tous côtés !...
Que ma cendre n'ait plus même la Terre ronde
Quand ma mélancolie est grande comme un monde :

— Et pourtant, je le sens, vive et lasse de pleurs.
J'ai vécu si profonde et si haute en douleurs.
J'ai, dans les soirs pensifs, sous les blanches étoiles,
Des bords de mon esprit écarté tant de voiles,
J'ai fait de mes deux bras, dans l'aube et dans le soir,
Des gestes d'un si vif et si doux désespoir.
Que dans l'éther divin où monte toute image
Mes désirs se feront un éternel passage !...
— Il n'est point ici-bas d'effroi naissant ou vieil
Où ma tendresse n'ait porté son doux soleil.
J'ai vécu, habitant le secret de ma vie.
Chancelante et debout au bord de toute envie.
Avant qu'au mol néant tout amour soit diffus
Des hommes viendront boire aux sources que je fus ;
Ceux qui, cherchant des bois d'incessante verdure,
Se presseront au goût que j'eus de la nature,
Resteront parfumés d'égile et de cerfeuil ;
Et ceux qui toucheront à ce que j'ai d'orgueil
Sentiront leur front las se dorer comme un dôme.
Ceux qui, dans les soirs clairs, évoquant mon fantôme
Qu'un éternel regret de vivre fait languir,
Afin d'unir aux miens leur peine et leur désir.
Baisseront vers mon front leur main triste et lassée,
Pleureront, non sur eux, mais sur moi, plus blessée...
— Nul cœur humain jamais n'eut autant de frissons ;
Mon rêve est un si vif et si ardent buisson.
Que, si j'ouvre mes bras où la tendresse abonde,
Il tombe malgré moi de l'amour sur le monde!...
Amoureuse du vrai, du limpide et du beau.
J'ai tenu contre moi si serré le flambeau,
Que le feu merveilleux ayant pris à mon âme,
J'ai vécu, exaltée et mourante de flammes...

— Pourtant, Soleil, ayant oublié tout cela.
Tout ce qu'au beau plaisir la science mêla,
Je reviens devant vous, ignorante, priante,
Soleil des verts tilleuls. Soleil de l'amarante !
Soleil de la fougère et des reines-des-prés,
De la bardane d'or et des mûriers pourprés
Soleil des clairs cailloux où pleuvent des pétales,
Soleil du romarin. Soleil de la cigale !
— Soleil de l'aube rose au bord du Pont-Euxin,
Soleil d'Ino tenant Bacchus contre son sein,
Soleil du vieux cadran des petits presbytères,
Soleil de tout amour et de toute la terre!...
— Ah ! que vous vouliez bien, vous, dieu vivant, venir
Entre les volets blancs que ma main vient d'ouvrir ;
Que vous veniez, buveur des belles sources bleues,
Vers moi, brisant l'azur, franchissant tant de lieues !...
— Vous, porteur du réveil, de l'orgueil, de l'espoir,
Votre face n'est pas plus grande qu'un miroir
Où je regarderai ce matin mon visage.
Et pourtant, une telle éblouissante rage
De rayons, de plaisir, s'anime autour de vous.
Que je défaille, étant, pour mieux vous voir, debout...
— N'est-ce pas, vous savez à quel point je vous aime,
Tout mon désir nombreux et lumineux essaime
Vers l'espace où mon rêve et vous tremblez tous deux.
Laissez qu'à vos cheveux je mêle mes cheveux.
Voici qu'à l'aube douce où vous venez de naître,
Toute avide de vous je suis à ma fenêtre.
Ma joie est aussi claire, aussi chaude que vous.
Quelque chose est en moi qui vous aime à genoux.
— Fronton d'or, dont mes bras sont les vivants pilastres,
Vous êtes comme un cœur, mon cœur est comme un astre.
Si bien que je crois voir, dans le matin vermeil.
Luire et se saluer l'un et l'autre Soleil...


Article paru dans 

La Muse Française 1938

C Noailles 01.jpg
C Noailles 02.jpg
C Noailles 03.jpg
C Noailles 04.jpg
C Noailles 05.jpg
C Noailles 06.jpg
C Noailles 07.jpg
C Noailles 08.jpg
C Noailles 09.jpg



10/03/2010
2 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 157 autres membres